QUAND L’AMOUR RENCONTRE L’EXIL
Se sentir libre d’aimer ou d’exister comme on l’entend : cette affirmation relève d’une lutte de tous les instants, dans de nombreuses régions du globe. À ce jour, 69 pays répriment encore l’homosexualité. Au Moyen-Orient notamment, les citoyens lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres ont généralement des droits limités ou très restreints et peuvent rencontrer de fortes hostilités. Face à ce constat accablant, comment parvenir à aimer librement en faisant fi de ces systèmes conservateurs, en s’affranchissant des règles établies sans risquer sa vie ? Si la réponse semble complexe, les luttes sociales des années 2011 ont permis une amplification du militantisme LGBT+ dans les pays arabes. Des artistes en faisant partie, se sont réunis au sein de l’exposition « Habibi, les révolutions de l’amour ». À l’Institut du Monde arabe, ils nous plongent dans des récits pluriels à travers des œuvres de résilience et de lutte – sentimentales ou politiques – souvent reliées à l’exil.
C’est le cas de l’artiste iranien Alireza Shojaian, peintre et activiste né en 1988 à Téhéran. Exilé depuis 2017, il a fui au Liban, puis a obtenu l’asile politique en France. Son œuvre intitulée Sous le ciel de Shiraz, Arthur illustre l’affiche de l’exposition et fait partie des premières œuvres du parcours. Un homme assis, vêtu de son plus simple appareil, semble nous transpercer du regard et nous communiquer toute sa détermination. Loin des clichés masculins, l’homme dépeint est barbu, poilu, au physique ordinaire. Une certaine fierté semble se dégager du tableau, celle d’un homme prêt à combattre les préjugés. Dans ses compositions intimistes voire vulnérables, Alireza Shojaian fait un éloge à la beauté des corps masculins en déconstruisant les canons de virilité communément admis par nos sociétés modernes.
Crédit photos : Lucie Vial Blondeau.
Quelques mètres plus loin se situent les œuvres d’une autre artiste exilée, Kubra Khademi. Artiste et performeuse afghane née en 1989, elle est contrainte de fuir son pays en 2015 suite à l’une de ses performances et se réfugie alors en France où elle obtient la nationalité en 2020. Militante féministe, son travail revisite les codes et constructions patriarcales en proposant des fresques exaltant le corps féminin, la sororité, le matriarcat et les pratiques lesbiennes. Les deux gouaches présentées par l’artiste sont une ode au plaisir et au désir. Corps, nudité, érotisme : Kubra Khademi tient à nous initier, avec une grande sensibilité, à la banalisation de ces scènes d’amour. Bien d’autres artistes composent la première partie de cette exposition, où la place de l’intime est centrale et mêle représentations culturelles et réflexion contemporaine.
ENTRE L’ART ET LE DOCUMENTAIRE
Un escalier nous mène dans la seconde partie de l’exposition, plongée dans une lumière violette enveloppante et mystérieuse. Ici aussi, la question de l’exil n’est jamais loin et fait partie intégrante de l’histoire de la communauté LGBT+ dans le monde arabo-musulman et ses diasporas. On retrouve de nouveau cette dimension dans le travail du photographe documentaire soudanais Salih Basheer. Dans son accrochage, un récit en noir et blanc se dessine sous nos yeux.
“SALIH BASHEER EXPLORE LE POINT DE VUE DES RÉFUGIÉS LGBT+ DANS LEUR QUÊTE D’UN NOUVEAU CHEZ-SOI.”
Crédit photo : Lucie Vial Blondeau.
Un visage revient à plusieurs reprises, il s’agit d’Essam, jeune réfugié soudanais, contraint de s’exiler en Suède après avoir quitté le Soudan puis l’Egypte. Dessin, maquillage, fissure dans le sol… Chaque élément nous renvoie à un élément de la vie d’Essam, tel un journal intime retraçant son parcours. Ayant lui-même fait l’expérience de l’exil, Salih Basheer explore dans son projet The Home Seekers le point de vue complexe des réfugiés dans leur quête pour trouver un nouveau chez-soi.
On découvre non loin de là un autre travail photographique puissant, celui de la photographe franco-algérienne Camille Lenain, qui s’intéresse aux multiples identités françaises se situant au croisement de la culture LGBT+ et musulmane. Des portraits se dressent côte à côte, les regards sont intenses, ils ont quelque chose à nous dire. Chacune des photographies est accompagnée d’un témoignage, à l’image de celui d’Habibitch, activiste queer – synonyme de LGBT – et féministe décoloniale, qui transforme les pistes de danse en espace politique : « Nos colères ne sont que réponse aux violences qu’on a subies ou qu’on subit, raconte-t-elle. Pour moi, c’est important de refaire la chronologie des colères et des violences parce qu’on oublie souvent qu’elles ne sont que des réactions. Elles ne sont pas ex nihilo, elles ne sont pas des attaques, elles sont des colères de défense. »
Crédit photos : Lucie Vial Blondeau.
Par ces prises de parole et ces portraits, Camille Lenain célèbre les différentes interprétations de la culture musulmane. Habibitch, par sa pratique artistique mêlant danse, performance et conférence, est une figure incontournable de la scène Ballroom, des lieux d’expression artistique pour la communauté queer à travers le monde. L’Institut du Monde Arabe a pour l’occasion créé la Ballroom de Habibi, une salle de projection immersive pour vous plonger dans une sélection de vidéos d’artistes musicaux et de performers sur fond de pop culture arabe et musiques contemporaines.
À la fois exaltés par la force et la sensibilité qui se dégagent de chacun des projets, et indignés par cette injustice qui pousse des personnes à se battre pour leurs libertés, on ressort avec une puissante volonté de partager largement les récits qui nous ont portés tout au long de l’exposition. « Habibi, les révolutions de l’amour » est un magnifique plaidoyer pour la diversité et la tolérance, dans un monde où le droit d’aimer ou d’être qui l’on veut est encore mis en doute.
La Perle
Exposition “Habibi, les révolutions de l’amour”
Du 27 septembre 2022 au 19 mars 2023
Institut du Monde arabe
1 Rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris
www.imarabe.org
Instagram : @institutdumondearabe