Avec la création d’un club, la fondatrice de Millenn’Art tend la main aux amateurs d’art qui souhaitent approcher le marché. Visites en ateliers, rencontres avec des galeristes, conférences : l’abonnement mensuel qu’elle propose comprend une série d’activités guidées et privées. Pour l’entrepreneuse, devenir collectionneur passe par une initiation chaleureuse dans le milieu.
L’histoire d’Annabelle Cohen-Boulakia est cernée par un mot fort : la transmission. Bercée par l’héritage d’un père et d’un grand-père galeristes, d’une part. Animée par l’avenir d’un marché de l’art plus à la portée de la jeunesse, de l’autre. À 27 ans, elle est la fondatrice de Millenn’Art, un club d’art, à destination des millennials, cette tranche d’âge née dans les années 1980 – 1990. Avec sa collaboratrice, Louise Nédélec, elle tend la main à une génération encore intimidée par un marché qu’elle juge trop opaque, trop élitiste.
UNE RENCONTRE ENTRE LES JEUNES ET LE MARCHÉ DE L'ART
Tout commence en 2018. Alors encore en études supérieures, elle fréquente l’École des Beaux-Arts de Paris pour échanger avec de jeunes artistes. Là-bas, elle fait la rencontre de la bolivienne Kenia Almaraz Murillo, la première artiste à lui faire confiance. Annabelle Cohen-Boulakia la soutient et organise son premier solo-show en 2019 – une collaboration qui n’a pas cessé depuis.
L’évènement est un succès mais attire majoritairement un public d’initiés. « À cette époque, je suis partagée : je découvre à la fois la diversité de l’art contemporain mais aussi le frein qu’il impose : aucun de mes amis extérieurs à ce milieu n’ose le fréquenter. Ils pensent qu’ils n’y ont pas leur place. ». En 2020, l’étudiante en Master Innover & Entreprendre à l’ESCP dresse alors un constat : le marché de l’art ne s’adresse pas aux jeunes.
Ce qu’il faut créer, selon l’entrepreneuse, c’est donc une passerelle, et un autre mot clé : la rencontre. Galeries, ateliers d’artistes, fondations, conférences ou même diners, le club Millenn’Art organise une série d’évènements au cours desquels les membres font connaissance avec des acteurs du marché de l’art, et plus particulièrement avec les artistes. Ce qu’il faut, pour Annabelle Cohen-Boulakia, c’est un lien direct pour garantir l’authenticité de l’échange.
« En 2020, l’entrepreneuse dresse un constat : le marché ne s’adresse pas aux jeunes »
DÉVELOPPER L’ACHAT COUP DE COEUR
En octobre par exemple, la fondatrice a invité dix membres du club un diner chez elle. Elle a cuisiné aux côtés de l’artiste italo-brésilienne Daniela Busarello qu’elle s’apprête à exposer à Londres. Cette dernière doit y présenter une série d’oeuvres qui retrace l’évolution de son travail. Durant cette soirée, Annabelle Cohen-Boulakia et sa collaboratrice, Louise Nédélec, ont proposé un moment convivial, entre discussions et dégustations : cela encadré par la mise en scène des oeuvres. Une manière pour les membres d’aller à la rencontre de l’artiste comme de son univers d’inspirations.
Des activités régulières, donc, qui permettent d’aiguiser son goût, et, à terme de passer le pas de l’achat d’oeuvre d’art : « L’art se vit dans son ensemble, c’est un ressenti, une atmosphère. Cette approche sensible permet ensuite de devenir collectionneur car elle donne l’opportunité de développer un coup de coeur » analyse la fondatrice du club.
Pour elle, l’achat ne constitue pas seulement un investissement financier mais aussi un aboutissement personnel : faire en sorte que chacun des membres de Millenn’Art soit au fait des codes du milieu pour oser devenir collectionneur. Cet été, le club comptait environ 80 membres. Aujourd’hui, il en compte près de 130.
