Les sujets des œuvres en pastel ont souvent
trait à ce qui nous est le plus intime, du corps à l’esprit.
Photo : Femme à sa toilette essuyant son pied gauche, Edgar Degas, 1886
Crédits : Alexandra Beraldin
Avec « Pastels. de Millet à Redon », le musée d’Orsay cherche à valoriser et à faire découvrir sa collection de pastels bien fournie. À l’épreuve d’artistes du XIXème siècle, l’exposition met en avant une forme singulière qui n’est ni dessin, ni peinture. Le pastel se dévoile comme un art du sensible. À partir d’une matière source fragile, les sujets des œuvres en pastel ont souvent trait à ce qui nous est le plus intime, du corps à l’esprit. Jusqu’au 2 juillet 2023.
Lumière, moisissure, poussière, tout choc peut endommager « la fleur du pastel », cette fine couche de pigment de couleur déposée, mélangée à de la craie et estompée pour faire œuvre. Cette fragilité s’applique aussi aux sujets qui semblent éclore sur la surface du papier. Une potentiel sensible qui a inspiré de nombreux artistes : dessiner au pastel, c’est effleurer l’âme de son modèle.
LE PORTRAIT, PREMIER SUJET DU PASTEL
Les tableaux choisis à l’occasion de cette exposition proviennent principalement de la seconde moitié du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Si le pastel est utilisé dès le XVème siècle – Léonard de Vinci est l’un des premiers à s’en servir – la technique est particulièrement exploitée dans l’art moderne.
L’art du pastel est apprécié pour sa richesse de couleurs, sa facilité d’utilisation et sa capacité à créer des œuvres d’une grande luminosité. Pour cette raison, il est souvent utilisé pour les portraits.
D’une part, le Portrait de Marie de Heredia d’Émile Lévy est un tableau somptueux et sensuel grâce aux contrastes de couleurs. D’autre part, le Portrait de Georges Rodenbach de Lucien Lévy-Dhurmer est marqué par un flou qui envahit le tableau comme une brume. Dans ces deux tableaux, le pastel crée l’impression d’une empreinte de l’émotion du sujet figé dans le temps.
« Le pastel crée l’impression d’une empreinte de l’émotion du sujet figé dans le temps. »
Portrait de Marie de Heredia, 1887, Emile Levy
UNE MISE À NU
Le pastel se porte, en effet, sur l’introspection du sujet. Ses empreintes de couleurs se prêtent bien à l’intimité. Les œuvres réalisées au pastel peuvent avoir une apparence veloutée et douce au toucher, créant ainsi une texture sensuelle et difficile à obtenir avec d’autres médiums.
Une technique très à propos pour l’art du nu. Proposant une grande variété de styles, chaque nu de l’exposition a sa particularité : Étude de nu dans un intérieur d’Émile René Ménard projette un corps érotique, tandis qu’Edgar Degas démontre dans Femme à sa toilette essuyant son pied gauche qu’être nu est aussi un geste du quotidien. Si les modèles de Degas détournent le regard, ils parviennent néanmoins à attirer celui du spectateur.
VISIONS DE RÊVE ET D’HORREUR
L’exposition propose aussi plusieurs œuvres de l’artiste du courant symboliste Odilon Redon. Les pastels de Redon regorgent de couleurs vives et de figures ésotériques. L’artiste choisit la mythologie, la spiritualité et des images de sa propre imagination pour créer.
Il réussit à donner le souffle à chaque forme et figure qu’il représente par des couleurs vives. Le tableau La Coquille représente beaucoup plus qu’un simple coquillage. Un sujet caché se trouve-t-il dans cette forme ? La couleur émane de la coquille. Elle semble vivante. Elle vibre.
Par ailleurs, la technique visant à estomper le pastel permet aussi à l’imaginaire mythologique de se déployer. Ici encore, Lévy-Dhurmer étonne avec un pastel inachevé d’une sorcière. Celle ci, ténébreuse et entourée de ses animaux laisse transparaître sa vie intérieure. Son regard détourné ne fait qu’augmenter l’intérêt qu’on lui porte : quelle est son histoire ? Plus qu’un personnage de conte, c’est une figure qui hante l’imaginaire.
Délicat et velouté, le pastel jouent avec nos impressions, nos émotions. Au XIXème siècle, époque des révolutions politiques, du bouleversement industriel mais aussi de la confrontation aux cultures coloniales et de la découverte du psychisme, l’instabilité est partout.
Et le pastel apparait comme un potentiel que les artistes ne peuvent négliger. Il est l’empreinte de tout ce qui est vivant : toujours en mouvement et toujours changeant.