LE JEUDI DES BEAUX ARTS TAQUINE LES MESURES SANITAIRES
Cette semaine, c’est une initiative collective qui nous intéresse. Un pied de nez pour être exact. En réponse au « dedans avec les miens, dehors en citoyen » clamé par le premier ministre Jean Castex, le Jeudi des Beaux arts, association de galeries parisiennes, s’est décidé à jouer – sans les enfreindre – avec les nouvelles mesures gouvernementales.
Le Jeudi des Beaux Arts n’est pas à sa première initiative en faveur de public. Après avoir lancé des nocturnes artistiques tous les premiers jeudis du mois, le collectif réagit à la fermeture des galeries en proposant une exposition lèche-vitrine tout le long de la rue des Beaux Arts, dans le VIème arrondissement de Paris.
Si aucune âme n’est donc autorisée à passer leurs portes, il reste possible de contempler les devantures des vingt-cinq galeries participantes qui, « à visage découvert », use du thème de l’exposition pour opérer une résistance artistique – mais implicite – en vitrine. Cachez ces galeries que je ne saurais voir.
LES GALERIES À VISAGE DÉCOUVERT
D’un commun accord, tous les marchands d’art ont adapté leur domaine de prédilection à la représentation des visages. Le thème, très à propos, permet non seulement de repenser la face et le masque – accessoire pandémique très en vogue – et de se montrer sans laisser rentrer : non loin des masques africains de la galerie Abla et Alain Lecomte, les têtes chair et déformées de Francis Bacon trônent en vitrine de la JCS Gallery.
Comme si elle avait anticipé, le galerie Le Minotaure propose quant à elle, une série de portraits entre subversion et beauté. De son côté, le styliste Jean Charles de Castelbajac a pris la liberté de laisser des traces de son passage : ses créatures dessinées à la craie sur les murs et les rideaux baissés, marqueraient presque les étapes de cette exposition ciel ouvert.
Gagnant-gagnant, l’exposition plaît à ceux qui la montent comme à ceux qui la contemplent : « Depuis le 1er avril, notre événement a réuni beaucoup de monde, se réjouit la galeriste Marie-Hélène de la Forest Divonne, à l’origine du Jeudi des Beaux Arts. Mon bureau étant juste derrière les vitrines, j’aperçois les gens qui s’arrêtent et qui regardent sans forcément être des habitués. » Pour honorer les visages, sa vitrine arbore elle aussi, des masques… de beauté. Celui d’Elsa & Johanna, deux photographes pointant les dessous du féminin.
« Depuis la fermeture des musées, les gens se sont rendu compte que les galeries étaient à portée de main, poursuit-elle. C’est un lieu de contact. Ils sont accueillis, peuvent poser des questions et rester le temps qu’ils veulent. » Aujourd’hui fermées, les galeries se refusent à rompre le lien. Dans le reflet de leurs vitrines, elles semblent bien décidées à s’adapter…
PROTESTER, RÉSISTER, REBONDIR
… A condition de ne pas se voiler la face : le 26 mars 2021, le Comité professionnel des galeries d’art a déposé un recours auprès du Conseil d’Etat. Ses membres pointent l’injustice qui, le 20 mars dernier, les a contraint à fermer tandis que les maisons de ventes aux enchères et les librairies peuvent, elles, rester ouvertes. Elles réclament donc leur réouverture.
Si elles attendent une réponse de pied ferme, pas question pour les galeries de faire le pied de grue. En parallèle de leur action « à visage découvert », nombreuses sont celles qui déploient leur activité en ligne. Certains en font même leur cheval de bataille. C’est le cas des galeries Loeve&Co et Love&Collect initiées par Hervé Loenvenbruck et Stéphane Correard. Tous deux ont su rebondir en prenant le tournant de l’e-shop. Et pas n’importe lequel : avec Love&Collect, inauguré en décembre 2020, les marchands proposent un magasin d’histoire de l’art où chaque jour, pendant 24 heures, une œuvre de leur sélection est accessible à prix d’amis. Pour ces jeunes galeries, même dans l’adversité, l’accessibilité reste le maître mot.
Et pour laisser leurs acheteurs voir leurs œuvres de plus près, les deux galeries ont trouvé moyen de ne pas fermer leurs portes : aujourd’hui, ce sont des librairies – et non des galeries – qui accueillent les passants. Officiellement. « Une pratique courante mais symbolique. La preuve d’un ras le bol » avoue Mathis, employé à la galerie Love&Collect. Si vous entrez donc pour faire l’achat d’un livre d’art, vous pouvez aussi contempler les œuvres, qui, par mégarde, ont été abandonnées sur les murs. Pour Loeve&Co, il s’agit de deux artistes au meilleur de leur kitsch : Milan Kunc et Philippe Mayaux.
Membres du Jeudi des Beaux Arts, les deux galeries jouent, elles aussi, le jeu des vitrines. A deux pas de l’Ecole des Beaux Arts, elles portent comme, l’ensemble du collectif, un message très prometteur : soutenir les artistes envers et contre tous.
Crédit photos : Perla Msika.