D’autant que les membres sont aussi accompagnés par Millenn’Art dans leur entreprise de collection « Nous organisons un rendez-vous pour que l’amateur puisse nous parler de ses inspirations. Quel thème ? Quel médium ? Quelle taille ? Cherche-t-il un achat décoratif ? Quel est son pouvoir d’achat ? Cet ensemble de questions va nous permettre de l’aiguiller vers des oeuvres susceptibles de lui convenir. »
Annabelle Cohen-Boulakia s’entoure de conseillers en art dit « art advisors », d’artistes et de galeristes partenaires pour offrir une proposition sur mesure. « La plupart de nos jeunes collectionneurs réalise leur premier achat avec nous » ajoute-t-elle.
CONVAINCRE LES ACTEURS DU MARCHÉ
Ce réseau reste pourtant difficile à convaincre : la réticence des acteurs du marché de l’art à un autre rythme d’achat est parfois tenace. Car, défendre l’achat coup de coeur implique, pour la fondatrice, de permettre au jeune collectionneur de se laisser séduire et donc de prendre son temps dans l’achat. Une stratégie à rebours du modèle actuel. Résultat : « On n’a pas adapté la découverte du marché de l’art aux jeunes car on croit qu’ils ne représentent pas une cible d’acheteurs ».
La période Covid a pourtant témoigné du contraire. Elle, qui a vu gonflé l’effervescence autour de l’art digital et de l’achat d’oeuvres NFTs en période de confinement. Cet indicateur constitue, selon Annabelle Cohen-Boulakia, la preuve que les jeunes amateurs manifestent davantage leur envie de collectionner quand ils maitrisent les codes d’achat.
Mais elle refuse de se limiter au terrain digital et tente de convaincre les galeristes, commissaires d’exposition et experts de se laisser tenter par le pari. « C’est parfois difficile de programmer, de les persuader qu’ils ne perdent pas leur temps ». À ce jour pourtant, 10 % des membres du club collectionnent sous les conseils de Millenn’Art. Et, un tiers de ces collectionneurs ont acheté plus de deux oeuvres.
Un combat qui n’est pas sans une difficulté intime. En se portant caution de ces nouveaux amateurs, la galeriste pousse le modèle qu’on lui a transmis dans ses retranchements : « Ce qui m’intimide ce n’est pas tant mon projet en soi mais le tiraillement qu’il impose : j’appartiens au monde de l’art depuis toujours mais je prétends rompre avec certains codes. »
« Les jeunes acheteurs cherchent moins l’esthétique que le message de l’oeuvre. »
DES "MILLENIALS" EN QUÊTE DE SENS
De son héritage familial, elle garde l’importance de l’accueil chaleureux et convivial qu’elle cultive avec l’esprit collectif du club. Mais elle rompt le modèle en affirmant, sans jugement : « Il n’y a pas de petits prix pour commencer à collectionner. » C’est même, selon elle, une première étape permettant de se connaître avant d’investir de plus grosses sommes.
D’autant que les attentes ont changé : l’investissement financier et la sensibilité esthétique ne sont plus les seuls facteurs d’achat. Annabelle Cohen-Boulakia relève dans ses échanges avec les jeunes amateurs, un goût pour la quête de sens. « Ils cherchent souvent une oeuvre qui va raconter une histoire, et transmettre un message, auquel ils sont sensibles. »
L’investissement, ainsi, ne se limite pas à l’objet mais presque à l’achat d’une partie de la vie de l’artiste. « C’est souvent ce qui incite au premier achat. Mais cela peut évoluer par la suite. »
Cette posture d’accessibilité reste parfois difficile à tenir. Surtout dans le cercle entrepreneur : « Millenn’Art est peut-être parfois pris de haut par le monde des starts-up : difficile d’avoir une projet business dans le domaine de la culture – mais je suis confiante. »
Et pour cause, l’entrepreneuse tient bon : en 2022, elle fait partie des lauréates de l’initiative « 100 Femmes de Culture » aux côtés notamment des actrices Agnès Jaoui et Julie Gayet. Un victoire qu’elle explique simplement : « C’est une fierté pour moi que de parvenir à amener les gens à l’art et de réussir à mêler, sans tabou, le business et l’éthique. »
Perla Msika
La Perle
En partenariat avec « Millenn’Art »