Bon nombre d’étudiants le savent : à l’approche des examens, l’esprit hivernal, autrefois habité par les douceurs du réveillon, s’emmitoufle bien chaudement dans la cellule des révisions. Tête dans les bouquins, surligneur à la main, je ne fais manifestement pas exception.
Mais en ce jeudi 9 janvier, en dépit de mon plus haut degré de concentration, le cortège mécontent des manifestants fait fi du double vitrage de ma chambre. Au rythme de slogans ragoûtants lancés par un mégaphone grésillant, les pancartes se succèdent, la foule s’amoncelle, et moi, je deviens folle.
Prétexte à délaisser mes révisions, j’entre à mon tour dans la vague d’indignation. Mais l’art étant la plus belle des révoltes, je laisse aux gilets jaunes le soin de manifester pour de mon côté, un peu me cultiver. Et qui mieux que Banksy, invisible indigné, pour se cogner aux murs d’un art très engagé ?
A tous ceux qui souhaitent mettre un visage sur un nom, l’espace Lafayette-Drouot joue la contrefaçon : pas de Banksy à l’horizon. L’exposition reconstitue comme un jeu de piste les traces de tag laissées par l’artiste. Il est passé par ici, il repassera par là…
LA RUE DANS LE MUSÉE
Rien d’original donc. Mais une preuve tangible : celle d’un street art embourgeoisé. Il est loin le temps du tagueur délinquant. Personnellement, je ne dis pas non. Toute culture est bonne apprendre. Mais n’est-ce pas quelque peu s’égarer que de parquer entre 4 murs, un fac-similé de l’art de rue ?
D’un point de vue instructif,The World of Banksy maîtrise son sujet : plus de 100 œuvres dupliquées, prises sur le fait d’un éclairage accusateur, au son d’une rue animée. L’immersion est totale, ce qui a pour effet – c’est bien là une première – de nous diriger vers les panneaux explicatifs qu’on feint généralement d’oublier. Car oui, du musée au pavé, tout artiste s’arme d’un code à décrypter.
Au nom d’une vendeuse légitimité artistique, l’espace Lafayette dépossède pourtant Banksy de son charme révolté. La fillette noire, recouvrant de motifs roses une tenace croix gammée, n’est symbole d’anti-racisme qu’aux Porte(s) de la Chapelle, cœur d’un brassage ethnique animé. Et que dire du mur de Bethléem ? Répliqué de toutes pièces, loin des conflits et des peines, ses graffitis aseptisés ne portent ni drapeau blanc, ni colombe de paix. Tout au plus, il remue le couteau dans la plaie.
On saluera toutefois l’idée. Car montrer l’œuvre de Banksy dans un ensemble exposé, c’est soulever, ou plutôt achever une réplique populaire qu’on attribue souvent à notre ami Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, ni avec la manière dont vous le dites, mais je me battrais pour que vous puissiez l’exprimer ». À cela nous ajouterons « volontiers, à condition que la forme se fasse aussi belle que l’idée. » A l’heure de l’information frénétique et désordonnée, à l’heure du pied de la lettre détourné en pied de nez, il serait peut-être temps d’estimer l’art comme médiateur avisé.
UN ARTISTE ENGAGÉ
Reste que, dans son génie, l’artiste a trouvé la combine : aussi invisible qu’omniprésent, l’insaisissable Banksy creuse, pour ainsi dire, son propre raccourci vers les sentiers de la gloire. Preuve à l’appui ? Van Gogh, Manet, Basquiat… autant d’artistes qui, de leurs vivants, furent plus qu’ignorés par les grandes salles de musées. De son côté Banksy, quarantenaire présumé, frôle l’insolence : après avoir été vendu – broyé en petits morceaux – chez Sotheby’s, le voilà imité, pire, reconstitué comme une légende vivante. En spectateur curieux, on adhère sans broncher. Encore faut-il que Banksy promette de toujours privilégier la jungle urbaine au trop noble silence des musées.
