Réalisé par le cinéaste français et membre du collectif artistique Kourtrajmé, Romain Gavras, le film Athéna est disponible sur la plateforme streaming Netflix depuis le 23 septembre dernier. Depuis lors, la presse critique pointe notamment le vide d’un scénario qui fantasme la jeunesse des banlieues au détriment d’une juste représentation. Mais au-delà de ce souci de représentation jugé maladroit, c’est d’abord le ton tragique inspiré des pièces de l’Antiquité qui transcende le propos du film.
EXAGÉRER POUR DÉNONCER
Tout y est. La fable ou cette mort tragique comme point de départ de l’intrigue ; Les personnages ou les trois frères, le policier et l’homme fiché S ; La diction ou le jargon des caractères ; la morale ou la stratégie de guerre mise en place ; le spectacle ou la force des images et des tableaux. Ces cinq éléments qui composent une partie d’Athena sont les codes de la tragédie grecque. Romain Gavras affirme s’en être inspiré pour créer. Il reprend, dans la fiction, un genre qui existe depuis depuis l’Antiquité pour raconter un problème de société actuel : après la mort de leur frère, Idir suite à une prétendue bavure policière, Moktar (Ouassini Embarek) Abdel (Dali Benssalah) et Karim (Sami Slimane) font face aux émeutes ultra violentes de leur cité : Athena. Le premier voit son business de trafic de drogue contrarié, le second, militaire, tente d’apaiser les tensions tandis que le dernier, plus jeune, mène les affrontements contre la police. Gavras décèle ici la réalité d’un autre œil. Il s’empare d’un sujet profond, délicat et contemporain et lui apporte une dimension nouvelle, grâce à des composantes inattendues.
Au départ d’une pénible réalité sur laquelle le film se base, celle d’une mort tragique : rien ne choque. Gavras n’embellit pas la violence, il la questionne. Il pousse le combat à son paroxysme, jusqu’à ce que ce soit trop extrême pour y croire. Comme pour une tragédie, le réalisateur mime le réel. Il amplifie, il concrétise via sa caméra à traduire une souffrance et un fantasme, ressentis par les proches de la victime, Idir. Des sentiments qu’aucun personnage ne semble oser exprimer. Par raison ? Par sang froid ? Par peur ? Peu importe : la limite de l’épanchement ne doit pas être franchie.
Athena explore justement ce tabou au prisme de la fiction. Il transmet par le chaos, le degré de souffrance d’un deuil, d’une mise à l’écart, d’une faille. Il met en avant la folie, celle qui peut prendre tout un chacun à la suite d’un traumatisme et la déploie à échelle collective. Une tragédie grecque est d’ailleurs fondée sur ce conflit : mettre en scène sur une situation dont on doit à la fois taire et cerner le tabou originel.
“ATHENA RESTE L’EXPRESSION STYLISÉE D’UN FAIT DE SOCIÉTÉ.“
UNE EMPREINTE THÉÂTRALE ET POLITIQUE
Au delà du réalisme, Gavras propose une théâtralisation qui gonfle le point de vue de la jeunesse d’Athena. Si les plans larges sont, ici, dignes des toiles de maîtres, si certaines scènes s’érigent en tableaux épiques et historiques, c’est pour mieux faire empreinte, pour mieux inscrire. Mais quoi donc ? Ce que le réalisateur juge invisibilisé : les souffrances, la colère. Un propos mis en valeur par une absence volontaire de contexte : comme si le temps et l’espace étaient suspendus, le spectateur est nulle part et partout, ni hier, ni aujourd’hui, ni même demain. Il est confronté à la violence brut du récit.
C’est en usant de ces stratagèmes, en jouant avec l’image, les symboles et sa créativité que Gavras construit, en équipe, un objet culturel. Très peu d’effets 3D, des décors naturels. Le réalisateur nous promène entre vrai et faux : le faux, le théâtral pour amplifier et nuancer ; le vrai pour ancrer le film. Exemple de cette pellicule à double tranchant, le lieu du tournage n’est autre que le Parc aux Lièvres (Évry), une cité vouée à être partiellement détruite. Une histoire impossible par sa démesure mais dans un endroit on ne peut plus réel.
A noter également que le scénario est co-écrit par Ladj Ly, réalisateur du film césarisé, Les Misérables (2019) qui raconte les tensions entre jeunes de banlieues et policiers. Originaire de la cité des Bosquets à Montfermeil (Seine-Saint-Denis), l’engagement et l’oeuvre du scénariste se portent, d’une certaine manière, garants de l’authenticité du propos mais aussi pris politiquement à parti. En ce sens, Athena est et reste l’expression stylisée d’un fait de société. Un film apprécié pour sa performance esthétique mais ambivalent quant au message politique renvoyé. Il ouvre un peu plus le débat sur la place de l’art et du cinéma dans une actualité qui divise.