Alors que les bourgeons du printemps montrent à peine leurs pétales, c’est bien de la neige qui tombe sur le théâtre du Châtelet. Et pas n’importe laquelle : celle des rêves d’enfant. Il y a Roman, 5 ans, venu pour la première fois, voir « un spectacle de grands » et sa sœur Lou, 11 ans, happée par l’histoire fabuleuse qu’on lui raconte. Dans « Il était une fois Casse-Noisette », la jeune spectatrice fait la connaissance de Clara, une petite fille qui, la nuit de Noël, pénètre dans une merveilleuse féerie.
Du 19 au 30 avril 2023, cet emblématique ballet russe de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1892) est adapté pour le jeune public par Karl Paquette, étoile de l’Opéra de Paris. Une heure et 40 minutes de spectacle (avec entracte) pour faire ses premiers pas dans le monde de la danse.
“UNE HISTOIRE QUI PARLE AUX ENFANTS”
Il faut dire que « Casse-Noisette » n’a pas été choisi au hasard. « C’est une histoire qui, de toute évidence, parle beaucoup aux enfants » raconte Karl Paquette. Les aventures de Clara, en effet, débutent un soir de Noël, après que son parrain Drosselmeyer lui ait offert un casse-noisette, une figurine en forme de petit soldat. Mais alors qu’elle s’assoupit, la jeune fille plonge dans un profond sommeil qui l’embarque dans un monde de douceurs et de jouets grandeur nature, où la figurine du soldat se transforme en beau prince. Une histoire tirée d’un ouvrage d’Alexandre Dumas, lui-même issu du conte d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann.
Crédit photo : Thomas Chamouroux.
Cette adaptation à hauteur d’enfants immerge le spectateur dans une ouverture chaleureuse, bercée par les musiques espiègles de Tchaïkovski et le décor pastel style rococo, où la troupe d’enfants surexcités attend ses cadeaux de Noël. Dans ce premier tableau, les adultes mènent encore la danse.
Puis, les lumières s’éteignent et l’héroïne rêve : des personnages merveilleux prennent vie sous nos yeux. Pour que le public suive le fil de l’intrigue, une voix narrative surgit, parfois, pour récapituler l’histoire. Un outil précieux pour les plus jeunes – et les néophytes de « Casse-Noisette » « Le défi était de parvenir à captiver les plus jeunes, un public particulièrement exigeant qui ne triche pas. Il lui faut de l’information brute et claire, que ce soit dans la présentation de l’histoire ou dans la danse » explique Karl Paquette qui a déjà monté « Mon premier Lac de Cygnes » (2022), une adaptation du même compositeur.
Le directeur artistique s’est même attaché à quelques touches d’humour, extirpant le ballet russe de ses clichés mélodramatiques. Sur scène, on danse la farce en imitant la gaucherie et la maladresse ; les meilleurs bouc-émissaires étant les vilains de l’histoire : des mascottes de souris – sbires du roi des rats – dansent elles aussi, entre grâce sur pattes et positions cocasses.
“Des tableaux saisissants, avec une mise en scène acidulée presque pop.”
Crédit photo : Thomas Chamouroux.
L’EXIGENCE DU GRANDIOSE
Autre moyen de tenir le public en haleine : l’exigence du grandiose. « Il était une fois Casse-Noisette » se pense en tableaux, particulièrement visuels et saisissants : la fête de famille, la danse sous la neige, le royaume de la fée dragée. Et dans une histoire où les objets prennent vie, les personnages et leurs costumes appartiennent au décor.
Ainsi, Fabrice Bourgeois (chorégraphie), Xavier Ronce (costumes) et Nolween Cleret (décors) ont créé une mise en scène acidulée, presque pop XVIIIème siècle, au-delà des perruques et crinolines. Des flocons de neige en tutus rembourrés, impression tulle bonbon ; des ballerines, immobiles plusieurs minutes durant, pour tenir le rôle de poupées de boîte à musique ; ou encore les danseurs chinois, arabes ou espagnols dont les costumes portent les archétypes d’un ailleurs tant fantasmé.
Crédit photo : Thomas Chamouroux.
Et puis les personnages : le cœur du tableau, animé par une troupe de 26 danseurs et danseuses. Entre farandoles collectives et valses romantiques, le balancement des protagonistes captive de la pointe à l’arabesque. « J’aime ceux qui se soulèvent en l’air » confie Roman, en virevoltant dans le hall pendant l’entracte. Lou traduit : « on trouve incroyables les portées des danseurs ! » Un tiers d’entre eux sont d’ailleurs issus de l’école de danse de l’Opéra. Une priorité pour Karl Paquette. Comme l’enfant à qui l’on transmet le goût du spectacle, chaque jeune danseur qui entre dans une compagnie est, selon lui, « vecteur d’une fougue qu’il est bon de saisir. »
« Il était une fois Casse-Noisette » mise sur le récit autant que sur la danse. Un choix qui sait utiliser le potentiel magique d’un tel ballet en convoquant beauté et divertissement. Cet entre-deux risqué – au prix de l’adaptation pour enfants – parvient néanmoins à rester fidèle au propos original tout en l’enrichissant d’une mise en scène ludique et envoûtante, à la portée d’un public, selon Karl Paquette « aussi passionné que les danseurs eux-mêmes ».