Olympiade culturelle : les quartiers populaires entrent en compétition

Démarré en 2022, le projet lié aux Jeux Olympiques de Paris 2024, doit être déployé partout en France, dans une optique de valorisation des territoires. En région parisienne, ce sont notamment les villes populaires de Nanterre (92) et de Saint-Denis (93) qui sont impliquées. Mais que prévoit concrètement cette initiative à mi-chemin entre le sport et la culture ?

Le département de Seine-Saint-Denis doit accueillir plusieurs initiatives officielles de l’Olympiade culturelle. Un département historiquement rattaché aux initiatives plus informelles : rap, hip hop, graffitis. Crédit photo : Office du tourisme Plaine Commune Grand Paris.

Un pas de plus pour le breakdance. En intégrant, pour la première fois, la compétition des Jeux Olympiques à l’occasion de Paris 2024, la discipline explore les croisements entre art et sport. Un tournant pour les Jeux qui s’extirpe des carcans de la performance exclusivement physique. Dans ce contexte, le Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 a lancé l’Olympiade culturelle. Une programmation artistique pluridisciplinaire qui s’étend, de l’été 2022 à septembre 2024 sur tout le territoire français. En Normandie, en Bretagne, en Occitanie ou même en Martinique. Mais en Île-de-France, principal site des rencontres sportives, ce sont des villes populaires comme Nanterre ou Colombes qui ont été sélectionnées pour accueillir plusieurs rendez-vous. Le département de Seine-Saint-Denis, également impliqué dans l’initiative, est le deuxième territoire le plus pauvre de France. 

Au-delà de son rayonnement à l’international, l’initiative entend cultiver le dialogue entre art et sport, là où les défis économiques et sociaux prennent le pas sur les politiques culturelles. Une manière de valoriser des territoires paupérisés. Ceci d’autant plus que le vivier créatif des quartiers populaires est habituellement rattaché à l’informel, à la rue. Rap, hip hop ou graffiti, les initiatives officielles n’y sont pas vraiment attendues. Le groupe NTM, aujourd’hui constitutif du patrimoine dionysien, rapait sans ambages vouloir « bâtir son toit au-dessus des lois ». Toujours est-il : au-delà de la bonne volonté du Comité, composé notamment de représentants de l’État et de la Ville de Paris, que propose cette Olympiade culturelle aux quartiers populaires ? L’occasion de se hisser grâce à des initiatives concrètes ou un plan de communication surfant sur la misère sociale ? 

UN DÉPART EN DEMI-TEINTE

La ligne de conduite de L’Olympiade culturelle est claire : garantir une expression plurielle des arts tout au long de la programmation. D’où sa double-modalité : Un appel à projets, d’une part et des collaborations avec des institutions culturelles et sportives situées sur la « Terre des jeux », d’autre part. Dans cette optique, la Seine-Saint-Denis, qui doit accueillir plusieurs épreuves sportives, est poussée au-devant de la scène. « La beauté du geste », thème choisi par les acteurs culturels et sportifs du département au nom d’un manifeste publié en 2020, doit réunir plusieurs évènements. L’un d’entre eux, largement prisé par la communication des JO, est celui d’une « parade de la jeunesse » menée d’ici à 2024 par huit établissements culturels, comme la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis (MC93) ou le théâtre Gérard Philipe. Un spectacle qui doit réunir artistes contemporains et population locale autour d’un « symbole d’une France culturelle ouverte et créative, incarnée en premier lieu par une jeunesse surprenante et métissée ». Ambitieux projet.

Dans les faits, le rayonnement culturel du département s’annonce moins radieux. Julien Beller est perplexe. En 2019, le fondateur du 6B, un espace de création artistique situé à Saint-Denis, s’est montré très enthousiaste à l’annonce de ce projet d’Olympiade culturelle. « L’initiative était faite pour attirer des projets sur un territoire et faire en sorte qu’il profite à la population et aux artistes déjà implantés. » Depuis, l’euphorie s’est peu à peu essoufflée. « Nous nous sommes mis en relation avec d’autres acteurs, notamment des plus petites structures, dont l’objectif premier est d’accompagner la culture et les habitants pour le vivre ensemble. Quelques initiatives ont eu lieu, bien sûr. Mais, pour l’heure, ça n’a pas eu l’ampleur qu’on aurait souhaité. »Manque de réactivité, d’organisation, les nombreuses propositions qui ont été envoyées n’ont pas eu, explique-t-il, de vraies répercussions. « J’ai vraiment l’impression que cette Olympiade culturelle s’est fragmentée entre différentes institutions sans que l’on sache vraiment à qui s’adresser pour mener les projets à bien : la ville, le département, la métropole du Grand Paris. Cela manque d’une politique commune, adaptée, cohérente.»

