Jeff Koons et Damien Hirst titillent les traditions

Ici c’est Paris… et Marseille bébé : deux des artistes les plus cotés au monde font œuvre fracassante au cœur des deux premières villes de France. De la Fondation Cartier parisienne au Mucem de Marseille, Koons et Hirst interrogent, quitte à détrôner, le poids des traditions.

Cerisiers en Fleurs – Damien Hirst – 2020
Balloon Dog – Jeff Koons – 1994 / 2000

Jeff Koons gonfle les ballons, Damien Hirst les éclate. L’un les érige au rang de sculpture à hélium, l’autre semble les écraser sur la toile. Mais alors que le premier pose ses valises et bouées de mer au cœur du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) de Marseille, le second préfère le Paris de la Fondation Cartier. Sans s’être donnés le mot, les deux artistes font la paire : pas de concours d’ego, ni d’octogone sans règles mais une démarche commune : reprendre le fil créatif de leurs prédécesseurs – quand d’aucun se plaisent à blâmer le vide intersidéral de leur œuvre. Sus à la tradition, deux des artistes les plus cotés au monde contre-attaquent.

KITCH IS THE NEW TRADITION

Décidément, François Pinault est partout. Après avoir inauguré son propre musée d’art contemporain à Paris, l’homme d’affaires diffuse sa collection hors les murs en prêtant 19 pièces de l’artiste Jeff Koons au Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Gros, grand, coloré, reluisant comme du papier bonbon, l’œuvre de l’artiste cause avec près de 300 objets tirés des collections du musée. Parmi eux, de la vaisselle, du mobilier artisanal, des objets religieux et des habits traditionnels… Ce qu’en général on regroupe sous le terme d’art populaire. Quel étrange mélange… Pourtant, entre l’armoire de grand-mère et le Balloon Dog vendu aux enchères, la frontière est plus mince qu’on ne le croit. 

À première vue tout oppose ces deux mondes. L’artisan est partisan du fait-main, l’artiste contemporain sous-traite. L’un créé pour utiliser tandis qu’on accuse l’autre de créer pour l’amour de l’art – ou de l’argent, les experts sont partagés. Mais les points communs, eux aussi, sont légions : tous deux gravitent autour d’un intérêt pour les objets du quotidien, pour le sens du symbole et pour la couleur à outrance. Traduction : Jeff Koons est plus traditionnel qu’on ne le croit. Ou devrais-je dire, pas moins traditionnel qu’un autre. 

Confrontant l’art populaire au kitch de l’artiste, le Mucem balaie d’un revers de main le poids des traditions. Non en les ringardisant, non en les ridiculisant mais en questionnant le prestige dont on les entoure sous prétexte d’ancienneté. En poussant le kitch à outrance, en détournant les traditions, Koons les réinvente : le petit cheval de manège devient une bouée de mer en forme de chenille, le coq en girouette au sommet d’un édifice devient le Titi jaune poussin voletant sur nos écrans TV. Quelle différence s’il vous plaît ? Rien sinon que les codes ont changé. Sinon que le divertissement et la consommation font désormais partie des coutumes. Kitsch is the new tradition.

Copie de DOLPHIN – JEFF KOONS Aluminium polychrome, acier inoxydable, chaînes d’acier vernies – 2002. Crédit photo : Perla Msika.

CERISIERS ACIDULÉS 

De retour à Paris, c’est la tradition de l’art moderne qui voit ses codes revisités : avec sa série des Cerisiers en Fleurs,Damien Hirst s’inscrit ouvertement dans la tradition des génies qui ont forcé sur la palette pour dépeindre une nature paisible et sublime À une différence près : en bon anglais qui se respecte, l’artiste ne manque pas d’y ajouter la touche qui tue. L’esprit rock qui change tout. 

Place aux giclées de peinture, aux couleurs acidulées, Hirst ne colle pas au réel mais ravive la nature. Ses cerisiers sont alléchants comme les animés japonais et Les Nymphéas de Claude Monet, comme les stands de fête foraine, les Amandiers de Van Gogh et les toiles à l’Ipad de David Hockney. Aussi, tandis que Koons confronte son œuvre à la tradition, Hirst quant à lui fait corps avec les références et plie la nature, modèle intemporel à son regard plus que contemporain. 

À la Fondation Cartier, les baies vitrées donnent sur le jardin. Comme dans son atelier sur la Tamise de Londres, les œuvres du peintre ont vue sur l’extérieur. La végétation,verte à souhait, prend alors quelques couleurs. Parmi les cent Cerisiers en Fleurs issues de la série du même nom, 30 toiles ont pris leur quartier à la Fondation et bourgeonnent – après plusieurs mois de report – jusqu’en janvier 2022.

“HIRST NE COLLE PAS AU RÉEL MAIS RAVIVE LA NATURE. SES CERISIERS SONT ALLÉCHANTS COMME LES ANIMÉS JAPONAIS.”

Cerisiers en Fleurs – Damien Hirst – 2020

Perla Msika

La Perle

Exposition « Jeff Koons Mucem : oeuvres de la collection Pinault » 
Du 19 mai au 18 octobre 2021
Musée des civilisations d’Europe et de Méditerranée
1 Espl. J4, 13002 Marseille
Commissaire d’exposition : Elena Geuna et Émilie Girard
www.mucem.org
Instagram : @mucem_officiel

Exposition « Damien Hirst : Cerisiers en Fleurs » 
Du 6 juillet au 2 janvier 2022 
Fondation Cartier pour l’art contemporain
261 Boulevard Raspail 75014 Paris 
Commissaire d’exposition : Hervé Chandès
www.fondationcartier.com
Instagram : @fondationcartier