À l’occasion des 20 ans du Jeu de Paume et de sa réouverture après les Jeux Olympiques, l’institution revient avec une rétrospective de la cinéaste belge Chantal Akerman. Un flash-back fragmentaire et partiel.
Pour célébrer ses 20 ans, le musée du Jeu de Paume se lance dans une programmation détonante. “Chantal Akerman travelling” en hommage à la cinéaste belge, connue pour avoir réalisé des films engagés et intimes d’un tout nouveau genre.
Conçue de concert par le Palais des Beaux arts de Bruxelles (Bozar), la fondation Chantal Akerman et CINEMATEK, en collaboration avec Jeu de Paume pour sa présentation à Paris, l’exposition offre plus des fragments d’œuvres et de vie qu’une audacieuse vision d’ensemble.
Les villes d’Akerman
Chantal Akerman est l’une des figures centrales du cinéma moderne et expérimental, dont l’œuvre s’étend des années 1970 jusqu’aux années 2010. Dans ses films, elle traite des relations mère-fille, des sexualités et identités féminines, bref de la vie des femmes.
On sait à quel point il est difficile de mettre en scène une complète rétrospective d’artiste, décédé qui plus est – Chantal Akerman est morte en 2015. L’exposition repose sur les trois villes où l’artiste a vécu et travaillé.
“Bruxelles. Sa ville natale. La ville d’intérieurs intimes et le personnage principal de nombre de ses films. New York. La ville d’adoption. Ville d’échappées où elle tenait à distance sa naissance. La ville de son éveil cinématographique (...) et Paris. La ville qui l’a accueillie” décrit Marta Ponsa la commissaire de l’exposition
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Des fragments de génie
Sa filmographie englobe une grande variété de formes, allant du long-métrage narratif à l’essai documentaire et à l’installation vidéo . Et ce sont deux vidéos-installations qui ouvrent le parcours : In the Mirror (2007) et Woman Sitting after Killing (2001), extraits du film Jeanne Dielman plongent le visiteur dans l’intimité de portraits de femmes.
Dès son premier film, Saute ma ville (1968), un court-métrage tourné à 18 ans, Chantal Akerman impose un regard radical sur l’espace domestique et la condition féminine. Son œuvre la plus connue, Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975), est un film pionnier pour sa manière de représenter le quotidien féminin et le poids de la routine avec un réalisme brut et minimaliste.
D’autres extraits des ses films sont présentés, notamment D’Est (1993), un film documentaire poétique tourné après la chute du bloc soviétique, dans un contexte de bouleversements historiques majeurs en Europe de l’Est.
Le film se concentre sur l’expérience de l’exil, des déplacements et de la mémoire dans des pays qui sortent tout juste de décennies de régime communiste, notamment en Russie, en Pologne et en Ukraine. 25 moniteurs retracent en son et en images un voyage en travelling de l’Allemagne de l’Est jusqu’à Moscou, en passant par la Pologne, la Lituanie, l’Ukraine, de l’été à l’hiver.
L’artiste a, en effet, exploré les thèmes de l’errance et la mémoire, souvent en lien avec son propre héritage juif. Dans News from Home (1977), elle filme la ville tout en lisant les lettres de sa mère, créant un dialogue entre l’intime et le monde extérieur. Plus tard, dans des films comme D’Est (1993) ou La Captive (2000), elle continue de questionner les frontières, qu’elles soient géographiques ou émotionnelles.
« Le style d’Akerman est marqué par de longs plans fixes et une attention aux détails du quotidien, ce qui donne à son cinéma une dimension méditative. »
En manque de “matière vivante”
Pourtant, l’exposition, jalonnée d’installations de téléviseurs diffusant des images statiques extraites de quelques films, offre une approche incomplète et fragmentaire de l’œuvre d’Akerman. On aurait aimé mieux capter sa “matière vivante.”
À quelques pas, une autre exposition, dédiée à la photographe américaine Tina Barney, explore aussi les relations familiales et sociales. Moins réaliste, plus léchée, Family Ties dévoile des portraits de la bourgeoisie américaine, capturant des scènes qui mêlent intimité et distance émotionnelle.
Le style d’Akerman est, lui, marqué par de longs plans fixes, un usage minimal de la musique, et une attention aux détails du quotidien, ce qui donne à son cinéma une dimension presque méditative.
La pièce forte de l’exposition : une salle d’archive comme une irruption de documents. Une section qui impose un temps d’arrêt devant une sélection de documents conservés, pour l’essentiel, par la Fondation Chantal Akerman — Cinémathèque royale de Belgique (CINEMATEK) à Bruxelles. Scénarios, photographies de tournage, de plateau ou de repérage, coupures de presse, notes d’intention. Des documents précieux qui racontent une époque.
“Elle respirait son travail”
Figure de proue du cinéma moderne, Chantal Akerman est une artiste éclectique. En presque 50 ans de carrière, elle a produit une filmographie riche de près de 40 courts et longs métrages, ainsi que des documentaires, une comédie musicale et des installations. Des films considérés comme des films d’art soutenus par toute une communauté d’artistes.
“Elle respirait son travail. Elle ne pouvait pas faire semblant. Elle avait besoin d’une famille de cinéma qui la soutenait, qui la suivait” poursuit Marta Ponsa, la commissaire de l’exposition.
Dans cette famille de cinéma, il y a d’ailleurs Claire Atherton, la monteuse avec qui elle élaborait ses films. Les deux femmes, raconte la monteuse, éprouvent une compréhension mutuelle des images. Une collaboration qui ne requiert pas une vraie méthode académique mais plutôt un instinct : “Notre méthode : ne pas se poser trop de questions, ne pas avoir d’objectif clair, se laisser habiter par les images et les laisser infuser et se déployer comme des petits personnages. Essayer, tester et éprouver et comprendre en faisant : c’était ça le génie de Chantal.”
On aurait voulu approcher de plus près cet objet filmique non identifié. Si cette rétrospective donne sans un avant-goût du génie de Chantal Akerman, elle reste en surface, surtout à la portée d’initiés qui connaissaient déjà son œuvre.
Margaux Balloffet
La Perle
Exposition « Chantal Akerman. Travelling »
Du 28 septembre 2024 au 19 janvier 2025
Jeu de Paume
1 Place de la Concorde 75001 Paris
jeudepaume.org
Instagram :@jeudepaumeparis