T’ang Haywen, itinéraire d’un peintre chinois à Paris

Le musée Guimet retrace le parcours artistique de ce peintre, à mi-chemin entre la technique de l’art chinois, son pays d’origine, et les inspirations de l’art moderne français, sa terre d’accueil.

T’ang Haywen fait partie d’une génération de peintres chinois d’après-guerre émigrés en France. Sans titre, 1985. Encre sur carton Kyro

Le musée Guimet propose une exposition mettant en lumière un artiste faisant le pont entre un esprit traditionnel chinois, et la modernité artistique du Paris de l’époque. Sa signature, « Tang » qu’il écrit en lettres et « Haywen » (海文, littéralement « océan de mots ») en caractères chinois, est à l’image de son œuvre et de sa vie : une jonction revendiquée entre deux mondes.

L’EFFERVESCENCE PARISIENNE À L’ENCRE DE CHINE

T’ang Haywen arrive à Paris en 1948. Il fait partie d’une génération de peintres chinois d’après-guerre émigrés en France. Arrivé à Paris officiellement pour faire des études de médecine, il ne fréquente jamais les bancs de l’université et préfère papillonner au sein de la capitale française. Une effervescence qui lui révèle vocation pour la peinture.

Fidèle à son esprit de liberté, il se forme à la Grande-Chaumière située dans le quartier alors artistiquement effervescent de Montparnasse, et moins académique que les Beaux-Arts. Il ne suit pas non plus l’enseignement d’un maître. Il rend néanmoins hommage par des croquis épurés aux grands maîtres (Matisse, Cézanne, Picasso, Goya…), et se laisse inspirer par les mouvements artistiques de son époque rejetant la figuration.

Des techniques picturales traditionnelles chinoises, il n’aura aucune formation, sauf celle, transmise par son grand-père, de la calligraphie. Dans les remous des multiples courants abstraits, il se retrouve dans une ligne calligraphique épurée et à de grands espaces vides, qui traverseront toute son œuvre.

Il s’essaie aussi au portrait dont l’apparente simplicité tire parfois vers la caricature, grande spécialité parisienne. Là aussi, son trait sobre et monochrome suffit pour exprimer une expression entière : air joueur, belliqueux ou benoîtement jovial.

Sans titre, 1967. Encre sur carton Kyro

« Des techniques picturales traditionnelles, il n’aura aucune formation, sauf celle, transmise par son grand-père, de la calligraphie. »

LE « TAO DE LA PEINTURE »

C’est d’ailleurs sa fréquentation du musée Guimet et ses lectures qui ont apporté à la peinture de T’ang Haywen un souffle proprement chinois, car il ne retournera jamais dans son pays d’origine.

La pensée taoïste, en particulier, guide l’œuvre de T’ang Haywen. Cette voie, pilier de la philosophie chinoise, définit le tao comme la source de toute chose. L’artiste ne doit avoir aucune ambition de succès artistique, aucun but. T’ang Haywen y est fidèle et ne signe aucun manifeste artistique.

Il reste loin des controverses artistiques volubiles de ses contemporains, et cherche discrètement une peinture « idéale, unissant le monde visible et le monde de la pensée ». Les idées centrales de la pensée taoïste : l’effacement, le laisser-faire, le balancement entre le plein et le vide, imprègnent la vie et les peintures de T’ang Haywen.

Les années 1970 / 1980 sont marquées par l’utilisation d’un format étonnant : le diptyque. Cette apposition de deux parties peintes presque séparément pour former un tout, s’inscrit elle aussi dans l’idée de « Tao de la peinture ». La complémentarité créatrice permise par ce format fait du diptyque la forme de prédilection de T’ang Haywen.

Le diptyque est la forme de prédilection de l'artiste. Sans titre, 1983-84. Encre sur carton Kyro

UN ARTISTE DISCRET ET LIBRE À L'IMAGE DE SON OEUVRE

Quelques formats frôlent le gigantisme, notamment l’hypnotisant Visage-paysage (1970, Encre sur carton Kyro) où un regard légèrement clos rappelle un paysage de montagnes. Mais T’ang Haywen revient, dans ses dernières années, à un format très réduit toujours divisé par une ligne médiane, qui sépare autant que relie. L’effacement de l’artiste laisse place à des lignes fluides qui semblent provenir du simple écoulement de l’encre, et des espaces blancs qui paraissent naturellement créés par l’eau.

L’ascétisme oriental de l’artiste, sa tendance au dépouillement et sa fuite de toute réussite matérielle font de T’ang Haywen un artiste presque oublié au moment de sa disparition. L’exposition du musée Guimet rend ainsi hommage à un artiste curieux, voyageur et épris de liberté, qui choisira le nom chrétien de « François » (homme libre) scellant à nouveau par son nom ses multiples origines.

Mathilde Srun

La Perle

 » T’ang Haywen. Un peintre chinois à Paris (1927-1991) »
Du 06 mars au 17 juin 2024

Musée Guimet
6 place d’Iéna 75116 Paris

www.guimet.fr
Instagram : @museeguimet