Philippe Pasqua : de chair et de passion

Philippe Pasqua donne matière à la chair. Selon le regardeur, sa peinture fascine ou terrifie. Sa nouvelle exposition personnelle “Monomania” exposée à la Galerie RX est une série de portraits des membres de sa famille, réalisés pendant le confinement.

Passionné, obsédé par la chair, il décide à son tour de l’aimer, de la comprendre, d~ peindre autant qu’il est possible. Crédit photo : Autoportrait – Philippe Pasqua – technique mixte sur papier – 2020.

Philippe Pasqua est peintre. Il ne l’explique pas, ne le comprend pas non plus, mais une chose est sûre : il le sait. Comme une pulsion créatrice, une force tout droit sortie des entrailles de l’art, il fallait que ça sorte. Heureusement pour nous. 

Et tout commence par le déclic : Une rencontre foudroyante avec une œuvre de Francis Bacon, peintre des corps torturés. Après cela, Philippe Pasqua n’est plus le même : passionné, obsédé par la chair, il décide à son tour de l’aimer, de la comprendre, de la peindre autant qu’il est possible.

Aujourd’hui, trente-cinq ans après ses premiers coups de pinceau, l’artiste continue de peindre les corps de ceux et celles qui l’interpellent. Avec « Monomania » – sa nouvelle exposition pour la Galerie RX – il a d’ailleurs jeté son dévolu sur des modèles sollicités durant le confinement : sa propre famille et lui-même. « Monomania », c’est donc un regard singulier et attentif sur ceux qu’il aime, la preuve supplémentaire de son adage : peindre pour se sentir vivant. Porté par l’écho chaleureux de son atelier, Philippe Pasqua a alors répondu à mon appel ; plus spontané, plus authentique que jamais.

Comment êtes-vous devenu artiste ? 

Devient-on vraiment artiste ? Je ne crois pas. Pour moi, c’est une chose qui réside en nous et qui ne s’apprend pas. Pas besoin d’écoles ni de maîtres, le ressenti, on ne le trouve qu’en soi-même. Il est possible, bien sûr, d’apprendre la technique auprès d’artistes qui vont vous inculquer leur savoir-faire, vous façonner selon leur moule. Mais si l’on veut devenir artiste, il est impératif d’en sortir, de s’en libérer pour trouver sa propre voie. 

J’ai toujours adoré dessiner – comme beaucoup d’enfants finalement. Mais le déclic qui m’a ensuite poussé à emprunter la voie de la peinture pour le restant de mes jours, c’est de découvrir un livre de Francis Bacon. A cette époque – j’avais 17 ans – je ne savais rien de lui, de l’art ou même de ce que je voulais faire de ma vie. Puis un jour, en me promenant dans la rue, mes yeux ont par hasard fixé une image, un Pape de Francis Bacon ( ndlr, Portrait du Pape Innocent X ). J’en ai été bouleversé. Une révélation. A cet instant, l’art est devenu ma passion, mon obsession. Je voulais à tout prix comprendre l’effet que cette image avait eu sur moi. J’ai donc décidé d’en faire ma vie. Pour aller où ? A cette époque, je ne le savais pas. Mais il fallait que j’y aille. C’était plus fort que moi.

Il faut de l’audace à seulement 17 ans pour se lancer dans une telle démarche… 

Oui un peu, mais cela me correspond. Je suis quelqu’un d’extrêmement spontané que ce soit dans ma peinture ou dans ce que je vis tous les jours. D’ailleurs, quand je peins je ne cherche pas à savoir pourquoi, comment, si c’est possible ou non… Je suis simplement mon envie et fait alors tout pour y arriver.

Vous savez, si l’on commence à se poser ces questions, on ne se lance jamais. Je m’en suis aperçu plus tard. Si j’avais réfléchi aux enjeux au début de mon parcours – au temps que cela prend, à la persévérance et à l’énergie qu’il faut pour y arriver, à l’acharnement jour et nuit dans l’atelier, à la solitude de la démarche, je ne me serais jamais lancé. Celui qui réfléchit trop, il n’entreprend rien – je dirais même qu’il n’est pas fait pour ça. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai eu des enfants assez tard. Je devais d’abord accomplir des choses pour moi-même, faire vivre ma passion pour ensuite donner du temps à ma famille.

Les corps que vous peignez sont empreints d’une authenticité très intense. Rien ne vous échappe. Comment les appréhendez-vous ces corps, ces modèles parfois hors du commun ? 

Je ressens les choses. Certaines personnes m’attirent plus que d’autres. Je choisis mes modèles comme cela : en fonction de ce qu’ils dégagent, des rencontres qui ont lieu. De mon côté, j’ai des idées et je les suis en organisant des rencontres, des prises de vue qui vont ensuite me servir, me laisser le choix pour créer mes tableaux.

Quels sont les maîtres de la peinture qui vous inspirent quand vous travaillez ? 

