Alors que les derniers vacanciers quittent leurs plages, les rues de la cité phocéenne font l’objet de meurtres sanglants. Impliquées dans de probables règlements de compte, trois personnes sont décédées dimanche dernier dans le XIVème et le XIIIème arrondissement de Marseille. Les deux premières victimes ont été tuées par balles tandis que l’autre enlevée sous l’œil des caméras de surveillance aux abords de la Gare Saint Charles a été retrouvée, quelques kilomètres plus loin, brûlée dans le coffre d’une voiture.
Si ces évènements ont, ces dernières semaines, connu une augmentation considérable, ils tracent, malgré eux, une triste réputation aux dits quartiers nord de Marseille. Le revers furieux et sulfureux d’une ville en plein ébullition dont le réalisateur Cédric Jimenez s’est emparé de manière inattendue. Inspiré de faits réels, son film BAC Nord porte un scandale judiciaire sur le grand écran.
“INSPIRÉ DE FAITS RÉELS” : LA RECETTE À ROMANCER DE CÉDRIC JIMENEZ
Polar à polémiques, BAC Nord puise dans la curiosité que l’appellation « inspiré de faits réels » – mentionnée au début de la projection – suscite chez tout spectateur. On plonge la tête dans le guidon aux côtés de Greg (Gilles Lellouche), Yass (Karim Leklou) et Antoine (François Civil), membres de la Brigade Anti Criminalité ( BAC ) des quartiers nords de Marseille. Poussé par une hiérarchie en quête de résultats, le trio s’emploi à des méthodes douteuses pour enrayer une délinquance sur laquelle ils n’ont plus prise. Un engrenage qui attire l’attention du système judiciaire jusqu’à les mener à leur tour, sur le banc des accusés.
Se défendant d’être des « ripoux », les trois flics font lumière sur une réalité plus complexe qui les oblige à agir en conséquence. C’est du moins la version que soutiennent ceux qui ont inspiré le film. Ils ne sont pas trois mais dix-huit impliqués de près ou de loin dans la très médiatique « Affaire de la Bac Nord de Marseille ». Visés en 2012 par des accusations de vol, de racket, de corruption et de trafic de drogue, ils avaient, au dernier procès, été tantôt relaxés, tantôt condamnés à des peines de prison avec sursis. Après appel du parquet, l’affaire reste non classée.
Amoureux éperdu de sa ville natale, Cédric Jimenez ne cache rien de ce qui s’y passe. Après La French ( 2014 ) – récit du trafic d’héroïne mené dans les années 1970 par les acteurs marseillais de la French Connexion – le réalisateur s’attaque à des thèmes aussi contemporains que délicats : l’insécurité, la délinquance, l’impuissance et les travers de la police face à ce que le film dépeint comme des zones de non droit. Autant d’enjeux qui, au dernier festival de Cannes lui a valu la remarque embarrassante d’un journaliste irlandais : « J’ai regardé ça du point de vue d’un étranger et je me suis dit : peut-être que je vais voter Le Pen après cela » Rires gênés et yeux écarquillés.
Mais Jimenez persiste et insiste : si le film se veut proche d’une réalité trop lourde pour la dissimuler sous l’intrigue, il est aussi l’expression romancée du prisme des policiers. Autrement dit : une version dans une version et non une stricte vérité. Car dans les quartiers nords de Bac Nord, le flic flirte avec l’indicateur ( Kenza Fortas, découverte dans Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin ), subit la trahison de sa hiérarchie ou verse des larmes de crocodiles au moment du choix cornélien..De quoi rendre le film plaisant, poignant, tendance téléfilm à quelques instants mais sans jamais l’embarquer dans un terrain trop engagé où trop glissant.
UNE IMMERSION EN DEUX PARTIES : L’UNE INTENSE, L’AUTRE EXPÉDIÉE
Au départ d’un flashback, on démarre sur les chapeaux de roues. Présentation du décor de cité en pleine course poursuite et immersion totale dans la galère du flic. Dépitée, l’équipe compense son impuissance par une complicité type « tous dans le même bateau » qui nous les rend sympathiques. À coup d’épée dans l’eau, ils n’ont plus que leurs rires pour pleurer quand le spectateur, dépassé à son tour par la machine du trafic de drogue, finit par consentir à leurs méthodes peu orthodoxes. On fait comme on peut.
Mais l’immersion ne se limite pas au triste statu quo des quartiers nords. Elle panse la violence en sublimant le patrimoine officieux de Marseille : jargons multiples, scènes de marché et vues sur mer, l’incarnation bouillonnante de la Cosmopolitanie – un terme que l’on doit à Soprano, rappeur marseillais – trouve son point d’acmé dans le charme… de JUL et de « La bandite », un titre engageant qui réconcilie flics fatigués et jeunes de quartier.
Le rythme est intense, jouissif et Bac Nord un film de terrain… au moins jusqu’à la seconde partie du film où les personnages, rattrapés par leurs magouilles font l’objet d’un scandale judiciaire. Plus romancées, les trente dernières minutes expédient la fin à coup de scènes à pathos rompant l’impression de vrai qui nous guidait jusqu’alors. Insatisfaits, on prend la fin cornélienne de plein fouet.
Bac Nord, se justifie encore, Jimenez, est d’abord une fiction. Soit. Mais derrière ce choix narratif, on soupçonne une forme de fatalisme – déjà exprimé à l’issue des Misérables de Ladj Ly : comment mettre un point digne de ce nom à un film sur les dérives de la banlieue – du flic au trafic – quand la réalité laisse en proie à un fossé sans fins, ni solutions ? Sous couvert d’un fait divers, Bac Nord interroge : Qui de la poule ou de l’œuf ? La fin justifie-t-elle les moyens ? Devant de telles questions, mieux vaut finir en queue de poisson.