Pauvre Bitos : en tête-à-tête avec la cruauté au théâtre Hébertot

Grinçante, captivante, la pièce de Jean Anouilh, Pauvre Bitos ou le diner de têtes, est à l’affiche du théâtre Hébertot. Plus de 70 ans après avoir scandalisé le Tout-Paris, le nouvel éclairage de l’œuvre maîtresse du dramaturge est porté par d’excellents comédiens, sous la direction de Thierry Harcourt.

Si ce titre de la pièce de Jean Anouilh peut paraitre pour le moins mystérieux, il ne manque pas de faire écho à la très populaires comédie française Le Diner de cons (Francis Veber).  Et à juste titre. Dans Pauvre Bitos ou le diner de tête, mis en scène au Théâtre Hébertot, plusieurs personnalités de la bonne société d’après-guerre décident d’organiser un dîner déguisé, autrement appelé, dîner de têtes. Le thème est choisi à dessein : la Révolution française. Ils y convient Bitos, substitut du procureur de la République, grimé pour l’occasion sous les traits de Robespierre. Jusqu’au 15 juin.

Bitos est un homme zélé, dogmatique à l’excès. Prenant part aux répressions de l’épuration d’après-guerre, celui-ci dérange, répugne. De l’inimitié qu’il suscite naît ce dîner qui, peu à peu, glisse vers une farce cruelle, destinée à l’humilier. Une vendetta en comité restreint dont aucun des invités ne sortira indemne.  

UN THÉÂTRE EN MIROIR DE L’HISTOIRE

Scandale à sa présentation en 1956, succès théâtral par la suite, Pauvre Bitos percute, encore et toujours. Sa portée politique, inhérente au contexte de l’époque et autrefois polémique, n’a sans conteste plus la même ampleur. Mais Anouilh offre une pièce aux lectures multiples, d’une rare complexité. Car celui-ci est avant tout un auteur naturaliste, disséqueur de l’âme humaine qu’il dépeint, sans fards ni artifices.

Faisant le parallèle entre deux périodes, Terreur d’un côté, Libération de l’autre, Anouilh laisse à voir l’Homme dans ses plus vils travers, ses ambivalences inconciliables. Usant de la scène comme d’un miroir aux reflets impitoyables, celui-ci fait ainsi résonner la société qui fut la sienne avec celle de notre temps.

Crédits photo : Bernard Richebé

« Jean Anouilh est un disséqueur de l’âme humaine qu’il dépeint, sans fards ni artifices. »

UNE ADAPTATION EN COHÉRENCE ET CONVICTION

Montée pour la dernière fois en 1967, l’œuvre attendait patiemment  un metteur en scène et  des acteurs de haut vol pour renouer avec son panache d’antan. Avec Thierry Harcourt à la mise en scène, Maxime d’Aboville dans le rôle de Bitos et ses six comparses de jeu (Adina Carniatu, Françis Lombrail, Adrien Mélin, Etienne Ménard, Sybille Montagne, François Nambot), voilà une affaire rondement menée. 

Dès le rideau levé, la justesse de l’adaptation s’impose. Prenant pour décor les coulisses du théâtre Hébertot dans ses plus simples apparats, Thierry Harcourt fait ici le choix d’une mise en scène à l’esthétisme suranné. Dans ce vaste espace épuré, les acteurs, parés de costumes et perruques d’époque, s’attablent, solennels : jonglant entre les figures révolutionnaires qu’ils incarnent et leurs rôles-titres, l’immersion débute, captivante. La mécanique est en marche. Le texte, condensé pour l’occasion, s’égrène sur un rythme neuf, implacable. Il n’en perd rien de ses enjeux premiers.

Cette version du Dîner de têtes séduit par sa cohérence et la force de jeu de ses comédiens. Crédits photo : Bernard Richebé

Il faut avouer que l’engagement collégial de l’ensemble des comédiens y contribue grandement. Tous se distinguent, révélant tour à tour,  la petitesse de leurs personnages, aveuglés par la ferveur de leur vengeance. Face à eux, Maxime d’Aboville réussit à camper un Bitos aussi intraitable que troublant. Pétri de tics, laissant poindre les failles de cet homme au passé douloureux, celui-ci lui offre les nuances auxquelles Anouilh avait songé.

Mais dès le rideau tombé, le constat fuse, sans appel : tous se sont avilis. Seul le personnage de Victoire (Sybille Montagne) esquisse un acte de repentir, salutaire. De cette confrontation lucide avec la bassesse humaine, le spectateur ressortira sans nul doute troublé. Si la vérité incommode, la voici prête à questionner.

Cette version du Dîner de têtes séduit par sa cohérence et la force de jeu de ses comédiens. Tous réussissent ainsi le pari de retranscrire l’équilibre subtil de l’œuvre d’Anouilh, aussi amère que savoureuse. Une dégustation des plus réjouissantes.

Amandine Violé

La Perle

« Pauvre Bitos ou le diner de têtes » de Jean Anouilh
Mise en scène : Thierry Harcourt
Du 31 mai au 15 juin 2024

Théâtre Hébertot
78 bis bd des Batignolles 75017 Paris

www.theatrehebertot.com
Instagram : @theatre_hébertot