Marc Riboud à l’épreuve du voyage

Il a photographié le monde entier. Timide et silencieux, Marc Riboud n’était pourtant pas destiné à une carrière sous la lumière. C’était sans compter sur son talent et sur le flash de son appareil photo. Cette première rétrospective française rend hommage à son travail.

Fabrique d’armes à Kohat, non loin de la frontière afghane – Pakistan – 1956. Crédit photo : Perla Msika.

« Si tu ne sais pas parler, tu sauras peut-être regarder » disait Camille Riboud à son fils, Marc. Au regard de sa carrière de photographe, on peut assurer que ces mots ont marqué Marc Riboud ( 1923-2016).

La nouvelle exposition du Musée Guimet dédiée à son œuvre en est la preuve. Et s’il nous est, à ce jour, impossible de la visiter, la vie palpitante du photographe de l’Agence Magnum délivre toutefois un avant goût alléchant, et des histoires possibles. 

OBSERVATEUR DISCRET JAMAIS INDISCRET

Il faut dire qu’il ne s’agit pas d’une rétrospective comme les autres. C’est une première certes, pour l’œuvre du photographe ; mais c’est aussi l’entrée en fanfare et par leg du fonds Marc Riboud – soit près de 50 000 photographies dans les collections du Musée national des arts asiatiques. Un événement qui aurait sûrement fait rougir l’artiste, décédé en 2016 : timide, l’intéressé refusait de considérer ses tirages comme de l’art.

Nous nous risquerons à le contredire en ce que l’ère contemporaine des images par milliers et des photographes improvisés, permet paradoxalement de discerner plus facilement l’amateurisme photo-réseaux en manque de likes Instagram du véritable talent artistique. En l’occurrence, celui de Marc Riboud résidait en deux qualités : d’une part sa soif de voyages, qui n’aura de cesse qu’à la fin de sa vie, et d’autre part« sa sensibilité d’observateur discret jamais indiscret », confie le cartel d’exposition. 

Cette double qualité anime l’artiste qui sublimera, de ce fait, l’ensemble de ses quêtes, scènes et modèles. Il entame donc ses travaux au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Après avoir résisté dans le Vercors, c’est à Lyon, sa ville natale, à Paris puis au travers de l’Angleterre qu’il fait ses premiers pas photographiques (1942 – 1954). Au plus près de ses sujets, il trouve le moyen de saisir le quotidien revenu des Français, le portrait d’un Winston Churchill au travail ou encore les révoltes ouvrières britanniques de Leeds. Mais c’est au cœur des poutres haut-perchées de la Dame de Fer  qu’il consacre ses débuts, prenant sur le vif le fameux Peintre de la Tour Eiffel (1953).

TOURNÉ VERS L’ORIENT 

Muni de son appareil et de son courage à deux mains, Riboud s’envole vers l’Orient à partir de 1955. Un grand saut qui ne le ne quittera jamais et qui de l’Europe Orientale aux lointaines contrées de la Chine fera de lui le photographe des mutations de lieux et d’époques : d’abord en Turquie, en Iran ,en Inde et au Pakistan ; puisen Afrique aux temps des indépendances, à Cuba sous la Révolution de Fidel Castro, aux Etats Unis lors de la guerre du Vietnam… Le facteur commun de l’ensemble de ses clichés restant probablement cette belle ambiguïté ; celle qui nous ferait dire, à nous, spectateurs de son carnet de voyage : a-t-il fait poser ses modèles ou saisi t-il le naturel ? C’est ainsi qu’on touche au but, au cœur même de l’œuvre Marc Riboud dont le talent repose principalement sur les mystérieuses circonstances de son clic d’appareil. 

Une certitude, pourtant,résiste au doute : celle de son amour passionné pour l’Extrême-Orient et notamment pour la Chine. Il sera un des seuls occidentaux a y entrer en 1957, et ce quelques mois avant les premiers ébats de la Chine communiste. Loin de commenter les évolutions politiques, économiques, il s’attrait davantage à saisir les conséquences de ces mutations sur ses décors et ses modèles. À commencer par les couleurs saturées de la Révolutions culturelle de Mao (vers 1965) qui prennent place derrière l’objectif au même moment que la photo couleur. Puis vient le temps du libéralisme économique qui, au début des années 1970, ajoute la société de consommation et les nouveaux paysages urbains aux messages de propagandes. Une société complexe que Riboud se plaira à dépeindre jusqu’à son dernier voyage en 2010

Tout fait d’humour et de proximité, le parcours de vie – et de photographie – de Marc Riboud aspire donc au rang de modèle pour tous ceux qui, trop hésitants encore, n’osent se risquer à la quête d’inconnus et de zones d’inconforts. Et si, en ces temps distanciés, l’aventure et la proximité ne sont pas encore au goût du jour, se contenter de regarder reste pour l’artiste – et pour nous, grands masqués – une véritable respiration.

Perla Msika

La Perle

 Exposition « Marc Riboud. Histoires possibles »
Du 16 décembre au 3 mai 2021
Musée national des arts asiatiques – Guimet
6, Place d’Iéna 75016 Paris
Commissaires d’exposition : Sophie Makariou, Lorène Durret
et Jérôme Ghesquière