A la ville comme à l’atelier, Pierre et Gilles forment la symbiose parfaite. Depuis plus de quarante ans, le couple s’évertue à concilier peinture et photographie dans une série de portraits. Dans une sacralité colorée, ils font alors de leurs modèles – célèbres et non – des figures merveilleuses et intouchables. Avec la « Fabrique des Idoles » actuellement à la Philharmonie de Paris, c’est à la musique de pousser les portes de leur univers.
Avec « la Fabrique des Idoles », vous exposez votre lien à la musique. Prochainement à Cannes, ça sera au tour du cinéma ( Pierre et Gilles, le goût du cinéma au Centre d’art La Malmaison à partir du 12 décembre 2019 et jusqu’au 26 avril 2020 ). D’où provient cette fascination pour ces milieux artistiques ?
P : Comme beaucoup d’autres personnes, c’est étroitement lié à notre enfance. Quand nous étions petits, nous vivions tous les deux en province. J’étais à La Roche-sur-Yon, une petite ville un peu austère. Donc la radio, la musique et les images de films dans les revues étaient pour moi une forme d’évasion, de rêve.
G : Pour moi qui ai grandi au Havre dans les années 1950, j’ai aussi connu une ville assez austère, détruite pendant la guerre, où les gens étaient un peu marqués, traumatisés. J’allais donc beaucoup me réfugier au cinéma. J’y allais très souvent, peut-être trois fois par semaine. Je rêvais à toutes sortes de films, notamment les comédies musicales comme La Mélodie du Bonheur. J’adorais ça. J’écoutais aussi beaucoup de musique. J’ai grandi dans une famille nombreuse où chacun avait son chanteur favori. Ma sœur aimait beaucoup Françoise Hardy, mon frère préférait France Gall. Quant à moi, j’avais choisi Sheila.
P : Moi, c’était plutôt Sylvie Vartan ( rire )
Bollywood opère justement une fusion entre musique et cinéma. C’est un genre cinématographique qui vous a inspirés. Gagnerait-il à être davantage mis en valeur dans le monde occidental ?
P : Notre voyage en Inde en 1979 a été très important. On y est allés sans savoir vraiment ce qu’on allait découvrir. Tous nos amis disaient « mais c’est fini l’Inde ! » Et finalement, on y a découvert tout un monde moderne, un monde de films qui était un peu resté dans les années 1970.
G : On y a vu ces affiches fantastiques de stars, qui là-bas, sont de vrais demi-dieux. On a aussi beaucoup été à Madras. Je dirai que ce voyage nous a tellement plu qu’il nous a profondément influencé.
P : Je pense, en effet, qu’on redécouvrira Bollywood comme on redécouvre aujourd’hui certains films des années 1970 qui étaient jusqu’alors un peu mis de côté, comme les films de Bruce Lee. On leur trouve maintenant une beauté, une modernité qu’on ne leur trouvait pas avant.
G : Bollywood, c’est la culture indienne. Quand on regarde des temples indiens, baroques, colorés, remplis d’images et un film de Bollywood, on y voit presque la même chose. C’est fait pour plaire à tout le monde. Tout le monde se retrouve dans les temples : les enfants, les grands parents, les papas et les mamans. Et dans les films Bollywood, c’est la même chose : la famille se réunit.
En travaillant sur ou avec des figures populaires, souhaitez-vous en quelque sorte réconcilier l’art, discipline historiquement élitiste, avec des Monsieur Tout-le-monde ?
G : L’art populaire a toujours été important. L’art vient du populaire. C’est comme la mode. Ce qui a d’ailleurs été très important dans mon enfance, c’est le Pop Art. C’était un mouvement qui parlait beaucoup du populaire, de la société de consommation. Andy Warhol mettait en scène des célébrités comme Marilyn ou Liz Taylor. Une vraie première. C’est certainement cela qui nous a influencé. Je pense justement que les artistes sont là pour aider à comprendre le monde et à le regarder d’une nouvelle façon pour pouvoir mieux l’apprécier. Nous, nous en sommes témoins et nous en parlons dans notre travail.
Si vous deviez choisir un musicien avec lequel vous n’avez pas encore travaillé…
P : J’adore Angèle. Elle est très jolie. Mais il y en a plein d’autres. Chez les rappeurs par exemple.
G : Oui, ce que fait Angèle est très intéressant. Elle est jeune et parle vraiment à cette jeunesse qui évolue. Mais on est assez ouverts sur tous les styles de musique. Ce qui nous intéresse c’est de découvrir. On aime les surprises avant tout. Notre vie a été faite de surprises. Quand un jour, on nous a appelés pour nous dire : « Madonna est à Paris, elle veut vous rencontrer » on était tellement étonnés qu’on n’y pas cru. Et pourtant c’était bien vrai (ndlr, Legend -Madonna – 1995).
Avez-vous déjà eu envie d’explorer un autre thème pictural que le portrait ?
G : On a fait quelques natures mortes. Mais c’est le portrait qui nous plait le plus. C’est comme la couleur. Il y a quelques images en noir et blanc. Mais nous, on rêve en couleur (rire).
Cette exposition est-elle en quelque sorte l’occasion de célébrer vos quarante ans de collaboration, de vie à deux ?
P : Je crois qu’on cherchait tous les deux un double. Et nous l’avons trouvé.
G : Oui, dans ma tête, j’ai toujours eu envie de trouver un double. Nous avons travaillé séparément. Pierre était photographe et j’admirais beaucoup son travail. Quant à moi, je sortais des Beaux Arts, et j’avais en quelque sorte besoin de trouver mes repères dans le monde. Je ne savais pas vraiment si je voulais être artiste. Et la rencontre avec Pierre a été formidable. Elle m’a permis de réaliser mes rêves.