Le musée national d’art moderne ouvre ses portes à l’artiste féministe américaine Martha Wilson, et lui consacre sa toute première exposition personnelle dans un musée français. Focus sur une période singulière, son séjour à Halifax, au Canada, entre 1972 et 1974. Dans sa quête d’identité, l’artiste expérimente son corps, non sans radicalité mais avec dérision.
Martha Wilson est née en 1947 à Philadelphie aux États-Unis. Elle a été enseignante de littérature anglaise au Nova Scotia College of Art and Design à Halifax, alors considéré comme un grand centre d’art conceptuel. Exclue par cette communauté d’artistes essentiellement masculine, elle développe en marge de leurs travaux, un propos artistique intime et unique. Le début des années 1970 marque ses premières vidéos. Elle explore la pratique de la performance et celle de la photographie. C’est durant son séjour à Halifax que Martha Wilson donne à voir dans son œuvre « des gestes radicaux ». Cette période atteste, en effet, de la création d’un langage percutant et plein d’ironie.
“EXCLUE PAR CETTE COMMUNAUTÉ D’ARTISTES ESSENTIELLEMENT MASCULINE, ELLE DÉVELOPPERA UN PROPOS INTIME ET UNIQUE.“
Martha Wilson. Crédit photo : Jade Saber.
PERFORMANCES ET ACTIONS CORPORELLES
Martha Wilson explore des médiums caractéristiques de l’art contemporain. Le spectateur est amené à découvrir ces vidéos d’actions corporelles, à travers lesquelles elle explore les questions de la fabrication de l’identité et de la valeur de l’artiste dans un marché de l’art mondialisé. Elle tourne en dérision l’image d’elle-même, matériaux de son œuvre, afin de questionner la limite très fine entre l’image public qu’elle renvoie, l’image à laquelle elle aspire et son soi intime et véritable. Ainsi, le spectateur s’interroge à son tour : Comment suis-je, moi aussi, vu par l’autre ? Comment se montrer au monde ?
L’artiste montre de façon très intéressante la tendance qu’ont les individus à présenter des versions idéalisées d’eux-mêmes. Et cela n’est pas grave ! Parce que justement, Martha Wilson s’empare de cette observation et la traite, encore et toujours, avec dérision. Elle interroge en permanence dans ses œuvres, de façon subtile, le quotidien. Qu’est-ce que ce quotidien implique en matière de représentation dans une « société de spectacle » où l’identité de chacun se perd dans une sociétéou assignation sociale et paraître sont de rigueur ?
TROUVER SON IMAGE, SON GENRE, SA FÉMINITÉ
L’enjeu majeur de son œuvre réside dans le fait de questionner les représentations sociales du féminin sur un mode corrosif. L’artiste se livre entièrement au public, sans compromis, elle donne à voir toutes ses insécurités. C’est ce qui fait toute la poésie de son œuvre. Martha Wilson se joue d’elle-même, elle se joue de son corps, dans le but de se réaliser. Elle se maquille, joue avec les traits de son visage, avec sa coiffure ou encore ces expressions faciales, afin de déconstruire tous les stéréotypes autour de la beauté féminine, d’un soi-disant idéal féminin.
La pratique artistique de Martha Wilson entretient une relation presque intrinsèque avec le langage. Ses travaux photographiques sont toujours accompagnés de textes. Elle considère cette pratique photographique, qu’elle agrémente de commentaires, comme « d’un lieu d’intersection entre l’image et le texte » pour reprendre ses mots.
A travers la série « Posturing », Martha Wilson complexifie les jeux de rôle menés jusqu’à présent. Son œuvre se concentre sur la question de l’identité LGBT+, elle tente de dépasser et de déconstruire les formes d’assignations aux modèles dominants en matière d’orientation, de représentation et d’identité sexuelle. Martha Wilson préfigure des réflexions qui seront reprises par des artistes comme Judith Butler ou encore Cindy Sherman qui abordent aussi les questions de travestissement féminin et de mise en situation du genre dans leurs œuvres.
Vous l’aurez bien compris, Martha Wilson est une artiste qui ne fait aucun compromis. Elle ne cesse de déjouer les systèmes de valeurs esthétiques, marchandes et politiques, dans une période artistique marquée par la culture underground et l’activisme artistique. Alors lecteurs et lectrices, armez-vous de second degré afin de découvrir l’œuvre de Martha Wilson au Centre Pompidou.
Crédit photos : Jade Saber.