À Nanterre non plus, où la programmation de l’Olympiade culturelle doit aussi être implantée, le projet ne fait pas l’unanimité. Certes, plusieurs actions sont en préparation. L’une d’entre-elles consiste en l’accueil d’un artiste en résidence pour une durée de deux ans. Sélectionné courant novembre 2022, celui-ci aura pour objectif de réaliser une dizaine d’ateliers autour de sa discipline (photographie, peinture, graffiti… ) « en se déplaçant directement dans les quartiers populaires de Nanterre pour aller chercher un nouveau public » explique Lilia Cohen Decerisy, responsable des projets culturels et artistique la mairie de Nanterre. Le but de ces ateliers ? « Faire en sorte que les Nanterriens se sentent pleinement préparés et impliqués au grand projet des Jeux Olympiques qui prendra place dans la ville par le biais de la natation à Paris-La Défense Arena. » La mairie bénéficie d’une subvention de la Direction régionales des affaires culturelles d’Ile de France (DRAC) en ce sens. Mais si elle explique vouloir travailler avec les acteurs locaux, une association culturelle et artistique de la ville, qui préfère rester anonyme, juge ce projet trop superficiel. « À la mairie, ils écrivent de beaux communiqués mais en réalité, très peu d’habitants et d’associations pourront participer à ce projet, explique sceptique l’une des responsables. « Dans notre association, on est très peu de bénévoles et on arrive à faire plein de projets tout au long de l’année. À la mairie, ils sont des dizaines à travailler et ils n’arrivent même pas à nous aider pour nos actions quand on en a besoin. » déplore-t-elle. 

Aucune infrastructure en tant que telle n’est annoncée en ce qui concerne l’Olympiade culturelle. Pour la Seine-Saint Denis, le Comité semble miser sur les équipements sportifs déjà en place, comme le Stade de France. Crédit photo : Ville de Saint-Denis.

GENTRIFICATION CULTURELLE : OU(STE) SONT LES QUARTIERS POPULAIRES ?

Plus que des doutes vis-à-vis de la mairie, l’association a aussi des doutes vis-à-vis des résultats de ces ateliers : « C’est beaucoup plus difficile que ça en a l’air de faire venir des publics éloignés de certaines pratiques culturelles. J’ai peur qu’ils ne touchent que les familles de classes moyenne et aisée qui habitent près de la Défense ». Un cas de figure que présage également Julien Beller. La Seine-Saint-Denis, comme Montreuil ou Saint-Ouen, fait déjà l’objet d’un phénomène de gentrification culturelle où les jeunes artistes, attirés par le prix abordable des loyers, installent leurs ateliers. Ils défrichent ces quartiers, et les plus grosses structures profitent ensuite de cet élan pour s’implanter. C’est le cas de la galerie d’art de renommée mondiale Thaddeus Ropac, installée à Pantin depuis 2013. Le fondateur du 6B craint donc que l’Olympiade culturelle enracine cette dynamique d’entre-soi où « de grands évènements culturels sont organisés par les mêmes personnes, pour les mêmes personnes, à savoir un public plutôt élitiste ». Il met en garde : « Plus qu’un simple coup de communication, il faut s’assurer que l’initiative profite aux habitants sans les repousser un peu plus. »

Les politiques culturelles mises en œuvre dans les quartiers populaires servent-elles toujours leurs habitants ? Pour Élodie Bordat-Chauvin, sociologue politique spécialisée, rien n’est moins sûr : « Plusieurs villes du département de la Seine-Saint-Denis vont pouvoir bénéficier d’une visibilité, ne serait-ce que par les images qui vont être diffusées dans les médias, le tourisme. En revanche, est-ce que les populations de la Seine-Saint-Denis vont directement bénéficier des JO ? Pas si sûr. Les exemples des villes qui ont accueilli les JO le montrent, il y a eu des déplacements de populations, d’immenses constructions qui ont un coût environnemental, humain. » Pour elle, la meilleure preuve réside dans l’exemple marseillais. Nommée capitale européenne de la culture en 2013, la cité phocéenne a bénéficié, entre autres, de la rénovation du Vieux port et de la construction du Musée des civilisations d’Europe et de Méditerranée (MUCEM), situé dans le IIème arrondissement de la ville. Elle constate en revanche que « ces grands projets conduisent à des phénomènes de gentrification, de déplacements des populations les plus précaires, qui ne peuvent payer leurs loyers. »Depuis 2013 surtout, la ville voit, en effet, s’installer davantage de néo-Marseillais appartenant à la classe moyenne ou supérieure dont la moitié sont détenteurs d’un diplôme de l’enseignement supérieur – contre 37 % de la population résidente. Plus qu’un capital économique, ces nouveaux arrivants sont détenteurs d’un capital culturel, c’est-à-dire des codes et références nécessaires à la compréhension de l’art et de ses institutions. Ceci étant dit, la ville de Marseille a accueilli de véritables infrastructures ; ce qui n’est, pour l’heure, pas annoncé en ce qui concerne l’Olympiade culturelle. Pour la Seine-Saint Denis, le Comité semble miser sur les équipements sportifs déjà en place, comme le Stade de France. 

