Face au régime taliban, le musée Guimet ravive les ruines de Bamiyan

15 août 2021 : vingt ans après leur déchéance, les talibans brandissent armes et drapeaux dans les rues de Kaboul. Cette reconquête de la capitale afghane déterre le souvenir d’un régime fondamentaliste qui, le 11 mars 2001, avait explosé les vestiges bouddhiques des falaises de Bamiyan. Le Musée Guimet commémore cette destruction.

AMPUTER LE PATRIMOINE AFGHAN

Le 11 mars 2001, alors que la loi de la charia, application stricte de la loi islamique, sévit en Afghanistan, les talibans explosent les deux bouddhas monumentaux des falaises de Bamiyan, au cœur de l’Afghanistan. Au pouvoir depuis 1996, le mouvement fondamentaliste refuse toute représentation d’idoles mais également tout ce qui, antérieur au prophète Mahomet, est recouvert par le temps. Avec cette destruction, ce sont aussi 10 000 Hazaras – communauté chiite considérée comme hérétique et établie dans la région – qui sont exécutés.

Réalisés autour du Vème siècle de notre ère, ces bouddhas de 38 et 55 mètres de haut constituaient les derniers vestiges du site monastique de Bamiyan, lui-même très prisé par les archéologues du monde entier. Carrefour de la route de la soie, il donnait lieu à une juxtaposition des civilisations et des religionsdans le cadre d’un commerce entre communautés. Un pan entier du patrimoine afghan dont le musée Guimet a souhaité, 20 ans après, commémorer l’amputation. 

Avec « Des images et des hommes, Bamiyan 20 ans après », l’institution fait bloc face à l’effacement auquel s’adonne l’extrémisme religieux. Vestiges archéologiques, photos, textes et films documentaires, l’exposition s’appuie sur les traces, la mémoire collective et le travail de Pascal Convert, artiste plasticien et historien, envoyé dans la région au printemps 2016. 

Statut de Bouddha trouvée dans le couvent de Tapa – Kalan – 1923 (Afghanistan)

CE QUE L’ON FAIT AUX IMAGES, ON LE FAIT AUX HOMMES

Artiste invité par l’ambassade de France en Afghanistan, c’est son intérêt historique pour les groupes islamistes radicaux (d’abord au Kosovo, puis en Algérie avec le Groupe Islamique Armé dont les membres étaient alors formés en Afghanistan) qui le pousse à scruter de plus près cet épisode de l’obscurantisme taliban. Perpétré six mois jour pour jour avant les attentats du 11 septembre, l’explosion aurait du, selon l’historien, alerter les puissances occidentales : « On n’a pas compris qu’il s’agissait d’un coup de massue symbolique avant la destruction des Twin Towers ( … ) D’autant qu’à cette époque, les images qu’utilisait Ben Laden( N.D.L.R, djihadiste saoudien, réfugié dès 1998 dans les montagnes d’Afghanistan ) pour sa communication avaient lieu dans les grottes de Bamiyan. Ces grottes sont parfaites pour abriter un mouvement terroriste : plus 750 grottes et un système de tunnel permettant de les relier entre elles » .

Plus qu’un acte barbare, la destruction des bouddhas avait, en 2001, fait l’objet d’un bras de fer politique entre les Nations Unis et le régime taliban. En quête d’une reconnaissance internationale, ce dernier réclamaient alors un siège à l’ONU faute de quoi ils détruiraient les bouddhas : « Ils ont bien compris que les questions patrimoniales étaient au coeur de la société occidentale : elles accordent une grande importance à la mémoire, à l’empreinte du temps et à la conservation des civilisations. Les talibans en ont tiré parti pour faire du chantage ». Le 2 mars, ils les vandalisaient. Le 11, ils filmaient leurs explosion aux cris d’Allahu Akbar.

“LES TALIBANS REFUSE TOUTE REPRÉSENTATION D’IDOLES ET TOUT CE QUI, ANTÉRIEUR AU PROPHÈTE MAHOMET, EST RECOUVERT PAR LE TEMPS.”

Vue d’exposition : Fragment d’une main monumentale ( V – VII ème siècle ) – Afghanistan, Bamiyan. Crédit photo : Perla Msika.

LE MUSÉE CONTRE LA MÉMOIRE COURTE

Auteur de deux œuvres photographiques monumentales et d’un film témoignant de sa rencontre avec les enfants de Bamiyan, Pascal Convert incarne la voix de ce qu’il reste du site : « Mon travail plastique de symbolisation est toujours lié à un travail documentaire. C’est ce qui m’a mené à devenir historien. Je regarde la terre vue du sol et non du vue ciel » insiste-t-il. Un goût du terrain qu’il partage avec les époux Hackin, couple d’archéologues disparus il y a 80 ans dont le travail, présenté au Musée Guimet dialogue avec le sien : « Les époux Hackin ont une histoire formidable et leur travail d’archéologue sur le site de Bamiyan (ndlr, en 1924, 1929 puis 1931) est révélateur de leurs engagement postérieur en tant que résistant : leur liberté de chercher et de découvrir était portée par leur liberté de conscience. »

Face aux talibans à l’extrémisme récalcitrant, le musée Guimet sollicite donc ce qui reste. Plus que jamais utile, il s’arme des décombres, documents et créations contemporaines pour faire du musée un lieu de mémoire tangible contre le chaos destructeur. Les visiteurs, à qui l’on transmet le souvenir de Bamiyan, deviennent alors les gardiens d’une réalité perdue. Il suffit d’un pour se souvenir. 

Pourtant, aujourd’hui encore, la drame de Bamiyan trouve peu d’écho : malgré les sollicitations de Sophie Makariou, présidente du Musée Guimet, aucune institution new-yorkaise n’a, selon Pascal Convert, accepté de présenter l’œuvre panoramique de l’artiste pour les cérémonies commémoratives du 11 septembre 2001 : « C’est regrettable, déplore-t-il, car même si les américains sont peu au fait de ce qui s’est passé à Bamiyan, cela permet de mieux comprendre les attentats du 11 septembre et tout récemment, la situation actuelle. »

C’est d’ailleurs cette méconnaissance qui, poursuit-il, explique les erreurs commises par l’Occident et notamment par les Etats Unis. Une « impréparation géopolitique et symbolique » qui tend à oublier qui sont les talibans, explique-t-il. « Quand j’ai entendu que Joe Biden avait décidé de retirer les dernières troupes d’Afghanistan au 11 septembre 2021, j’ai halluciné. C’est comme signer une défaite au jour anniversaire de la victoire de ses adversaires. » A noter que la date anniversaire, a depuis, été avancée au 31 août 2021. De son côté, Pascal Convert n’oublie pas. L’artiste refuse de retourner en Afghanistan tant que les talibans y appliqueront la charia. Autant dire tant qu’ils y détiendront le pouvoir.

“ON N’A PAS COMPRIS QU’IL S’AGISSAIT D’UN COUP DE MASSUE SYMBOLIQUE AVANT LA DESTRUCTION DES TWIN TOWERS.” 

Pascal Convert.

Vue d’exposition : à droite, Petit Bouddha – Pascal Convert – 2020 – Afghanistan, Bamiyan. Crédit photo : Perla Msika.

Perla Msika

La Perle

Exposition « Des images et des hommes, Bamyan 20 ans après »
Du 24 février au 18 octobre 2021 
Musée national des arts asiatiques – Guimet
6 Place d’Iéna 75116 Paris
Commissaires d’exposition : Sophie Makariou, Pierre Cambon
et avec la participation du photographe Pascal Convert