Entre les pâtes et le vin, la Galleria Continua oublie l’art contemporain

La galerie italienne inaugure un espace à Paris avec une exposition menée par l’artiste populaire JR. Un supermarché, une caisse, des œuvres… Si l’initiative a vocation à rendre l’art plus accessible, celui-ci est malheureusement relégué au second plan.

Messa a nudo – Michelangelo Pistoletto – 2020 Courtesy: the artist and GALLERIA CONTINUA. Crédit photo : Sarah De Santis.

New in Town ! Au 87 rue du Temple, dans le IIIème arrondissement de Paris, la queue n’en finit pas et les curieux s’amoncellent. Tous attendent leur tour devant la Galleria Continua. En effet, après avoir conquis Rome, Pékin ou encore Sao Paulo, la galerie italienne, inaugurée le 20 janvier dernier, pose ses valises à Paris. Mais à quel prix ?

L’entrée en fanfare n’est certainement pas un hasard : l’initiateur de la toute première exposition – et donc de cette foule curieuse – n’est autre que JR, artiste-photographe, baroudeur de visages à shooter et colleur superstar d’œuvres monumentales. A cette occasion, il propose aux visiteurs une exposition « Truc à faire ». Entre les murs de ce qui fut autrefois le magasin d’un grossiste en maroquinerie, le photographe a invité de grands noms de l’art contemporain à venir exposer leurs œuvres. Jusqu’ici, tout va bien. 

UN SUPERMARCHÉ DANS UNE GALERIE

Mais marketing quand tu nous tiens : cédant à la manie populaire du concept, l’artiste et la galerie ont souhaité mettre en scène l’esprit de l’ancien magasin et expose, en parallèle des œuvres, des articles tout droit sortis du supermarché. Hommage aux galeries soeurs déjà implantées en Italie, en Chine ou au Brésil, le visiteur peut à sa guise contempler une œuvre d’art ou faire l’achat gourmand d’un paquet de pâtes et d’une bouteille de vin. Un étrange parti pris auquel, de prime abord, on se prêterait bien. Mais un tour amusé entre les créations, les étagères et les rayons suffit à nous faire déchanter. Substituant le trop plein de choix à la contemplation sincère d’œuvres d’art, la Galleria Continua nous perd. A vouloir faire nouveau, on en fait parfois trop. 

Que celui qui vient pour en savoir plus sur l’art contemporain passe son chemin. L’exposition n’apprend pas – ou peu – de choses. Elle divertit, c’est certain. Mais mettre de l’art entre des pâtes et de l’huile d’olive ne suffit pas à le démocratiser. Reléguées au second plan, les œuvres, ni nommées ni expliquées, font office de décor derrière une scénographie tendance. D’une pierre deux coups : « Truc à faire »sous-estime l’intérêt des visiteurs sans leur donner la moindre chance de comprendre le propos créatif face auquel ils se trouvent et par la même, expédie les démarches artistiques contemporaines qui tannent déjà à se faire comprendre du grand public.

 ACHETER SANS CONTEMPLER

Va donc pour le livre signé, pour les conserves, et les paniers de supermarché. Mais les artistes dans tout ça ? Que dire des latrines en or de Subodh Gupta ? Des timbres africains grandeur tableau de Kader Attia ? Des photos trompe-l’oeil de JR ? Du nuage seul et suspendu de Leandro Erlich ? Du tissu bi-colore de Daniel Buren ? Sur les étiquettes fluos, les seuls nom d’artistes mentionnés tels des super réductions font état du manque à gagner du visiteur non initié : Que diable ces œuvres représentent-elles ? Sur cela, pas un mot, pas une ligne. Tant pis. Vous reprendrez bien un paquet de pâtes ? 

Pourtant le cœur y est : rien qu’à son nom, « Truc à faire » suggère au visiteur de fréquenter la galerie d’art aussi souvent qu’il fait ses emplettes quotidiennes. Un crédo que la vitrine de la Galleria Continua n’est pas sans évoquer. Sous ses airs de boutique de quartier, elle invite le passant à entrer et prend à contresens la solennité austère souvent arborée par les galeries parisiennes. L’effort est fait…

… Mais loin d’être suffisant. Et de l’art de grande surface à l’art en surface, il n’y a donc qu’un pas. Si l’on ne dit pas non à la Galleria Continua, on l’attend au tournant. Elle qui prévoit d’agrémenter son site d’un café, d’une boutique et d’une salle dédiée aux conférences, doit maintenant jouer quitte ou double : perdre la création dans une série de services et de condiments ou mettre son divertissement au service des œuvres d’art. Affaire à suivre. 

Perla Msika

La Perle

Exposition “Truc à faire”
Du 21 janvier au 20 mars 2021
Galleria Continua
87 rue du Temple 75003 Paris
 Commissaire d’exposition : JR
Instagram : @jr
www.galleriacontinua.com
Instagram : @galleriacontinua