“À CE JOUR, C’EST BIEN LA
« HAUTE CULTURE » – ET NON LA CULTURE POPULAIRE – QUI FIXE LES MISSIONS DU MINISTÈRE DE LA CULTURE. QU’EN SERA-T-IL DE L’OLYMPIADE CULTURELLE ?”

De gauche à droite : Tony Estanguet, président du Comité Paris 2024, Amélie Oudéa-Castera, ministre des Sports et Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture.

CULTURE POPULAIRE OU CULTURE D’ÉLITE ?

« D’autant que les politiques culturelles internationales, nationales, et locales ne s’articulent pas toujours entre elles, poursuit Élodie Bordat-Chauvin. L’exemple de Marseille est ainsi parlant, très peu d’artistes locaux étaient dans la programmation finale, mais beaucoup d’artistes internationaux ou de la capitale. » Une précision qui pose la question du registre artistique valorisé dans le cadre de l’Olympiade culturelle. Culture populaire ou culture d’élite ? En Seine-Saint-Denis, ce sont les cultures dites « urbaines » qui ont forgé l’identité du terreau. Le rap, le slam, impulsés par des figures comme NTM ou, plus récemment, Grands Corps Malade. Comme le sport, les arts de rue trouvent un meilleur écho auprès des habitants. Et pour cause, leurs codes jugés plus accessibles, servent parfois de tremplin à l’ascenseur social. Pour Bochra Coste, peintre et slameuse, la capacité à croiser et partager les univers créatifs constitue peut-être, le principal défi de l’Olympiade culturelle. En 2020, elle a été sollicitée par la Fédération française de skate et roller pour réaliser un triptyque sur planches à l’occasion des Jeux Olympiques de Tokyo. L’œuvre, intitulée Gallus, a fait le voyage avec les athlètes, qui comme pour la breakdance en 2024, participaient pour la première fois aux Jeux Olympiques. Bochra Coste est aussi bénévole dans plusieurs initiatives sportives et artistiques locales à Montataire, zone urbaine sensible : « Il faut créer des passerelles et permettre aux gens de se rencontrer. Que l’on vienne d’une classe aisée ou populaire, on manque toujours de la partie créative que notre milieu ne cultive pas. Il faut valoriser ce qui n’est pas à la portée de tous. Dans un sens comme dans l’autre ».

L’artiste admet néanmoins : « Les disciplines urbaines sont encore sous-estimées. Principalement, selon moi, en raison de leur identité profonde. Nées dans la rue, elles n’ont pas encore été suffisamment théorisées, figées dans l’Histoire ». La sociologue, implantée à l’Institut d’Études Européennes de Saint-Denis, assure qu’à ce jour, c’est bien la « haute culture » – par opposition à la culture populaire – qui fixe les missions du ministère de la Culture. Un choix dicté par l’identité même de l’institution créée par le premier ministre de la culture, André Malraux. Ceci étant, « la vision de la culture et de la mission des pouvoirs publics pour leur promotion s’est élargie, avec l’entrée du hip-hop, du graffiti, du cirque et des arts de rue dans le champ d’action du ministère et des Directions régionales des affaires culturelles (DRAC), précise Elodie Bordat-Chauvin ; mais aussi la valorisation des pratiques culturelles des citoyens et citoyennes ce qu’on appelle la démocratie culturelle” ». Un tournant participatif et inclusif que la sociologue a côtoyé de près. À l’occasion des Jeux Olympiques, elle a travaillé auprès de l’ensemble lyrique Sequenza 9.3 qui porte un projet de Cantate pour les JO. L’objectif ? Recueillir des chants auprès des habitants de Seine-Saint-Denis « afin de donner à voir la richesse et la diversité culturelle du territoire des JO, puis de créer différents concerts et temps de célébrations avec les habitant·es en 2023 et 2024 ». Reste à savoir si l’initiative bénéficiera, au moment de la compétition, d’un écho à hauteur d’implication.

La ligne de conduite de L’Olympiade culturelle est claire : garantir une expression plurielle des arts tout au long de la programmation. Crédit photo : Thanh-Ha-Bui.

Marine Allain et Perla Msika

La Perle