Henri Matisse, porte-parole de l’art moderne

Dans l’exposition “Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 30”, le musée de l’Orangerie revient sur une période particulièrement fertile dans la carrière du peintre. Dans un contexte politique de plus en plus menaçant, l’artiste se veut l’une des figures de proue d’un art moderne en pleine effervescence et dont témoignent les archives de Cahiers d’art, une revue emblématique de l’époque.

Le musée de l’Orangerie replace à son tour l’œuvre du grand maître dans le contexte historique des a~. Elle juxtapose ses œuvres par le biais des Cahiers d’art, une revue d’avant-garde. Crédit photo : Alexandra Béraldin.

Comme tant de peintres de l’art moderne, Matisse se voit dédier régulièrement des expositions dans les plus grands musées du monde. Jusqu’au 29 mai 2023, le musée de l’Orangerie replace à son tour l’œuvre du grand maître dans le contexte historique des années 1930, une époque féconde pour l’artiste. L’exposition « Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 30 » juxtapose les œuvres connues et moins connues de l’artiste par le biais des Cahiers d’art, une revue d’avant-garde.

LA REVUE DES ARTISTES, LES PAGES DE MATISSE

Revue créée par Christian Zervos en 1926, Les Cahiers d’art se consacre à l’actualité artistique et la diffusion de l’art moderne en agissant comme porte-parole des courants esthétiques de son temps. Entre ses pages, nous retrouvons de grands noms : Pablo Picasso, Joan Miró, Vassily Kandinsky, Georges Braque et bien évidemment, Henri Matisse.

Des éditions de cahiers des années 1930 constituent le fil rouge de l’exposition qui contextualise le travail de Matisse et repense les techniques et influences de l’artiste. Elles sont la trace d’une réflexion artistique en pleine effervescence. Cette lecture développe une appréciation approfondie des œuvres phares et propose la découverte de joyaux ignorés des publics non spécialistes.

Le Chant (1938).
Nu rose (1935).

Crédit photos : Alexandra Beraldin.

Henri Matisse (1869-1954) commence sa carrière dans les années 1890. Jeune, il expérimente les limites d’une palette de couleurs exubérantes, initiant ainsi le courant du fauvisme au début du XXème siècle. Inspiré par ses prédécesseurs, comme Vincent Van Gogh et Paul Cézanne, Matisse devient un référent du fauvisme par ses couleurs vives et ses peintures expressives. Ses tableaux vibrent d’énergie : parmi les plus iconiques, l’exposition propose Nu rose (1935), Le Chant (1938) et La Blouse roumaine (1940), des hymnes à la couleur, ainsi que des études pour La Danse (1930-1933). 

La danse semble une source d’inspiration inépuisable pour l’artiste. Il se consacre à plusieurs versions de La Danse entre 1909-1910, puis reprend cette thématique dans les années 1930 pour un triptyque mural La danse de Merion pour la Fondation Barnes, près de Philadelphie aux États-Unis. Toute une salle de l’exposition est consacrée à cette œuvre. Des dessins préparatoires et une vidéo documentaire témoignent d’un processus de création artistique inspirant et ardu. En effet, il a fallu trois essais en grand format avant d’obtenir le résultat escompté. Une édition des Cahiers d’art de 1935 consacre des textes de réflexion à ce triptyque, désormais visible à la Fondation Barnes. 

“La danse est une source d’inspiration inépuisable pour l’artiste.”

La Danse, harmonie bleue 1930-1931. Crédits photo : Succession H. Matisse Photo Musée Matisse, Nice François Fernandez.

LA GUERRE EN TOILE DE FOND

Cahiers d’art est également important en raison de sa qualité esthétique et de son design innovant. Matisse y expérimente sur les pages : par le prisme de la revue, plusieurs aspects méconnus de Matisse prennent forme, dont la gravure, les estampes et la lithographie, des médiums traditionnellement moins valorisés que les toiles. Matisse écrit même à sa fille en 1929 : « Je travaille beaucoup, mais loin de la peinture. Je me suis installé plusieurs fois pour en faire, mais devant la toile je n’ai aucune idée – tandis qu’en dessin et en sculpture ça marche à souhait ».

La revue des Cahiers d’art se mêle à d’autres commanditaires et donne lieu à des représentations de corps en lien avec la mythologie, la littérature et le nu féminin. Des thèmes chers à Henri Matisse. Dès lors, tout un monde se révèle : dénuée de couleurs, une palette sombre enveloppe des corps mouvementés et passionnels.Les illustrations pour le roman de James Joyce « Ulysse » et les nus en fusain sont des œuvres à étudier et à contempler. Une découverte tout à fait surprenante pour cet artiste généralement associé à la couleur.

Cahiers d’art, 1926, N°1.
Illustrations pour Ulysse, Circé 1934.
Cahiers d’Art, 1936, N° 3-5.

Crédits photos : Succession H. Matisse Paris et Editions Cahiers d’Art, Paris 2023.

En 1939, la revue fait un parallèle entre La Danse (1933) et Guernica (1937) de Pablo Picasso pour promouvoir un tournant dans les sujets d’art mural. La relation complexe de ces artistes les plus influents de leur époque est décrite comme étant cordiale, mais cette facette n’est pas explorée en détail. En dépit du propos guidé par une revue spécialisée, le milieu artistique et ses figures, pourtant animé par les débats autour de l’art moderne, est survolé.

Le climat politique de l’époque – pourtant crucial – apparaît comme aussi une note en bas de page. Des repères historiques, tels le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale sont évoqués sans être pour autant explicités. Au détriment de la proposition de l’exposition, le fil conducteur se concentre sur une époque foisonnante, mais néglige la montée de la tension politique qui a eu une influence sur les artistes-contributeurs des Cahiers d’art, leurs œuvres et la diffusion des publications de la revue.

L’exposition du musée de l’Orangerie est donc une porte d’entrée dans le processus de création d’un maître et une occasion d’apprécier des illustrations souvent oubliées. La juxtaposition d’œuvres avec les éditions des Cahiers d’art recadre l’œuvre de Matisse révèle certes son style en constante évolution. Reste que cette évolution personnelle manque d’une remise en contexte dans une France et une Europe d’entre-deux guerres où l’art moderne jugé « dégénéré » s’apprête, dans les années qui viennent à être traqué, sans relâche, par le régime et la collaboration nazis.

La Perle

Exposition “Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 30”
Du 1er mars au 29 mai 2023
Musée de L’Orangerie
Jardin des Tuileries 75001 Paris
www.musee-orangerie.fr
Instagram : @museeorangerie