Sara Bagot dit « Moi » : Viens, on est bien

Elle surjoue l’autopromo en signant “Moi”. Originaire d’Andorre, Sara Bagot peint des scènes silencieuses et ensoleillées où l'Homme est toujours suggéré, mais jamais représenté.

Sara Bagot dit Moi restitue à la douceur de vivre toute la noblesse dont elle est pourvue. Crédit photo : Instagram.

On connaît la malicieuse astuce d’Ulysse qui, dans la mythologie grecque, prétend s’appeler Personne pour échapper au cyclope Polyphème et à sa faim gargantuesque d’êtres humains. 

« Qui t’a fait du mal, Polyphème ? » demandent les autres cyclopes après avoir entendu ce dernier appeler à l’aide, l’oeil brûlé par Ulysse et ses compagnons. 

— C’est Personne. 

— Si personne ne t’as fait de mal, pourquoi cries – tu ? » 

Signant ses peintures d’un simple « Moi », Sara Bagot ravive le digne héritage nominal du roi d’Ithaque

L’œuvre est de « Moi » ou comment teinter d’un coquin second degré le travail de cette artiste qui – entre innocente expression de sa pâte et subtile auto-promotion – joue de cette signature pour titiller la figure de l’artiste

Une légèreté que l’on retrouve dans sa peinture. D’un revers de pinceau, Moi transforme l’éphémère tranquillité de nos derniers bains de soleil en apaisantes couleurs pastels. Sur une plage, près de l’eau – mers ou piscines – l’artiste restitue à la douceur de vivre – qu’on croyait futile car habituellement savourée en maillot de bain, la bouche aux corneilles, les doigts de pied en éventail – toute la noblesse dont elle est pourvue. Keep calm and make art

Comment es-tu devenue artiste ? 

Cela me touche toujours qu’on emploie ce terme à mon égard, car pour moi, c’est avant tout une thérapie. Au départ, mon métier est de gérer une agence immobilière ce qui implique beaucoup de stress, beaucoup d’anxiété. Et même si je m’y intéresse depuis toute petite, j’ai vraiment commencé à peindre il y a trois ans : pendant mes pauses, entre midi et deux, les nuits où je n’arrivais pas à dormir. Puis un jour, une des amies m’a encouragée à en faire quelque chose, à montrer mon travail. Elle m’a donné confiance en moi. J’ai alors décidé de faire ma première exposition.

« Moi »… drôle de nom pour une artiste. D’où cela te vient-il ? 

Cela peut paraître très narcissique, c’est vrai. Un jour, une femme m’a contactée de la part d’une galerie. Elle s’est permis de me dire qu’elle trouvait ça « très nul » de signer mes œuvres de la sorte. Mais ma réponse à cela est très simple : petite, lorsque j’ai commencé à peindre, je ne savais pas qu’il fallait signer par un nom particulier, qu’il fallait un « blaze ». Je signais donc « Moi » car c’était ce qui me semblait le plus naturel. Tout cela est donc parti d’une situation très innocente mais qui est finalement restée. 

Tu as visiblement un goût prononcé pour l’eau, les piscines et les bassins. L’œuvre de David Hockney y serait-elle pour quelque chose ? 

En toute honnêteté, je ne me suis jamais vraiment intéressée au nom des artistes. Je ne fréquentais pas les expositions. Je n’ai donc découvert l’œuvre de David Hockney qu’il y a très peu de temps. Aujourd’hui bien sûr, c’est un de mes artistes favoris. 

Ces paysages sont surtout des souvenirs de vacances voire même des rêves que je mets en œuvre. Pendant le confinement, j’ai surtout peint des mers, des plages ou de grandes architectures… Une manière pour moi d’exprimer cette envie folle de partir en vacances, d’aller au bord de l’eau et de prendre le soleil. 

L’eau semble d’ailleurs te servir de motif de transition entre une représentation strictement figurative – celle de tes extérieurs ensoleillés – et une douce abstraction colorée… 

C’est tout à fait ça. Cette histoire, c’est celle de Lilo (ndlr, l’œuvre Summer Blues) , une peinture que j’ai réalisée pour la toute première fois, un dimanche après-midi. Je peignais une plage puis je me suis demandée si je ne pouvais pas ajouter une petite nageuse. De là est née mon héroïne Lilo que j’essaye toujours de retranscrire pour estomper l’abstraction et ajouter un peu de figuratif à mon travail. 

[Ce petit personnage Lilo, c’est une manière de raconter une histoire ?] Non, pas du tout. J’ai réalisé ma deuxième exposition sur la Femme. Pour l’occasion, j’ai donc peint Lilo de plusieurs manières, en grand, en petit, les cheveux en arrière, en femme qui s’assume… Mais la distance de ce personnage qu’on ne voit que de loin ou sans visage me permet toujours de garder l’équilibre, entre abstrait et figuratif. 

Parlons de ces extérieurs que tu peints : l’homme y est à la fois personnage secondaire et à la fois omniprésent. Comme si tu ne souhaitais laisser que des indices de son passage… 

Tu t’apercevras qu’il y a toujours une place pour cette Lilo. Pourtant, elle reste l’unique et seule être humain dans mes peintures. Il y a effectivement toujours quelque chose qui la rappelle. Même dans mes dernières peintures qui sont plus focalisées sur l’architecture, on la retrouve via l’une de mes toiles ou de mes amphores que j’insère à son tour dans l’œuvre. 

