Fantasme créateur vaguement doté d’une marinière, Pablo Picasso (1881 – 1973) constitue sans aucun doute l’idée que la culture collective se fait d’un artiste. Le talent, c’est lui. On ne revient pas là-dessus.
Enfin si, revenons-y. Pourquoi diable les honneurs vont-ils à celui qui, faisant du dessin d’enfant le Graal du talent artistique, prenait un plaisir jouissif à déformer notre apparence, à déconstruire nos traits ? Fort du mythe de l’artiste, Picasso réduit nos visages en bouillie et nous, dociles, tendons la joue et le bâton ! Quelques explications s’imposent.
La première se résume à peu près en cela : L’audace sied bien mieux aux irréprochables. La maîtrise du pinceau n’ayant point de secrets pour Picasso, il est donc à penser qu’au fil de sa carrière et de ses styles – tous surprenants de différences – l’artiste hérite, malgré lui, du plein droit de faire voler en éclats codes et carcans académiques… fusse-t-il au détriment de la beauté classique.
PICASSO : UNE VIE QUI SE DESSINE
Ce faisant, Pablo Picasso incarne à lui tout seul le prodigieux traumatisme que fut l’art moderne ; celui qui, d’une tape franche et amicale dans le dos, fit trébucher l’art de son noble piédestal pour l’inviter à boire un coup aux abords d’un Montmartre chaleureux et remuant.
Voilà pourquoi je ne trouve rien d’étonnant à ce que Picasso soit aujourd’hui l’une des plus dignes figures de la culture populaire et à ce titre un personnage que la bande dessinée s’est empressée de mettre en planche. En témoigne l’exposition « Picasso et la bande dessinée » actuellement au Musée Picasso de Paris.
A ceux et celles pour qui la lecture est le supplice suprême, vous frappez à la bonne porte et lisez, tenez bon, il ne reste que quelques paragraphes, le bon article : l’exposition donne à voir plus qu’à lire. Raconté, imité, caricaturé, le génie de l’art moderne est sur toutes les bulles. L’occasion pour le visiteur d’en apprendre sur sa vie, son œuvre, sa passion pour la bande dessinée ainsi que sur le IXème art au sens large, dignement défendu par une flopée de dessinateurs hors pairs : François Olislaeger, Philippe Geluck, Brecht Vandenbroucke, Gotlib, Clément Oubrerie…
LA BD SE MOQUE DE L’ARTISTE
Il faut dire qu’aujourd’hui BD et comic books se vendent aux enchères. Il est des experts à l’œil aiguisé, des collectionneurs avisés et des albums à la rareté plus qu’inestimable. Aussi, outre une manière subtile de lier deux pans de créativité – l’un sur toile l’autre sur planche – l’exposition engage discrètement la démarche visant à intégrer la bande dessinée aux rebonds de l’Histoire de l’art.
Pour ce faire, elle s’arme d’humour et de narration, outils propres à la discipline sur crayon : Alors que Gotlib imagine la querelle d’une œuvre à trois voix – celle de Dali, Picasso et Buffet – Geluck joue quant à lui du business des faussaires, représentant Picasso victime du syndrome de la toile blanche : « Picasso se rendant compte qu’il est le seul peintre au monde à ne pas pouvoir faire un faux Picasso. » Mais c’est avec Pablo, série d’illustrations réalisée par Clément Oubrerie que l’histoire gribouillée d’un homme ordinaire prend d’un intense coup de crayon, des allures d’épopée créatrice. De quoi redonner aux visiteurs et aux lecteurs, la rage de faire à leur tour, éclore des merveilles.
Surprenante, l’exposition « Picasso et la bande dessinée » permet donc à celles et ceux qui n’oseraient encore s’y baigner, de tremper un premier orteil dans le grand bain de l’Histoire de l’art. Moins intimidant que prévu, Picasso vous y invite et barbotte, bulles à la bouche, entrées toiles éloquentes – bougies parfumées – et caricatures étonnantes – soirée mousse arrosée. Vite, à l’eau !
