Il était une fois les Juifs du Maroc

Le musée d’art et d’histoire du judaïsme plonge dans le travail du photographe Jean Besancenot pour témoigner de très anciennes coutumes : celle des communautés juives berbères. Mais derrière ce travail de documentation se cache aussi une histoire familiale plus intime : celle de Hannah Assouline, commissaire de l’exposition.

1. Erfoud, région du Tafilalet Rouhama et Sarah Abehassera en costumes de mariée mahJ © Adagp, Paris, 2020.

SUR LA TRACE DES JUIFS BERBÈRES

Autre temps, autres mœurs ? Preuves à l’appui, Jean Besancenot ( 1902 – 1992 ) montre combien coutumes et traditions peuvent être porteuses de belles narrations à hauteur qu’elles semblent lointaines, sinon révolues.

Peintre, photographe puis ethnologue, Jean Besancenot fut de ceux que rien n’arrête. Au point de foncer tête baissée au fin fond du Sud marocain à la rencontre des communautés juives berbères. Nous sommes alors en 1934 : muni d’un appareil photo et d’un carnet de croquis, il va réaliser un travail de recherche et d’analyse qui, avec la distance scientifique de rigueur, s’abstient de tout jugement pour faire valoir le relief d’une culture méconnue. 

En ce qui nous concerne, nous, visiteurs du XXIème siècle, c’est une autre histoire. Car avec l’exposition « Juifs du Maroc, 1934-1937 » le musée d’art et d’histoire du Judaïsme ( MahJ ) tend, malgré lui, à une autre interprétation du travail de Jean Besancenot. Aux abords de 2021, sa série de photographies palpite entre les rangs de l’Histoire et ceux de la légende. Ces personnes ont-elles vraiment existé ? Ou sont-elles le fruit de récits et de contes à raconter ?

Fort de cette ambiguïté, le musée détient – tel un trésor d’ethnologie – l’œuvre de Jean Besancenot dans une suite de salles au sous-sol de l’Hôtel de Saint-Aignan. Rien ne nous y mènerait sinon une étrange photo, affiche de l’exposition, où deux petites filles posent ensemble, l’air nonchalant, en costumes… de jeune mariée. Au Tafilalet, nous dit-on, région du sud-est marocain, les mariages entre enfants à peine pubères sont traditionnels. Autre temps, autre moeurs. 

Pour accompagner ces visages juvéniles, d’autres personnages : des vieillards arborant le selham, foulard bleu à poids noué sur la tête puis ramené aux épaules ; des femmes aux perruques artisanales, diadèmes de pièces (sfifa) et tatouages éphémères ( harkous en noir, ader en rouge) ; des groupes d’enfants réunis, la tête dans leurs bouquins, au coeur du heder (école juive). De quoi semer le doute : musulmans, juifs ou berbères ? Dans le désert marocain, du Tafilalet aux Vallées du Dadès, les hommes et les femmes se mêlent aux mêmes paysages sans grande distinction d’habits ou de croyances. 

RECONNAÎTRE LES VISAGES

Nombreuses sont donc les descriptions des us et coutumes. Des points de détails et des vêtements. Mais qu’en est-il des identités ? Rien ou presque n’est mentionné. A dessein sûrement : Comme si, à notre tour, nous devions nous y pencher. Comme si derrière le travail de Jean Besancenot, nous devions mener nos propres recherches. Qui est-elle, cette toute jeune mère aux bras encombrés d’un bébé ? A qui sourit-il, ce juif montagnard de la tribu Ouaouzguit ? Et ce garçon : Messaoud Assouline, aux pieds nus et à l’air contrarié : pour lui, nous avons un indice. Ce n’est autre que Hannah Assouline, commissaire de l’exposition, qui a mené l’enquête. Animons donc cet article d’une vive voix : celle qu’elle porte au micro de Jérémie Thomas, pour le podcast Sens de la Visite. Car tout le monde le sait : pour ce qui est des histoires à raconter : c’est la parole qui, de loin, l’emporte sur l’écrit. Spoiler : En fouillant dans les photos, la commissaire aurait reconnu son père… 

Perla Msika

La Perle

Exposition « Juifs du Maroc, 1934-1937. Photographies de Jean Besancenot » 
Du 30 juin 2020 au 18 avril 2021 
Musée d’art et d’histoire du Judaïsme – Hôtel de Saint-Aignan 
71 rue du Temple 75003 Paris
Commissaires d’exposition : Hannah Assouline et Dominique Carré 
Sens de la Visite : « J’ai retrouvé la photo de mon père »