Une de tes œuvres où l’homme est bel et bien présent – et sous un angle très particulier – c’est Viens, on est bien. Peux-tu nous en dire plus ? 

Cette œuvre date de 2017. Je l’ai laissée de côté pendant un moment. Mon copain m’a aidée à dessiner les premiers traits car je n’y arrivais pas seule. C’est toujours dur de dessiner une femme. Je la trouvais trop maigre ou trop grosse. L’oeil d’un garçon m’a beaucoup aidée à mieux l’appréhender. Mais je n’arrivais toujours pas à la peindre. Les couleurs ne ressortaient pas. Je l’ai alors laissée de côté un moment. Puis, au début du confinement, je l’ai retrouvée. J’ai décidé de la refaire. Elle a donc été peinte à deux reprises. J’ai ajouté les couleurs et mis ce bas de maillot en rouge vif. Je voulais que le premier coup d’oeil arrive sur les fesses pour rejoindre l’exposition sur la Femme où le personnage de Lilo s’assume. Et puis le titre Viens, on est bien : c’était à la fois du second degré puisqu’on était tous confinés (rire) et l’envie d’être bien, d’être en vacances.

Je trouve ton travail empreint d’un humour très subtil, un humour du détail…

Je ne sais pas s’il s’agit d’humour ou d’avantage de clin d’œil. Je pense notamment à celle avec la bouteille de Campari (ndlr, l’œuvre Breve Pausa). Cette œuvre, je l’avais terminée. Il n’y avait rien que cette piscine et ce grand cactus. Et alors que je me disais qu’il manquait quelque chose, je buvais justement un verre de Campari. J’ai donc tout simplement décidé d’ajouter cette bouteille avec son verre à moitié plein. D’autant que cette peinture est directement tirée d’un paysage italien. 

Je pense par exemple à cette discrète mise en abyme de tes propres œuvres. Subtile auto-promotion ou manière amusante de jouer avec son propre travail ? 

Un peu des deux. Cela rejoint une fois de plus ce nom d’artiste Moi. C’est mon personnage, comme une manière d’auto-promouvoir mes peintures. Il y en a même une où je fais carrément de la publicité en ajoutant l’étiquette accrochée à l’œuvre. Pour l’anecdote, la marque Campari m’a contactée après avoir vu mon œuvre Breve pausa et m’a demandé s’ il était possible de publier l’œuvre sur leur compte Instagram. 

Promouvoir son travail pose aussi la question de la place très particulière de l’artiste dans la société… 

Décrire un artiste ? Je pense sincèrement que les artistes sont perchés. Parfois, je me le dis à moi-même (rire). Être artiste, c’est parvenir à sortir quelque chose de son imagination. Le tout c’est d’oser le faire. J’ai souvent peur avant une exposition. Mais chaque fois je me dis qu’il faut oser et assumer. 

Des tables aux tapis , ton travail semble également investir la vie quotidienne… Est-ce une idée qui te tient à cœur ? 

Oui, totalement. Je suis fan de design et d’architecture. C’est donc très naturellement que je me suis associée à l’atelier Paolo qui fait des tapis tuftés main. En regardant son travail sur Instagram, j’ai eu cette idée de collaborer avec lui. On a donc créé ces tapis. C’est un des plus beaux projets que j’ai fait cette année. J’ai aussi réalisé des broderies en collaboration avec l’Unwind Studio qui a donc choisi deux peintures pour créer ces petites œuvres brodées recto-verso. C’est toujours un challenge de travailler sur différents supports. Mais j’adore. Pendant le confinement, je manquais de toiles. J’ai donc commencé à peindre sur carton. J’ai aussi peint sur poteries, amphores, sur tables, sur casque de moto. C’est vraiment un jeu, un challenge mais surtout, c’est un kif (rire).

Tu sembles d’ailleurs privilégier les petits formats de création. Une façon pour toi de garder l’art à portée de main, à portée de tous ? 

On m’a commandé beaucoup de grands formats. Je le fais et j’aime ça. Mais c’est vrai que je préfère le petit format : son budget permet de rendre l’art accessible à tous. Ils sont aussi plus facilement transportables, plus faciles à réaliser. Je suis assez hyperactive, je me lasse vite. J’ai donc plus tendance à vouloir terminer une peinture rapidement – en quelques semaines j’entends. 

Nous sortons d’une période assez particulière. L’art t’a-t-il permis de mieux appréhender ce confinement ? 

Je pense que je vais énerver beaucoup de personnes (rire). J’ai vécu ma meilleure vie pendant le confinement. J’ai fait du yoga, de la cuisine, de la peinture. Je n’ai jamais autant peint que pendant le confinement. D’autant qu’en Andorre, on a la chance d’être assez coupé du monde. Mes peintures ont vraiment tendance à représenter le monde paisible dans lequel je vis, la tranquillité. 

[Comme une bulle protectrice ?] Oui, les paysages, la douceur des vagues, les couleurs pastels. C’est vraiment l’envie de retranscrire la douceur, comme une manière de dire aux gens de se poser, de profiter, de vivre l’instant présent. On me le dit souvent et c’est très agréable : mes peintures semblent apaiser ceux qui les regardent.

Quels sont tes projets pour la suite ? 

Je suis très heureuse d’annoncer que du 30 août au 6 septembre, je réalise une exposition en collaboration avec Nana Galerie, une artiste dont le travail est un peu plus figuratif que le mien – à la galerie Mage de Toulouse. Ce sera donc une semaine d’exposition éphémère.

Propos recueillis par Perla Msika

La Perle

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