Avant, c’était plus facile. On catégorisait l’art par mouvement, par époque voire par siècle sans se poser la moindre question. Ce que Greenberg, critique d’art, a théorisé comme le modernisme, soutenait mordicus que chaque grand courant pictural appartenait à la ligne progressive de l’Histoire de l’art. Autrement dit, si l’on n’était pas académique, on était impressionniste ; et si l’on n’était pas impressionniste, on était cubiste. Simple comme bonjour.
Aujourd’hui, on a davantage tendance à considérer l’art contemporain comme une porte ouverte par laquelle n’importe quoi – et par extension n’importe qui – peut se faire œuvre ou artiste. Plus de barrières, plus de critères, on juge tout dans le même sac, parce que ça aussi, c’est plus facile.
Et si l’on changeait de méthode ? La semaine de la Foire internationale d’art contemporain (Fiac) fut l’occasion pour moi d’y réfléchir. Mais bien loin de l’Avenue Winston Churchill, c’est à la Biennale de Paname, que l’effervescence contemporaine a su répondre à mes questions.
Ce nom vous dit quelque chose ? Rien d’étonnant. Il y a quelques mois, je m’entretenais avec Jean Samuel Halifi, l’un des initiateurs de l’évènement. Avec Salomé Partouche, autre artiste de talent, ils rassemblent les membres de l’Atelier de Paname pour exposer durant quatre jours, des créations toutes plus étonnantes les unes que les autres.
Et pour l’occasion, c’est l’ancienne Maison Rouge – Fondation Antoine de Galbert – qui leur ouvre les portes. Au 10 boulevard Bastille, on troque la tenue correcte exigée pour l’entrée libre de bon gré.
UNE FOIRE COLORÉE ET RÉJOUISSANTE
Un bar, un DJ, et une stratégie bien ficelée. Dans le couloir de l’entrée, les 25 artistes exposent ensemble : fusionner pour mieux briller. Très bonne entrée en matière. Dans le patio juste en face, l’ours monumental de Tess Dumon tient la compagnie des fumeurs. Fait de grillage métallique, il s’élance sur deux pattes, immuablement en action, comme pour marquer son territoire.
En dehors du patio, chaque artiste dispose de son petit espace pour exposer son travail. Parfois, l’on constate que l’artiste lui-même se trouve juste à côté de nous. Alors on tend l’oreille et on écoute : A défaut du chant de l’oiseau, c’est Laurent Perbos qui, en libérant les Inséparables, rouge gorge et canaris fait entrer dans la cage, une lumière qui les incarne. Mais il proclame : « tout comme le chant de l’oiseau transperce la cage pour atteindre nos oreilles, les tubes de lumière fluo s’en extirpent pour atteindre nos yeux. » Poétique jusqu’au bout du bec.
DES ŒUVRES PLURIELLES
Place aux femmes-artistes ! En maîtresse de cérémonie, on donne La main à Salomé Partouche : elle la saisit volontiers pour mettre face à face, la volupté de ses Demoiselles d’Avignon et la rapacité de sa main crochue. Les deux versants d’une même pièce. Peinture à l’huile ou sculpture en céramique, l’artiste fait de la femme, une créature toute puissante, qui détient, non sans poigne, le monde de l’art dans le creux de la main.
Lise Stoufflet, quant à elle, se fait une place en repoussant les limites de la toile : son bouquet d’hortensias un peu fleur bleue se permet d’éclore par delà le tableau quand sa Blue House prolonge la balade nocturne jusqu’au plancher de la Maison Rouge ; Tout cela, vous l’aurez compris, dans un camaïeu de bleus délicieusement attractif.
Et en ce qui concerne la couleur, Paris, éternelle source d’inspiration des artistes, s’ajoute à la palette de Martin Ferniot : de haut en bas, on admire ses lampadaires empruntés à la ville Lumière, y ajoutant des verres colorés qui évoque tantôt les splendeurs de l’art Nouveau tantôt l’émotion médiévale des vitraux.
Mais à la Biennale, les artistes se renvoient la balle : Ferniot illumine le passage qui mène à l’œuvre de Prosper Legault. Dans un installation aux néons, l’artiste fait de son espace d’exposition, une ville hantée par de célèbres enseignes éclairées. C’est là tout notre esprit de citadin compulsif qui, comme attiré par la lumière des magasins, papillonne autour de l’œuvre.
On croit alors en avoir fini. Mais passé le Small World faussement naïf de Jean Samuel Halifi, c’est un petit escalier de service qui attire les plus curieux : au sous sol de la Maison Rouge, le génial Tom Lellouche a établit une véritable Serre spatiale ( SVET – 3) ; un prototype d’habitat inédit et autosuffisant dans lequel le spectateur se trouve comme hors du temps. Portés par la voix de l’artiste, nous sommes amenés à cogiter sur le vrai sens de l’art. Bien loin de l’ambiance guindée qui sévit juste au-dessus, le travail de Tom Lellouche clôt, en effet, parfaitement l’exposition, questionnant notre mode de vie au regard d’enjeux philosophiques majeurs.
En clair, si la création contemporaine en place brouille certainement nos catégories artistiques, elle laisse en échange la possibilité de faire votre choix. Croiser les œuvres et les artistes, aimer ou ne pas aimer, interpréter comme on le souhaite, c’est donner à l’art contemporain toute la saveur qu’aucune période artistique avant lui, n’a su engranger . Et pour cela, on dit remercie la Biennale de Paname.