Annoncer son grand retour, ça se prépare. Pour l’occasion, le Musée d’art moderne de Paris ( MAM ) , fermé jusqu’au 11 octobre pour rénovation, s’est donné pour mission de promouvoir avant l’heure, expositions temporaires et collections permanentes. Dans le métro, dans les kiosques, à l’arrière d’un bus, vous avez peut-être pu lire « Hans Hartung, la fabrique du geste » ou « You, Collection Lafayette Anticipations ». Deux expositions que j’invite chacun et chacune à courir visiter avant les 1er mars et 16 février.
APPELEZ LE +33756815474
Mais si je vous dis Glorius Read de Loris Gréaud ? Rien. Pas un mot, pas un article, pas une affiche, pas même un tract publicitaire. Pourtant, il ne s’agit pas d’une œuvre secondaire, anodine ou insignifiante, mais bien d’une des plus belles opérations de communication artistique jamais orchestrées pour le musée.
Le 11 octobre dernier donc, le MAM ré-ouvrait ses portes sous les yeux ébahis du tout gratin culturel. Mais sous les ordres d’un invisible Loris Gréaud, de mystérieuses créatures aux yeux noirs prirent d’assaut les salles d’expositions. Silencieuses et impassibles, leur seule mission : diffuser au dos de leur sweat-shirt un simple numéro de téléphone – +33756815474 – accompagné du nom de l’artiste.
Libre à vous de composer le numéro : l’anonyme au bout du fil vous redirige vers les portes d’une salle fermée à double tour, portant, encore et toujours, les mêmes indices : un nom, un numéro de téléphone. Laisser courir la rumeur…
UNE PIÈCE MYSTÉRIEUSE
… Pour mieux lever le voile. Sans grande surprise, l’installation présentée se révèle à la hauteur de la promotion dont elle a fait l’objet. Poussant alors les portes de cette chambre enclavée, le visiteur impatient s’y abandonne corps et âme.
Comme entraperçu par une brèche, Glorius Read délivre au visiteur le secret d’un futur proche pris d’assaut par la sophistication technologique. Bien qu’à bonne distance, limité par un volontaire garde-fou, il en découvre une atmosphère que Loris Gréaud aurait peut-être mieux fait de taire.
Tout à la fois fascinantes et oppressantes, les peurs délivrées par l’artiste prennent la forme d’une menace sensible. Car à défaut d’en résoudre l’énigme, les 4 œuvres exposées attisent nos sens : avant d’y voir quoi que ce soit, c’est une odeur que l’on perçoit. Mélange d’eau corrodée et de déchets rouillés, Tallin répand aux portes de l’œuvre, des relents repoussoirs qu’une fumée opaque se charge d’exacerber.
Déversée par Machine, dernière acquisition du musée, la fumée en question campe l’environnement d’un arbre à tubes de néons. Celui-ci divulgue un code secret par vibrations et clignotements, désormais hermétique au langage humain. Du mal à suivre ? Pas de panique, c’est justement l’effet recherché.
Comme étrangers sur notre propre planète, on s’efforce tout de même d’y comprendre quelque chose. Mais en dépit du discours de Sofia, humanoïde plus vraie que nature, cette Uncanny Valley nous laisse très confus. Nous sommes dès lors les intrus, les visiteurs venus d’ailleurs. Pareils aux Spores, sculptures de roches suspendues, nous ne réagissons plus qu’à ce qui nous est connu. Mais si elles, répondent aux sons par la lumière, nous, sommes à l’affût du moindre repère : pleurs d’enfant, paysage familier, larme que l’on verrait perler… Toute marque est bonne à prendre.
Etoiles fantômes que nous sommes, seules nos lumières nous parviennent encore : il n’est en fait plus rien de nous ; sinon les bribes d’une civilisation décimée aux codes désormais cryptés. Un étouffant scénario que je m’empresse de fuir. Retour à la terre ferme. C’est Delaunay qui m’attire. Sublime abstraction colorée, ses grands formats s’ouvrent à nous comme l’appât d’un monde plus doux. Une bonne manière de s’apaiser après avoir, aux côtés de Gréaud, cogité.
Perla Msika
La Perle
Exposition Loris Gréaud – Glorius Read
Du 11 octobre au 9 février 2020
Musée d’art moderne de Paris,
11 Avenue du Président Wilson 75116 Paris
Commissaire d’exposition : Julia Garimorth