La famille s’agrandit. Après avoir posé ses valises rue des Filles du Calvaire, la 193 Gallery inaugure un nouvel espace de deux étages non loin de l’agitation urbaine de la Place de la République. Si la démarche reste la même – défendre le travail d’artistes de chacun des 193 pays du monde – le projet du galeriste, César Lévy, exigeait plus de place pour se déployer. C’est désormais chose faite.
CRÉOLISER LE MARCHÉ
Et pour ouvrir les festivités, le choix de la 193 Gallery s’est porté sur le travail de Jean Marc Hunt. Au rez-de chaussée de l’espace, l’artiste guadeloupéen livre les complexités de la créolisation du monde. Son exposition « Ti’Punch Molotov » secoue le visiteur de son abstraction fébrile, symbole d’une société antillaise en pleine ébullition.
Fortes de références aux cultures afro-descendantes, ses dessins, ses peintures insèrent les signes et les termes de sa mythologie artistique : le film de Quentin Tarantino Django Unchained, la figure vaudou, Baron Samdi, les pas de Krump, danse tirée des mouvements afro, la réplique « I can’t breathe » prononcée par l’afro-américain George Floyd avant d’être tué par la police… Jean Marc Hunt recueille l’ensemble des clés nécessaires à ses revendications. Sur papier, toile et plaque d’aluminium, il questionne le choc des cultures et les enjeux de dominations sociales. Un couac toutefois : n’aurait-on pas déjà croisé cette esthétique type Jean Michel Basquiat ? Si nous sommes loin de l’underground et des graffitis new-yorkais, l’influence de la touche, elle, est palpable.
Arrivés à l’étage, le paysage photographique nous semble familier. Largement perturbée par la crise sanitaire, l’exposition collective « Colors of Africa » présentée en octobre 2021, avait difficilement pu présenter l’œuvre de Thandiwe Muriu à la scène française. Ouvert, fermé, ouvert, fermé… Mais reculer pour mieux sauter : dans l’espace Loft du24 rue Béranger, la photographe kényane a droit, cette fois-ci, à son propre solo-show.
Le tissu wax pour toile de fond, l’artiste sollicite là une autre abstraction : plus géométrique, plus dessinée – laquelle n’est pas sans rappeler l’influence de la photographie malienne mais également celle du photographe anglo-marocain, Hassan Hajjaj, aperçue quelqu’un étage plus bas. De sa pellicule, Muriu hisse bien haut le flambeau du portrait stylisé où la femme africaine tient une place de choix. Témoins d’une culture tiraillée, ses modèles posent, confiantes, entre coiffures traditionnelles et clin d’œil à l’Occident consumériste.
EN GALERIE COMME À LA MAISON
Mais pour initier à cette scène nouvelle, la 193 Gallery se plaît surtout à faire de l’expérience en galerie un moment agréable. A l’équipe chaleureuse des Filles du Calvaire s’ajoutent un bar, des tables et des canapés ainsi que – jour de vernissage – un DJ. Un parti pris attendu quand on sait que la 193 Gallery mêle régulièrement ses expositions à des concerts, des conférences, des résidences d’artistes et des live Instagram animés. Une galerie comme à la maison entre confort et cadre huppé qui met le visiteur à son aise et transgresse volontiers les techniques d’exposition classiques. Pour résonner avec le travail de Muriu, une alcôve plus intime recèle le travail du ghanéen Derrick Ofosu Boateng – l’iPhone fait des merveilles ! – tandis qu’un couloir sombre suscite le goût de l’interdit : néons rouges, œuvres subversives. Alors, galerie ou speak-easy ?
Se risquant à bousculer l’arrogance frenchy des quartiers branchés, La 193 Gallery porte en son sein l’ADN de ce que l’ère de la mondialisation offre au milieu artistique parisien : un peu moins d’exclusivité, un peu plus de chaleur et pléthore de talents étrangers.