Beaucoup d’artistes… J’aime Klimt, Schiele, Freud, Giacometti. J’aime les Nymphéas de Monet, l’araignée de Louise Bourgeois ( ndlr, Maman, 1999 ), les dessins de Michel-Ange. J’aime Anselm Kiefer, Christopher Wool, les frères Chapman, Paul McCarthy. Souvent, ce sont même des artistes qui n’ont rien à voir avec la peinture. Je croise les disciplines et m’inspire aussi bien de la photographie, de la mode, de l’architecture que du cinéma. Par exemple, j’aime beaucoup l’univers de Lewis Carroll, de Tim Burton, de Tarantino, de Cindy Sherman, de Roger Ballen, de Richard Prince ou de Robert Mapplethorpe. 

La vanité tient une grande place dans votre travail. L’art est-il une manière pour vous d’extérioriser le macabre ? 

Sûrement. Cette peur de la mort, de l’inconnu me suit depuis toujours. Et d’ailleurs, elle ne me quittera sûrement jamais. D’autant qu’à l’image de la vanité en art, la crainte de la mort est universelle. Aussi, inutile de la fuir. Mieux vaut la peindre. Je crois en effet, qu’il y a dans ma peinture, une forme d’exorcisme.

Votre peinture se plaît d’ailleurs à mettre en lumière les failles, les blessures, la vulnérabilité des corps. Sont-ils eux aussi, des vanités vivantes ? 

Oui, c’est une lecture. Je suis tellement fasciné par cette chair – morte ou vivante – par la couleur et par les corps. En créant, j’essaye de retranscrire sur le tableau une émotion, une gestuelle, une réalité et à l’aide d’une matière qui paradoxalement ne le sera jamais. Après tout, cela reste de la peinture. Et pourtant : j’essaye de donner tellement de ce que j’ai à l’intérieur de moi, de charger l’œuvre de ma propre sensibilité qu’à certains moments, j’ai même l’impression que mes tableaux vont prendre vie. C’est peut-être cela que le spectateur ressent. 

Vous ne craignez pas que vos œuvres soient choquantes ou indisposent ? Ou est-ce au contraire partie prenante de votre âme d’artiste ? 

Cela ne fait pas partie de ma démarche. Je ne le cherche pas. Mais je ne le crains pas non plus. Si l’œuvre me plait, c’est le plus important. Je ne crée pas pour les autres. Mon travail est tellement personnel. Pour moi, c’est comme un exutoire, une thérapie. C’est ma vie. Bien sûr, il y a ceux qui aiment mon travail et ceux qui ne le partagent pas. Mais on peint pour soi avant tout, pas pour les autres.

Pourtant au vu de votre carrière, on voit bien qu’il y a un certain retour auprès du public. Comment l’expliquez-vous ce succès ? Qu’est-ce qui selon vous, plaît dans votre peinture ? 

Je ne sais pas; peut-être une forme de vérité. De toute manière, que mon travail plaise ou déplaise, l’important c’est qu’il interpelle. Quand on voit l’un de mes tableaux, on sait que c’est de moi. Je préfère bien sûr que les gens apprécient – car en un sens, c’est bien la preuve que j’ai réussi à faire ressentir l’émotion qui au départ m’anime.

A regarder votre touche, on sent une forme de frénésie. Vous vous dites vous-même « boulimique » de peintures et de portraits. D’où vient-il, ce trait de caractère artistique ?

Je suis né comme ça : entier dans tout ce que je vis. Pour moi, il n’existe aucune frontière entre mon art – ma peinture, ma sculpture – et ma vie. C’est tout ou rien.

Vos sculptures s’expriment à l’inverse au travers d’une forme plus polie, plus lisse. Est-ce l’apaisement formel qui manquait à votre travail ? 

Disons que cela dépend des sculptures. Je pense par exemple à ma Porte de l’enfer en cours de création et directement inspirée de l’œuvre Rodin. A priori, elle ne sera pas si lisse que cela ! Enfin nous verrons bien (rire). En tout cas, j’apprécie de travailler à la fois la peinture et la sculpture. Ce sont deux médiums très complémentaires. 

Et ce passage entre la peinture et la sculpture a-t-il été spontané ? 

Oui complètement. Pour moi, il n’existe même pas de frontières entre les deux. Je vais de l’un à l’autre, je travaille sur les deux dans la même journée. Ils sont différents mais à tel point qu’ils ne se gênent pas. Au contraire, ils se marient bien.

Votre nouvelle exposition « Monomania » se tient actuellement à la Galerie RX à Paris. Pouvez-vous nous en parler ? 

Pendant le confinement, je n’avais pas d’autre choix que de peindre les modèles qui étaient tout le temps avec moi, ma famille. Cette situation m’a poussé à réfléchir et m’a donné envie d’en faire une exposition. On le sait bien : il faut parfois user de la contrainte pour créer quelque chose de positif. C’est comme en peinture : si je n’ai pas la bonne couleur, le bon format de toile, ce n’est pas grave. J’essaye de m’adapter, de faire autrement. 

En ce qui concerne son nom – « Monomania » – j’ai voulu une fois de plus faire écho à la période actuelle, à cette idée de s’enfermer avec ceux que l’on connaît et qui nous ressemblent. Cette série d’autoportraits et de portraits de famille permet d’ailleurs de faire le lien avec l’exposition en cours au CAC de Malaga ( ndlr, exposition « El lado oscuro – Le côté obscur » jusqu’au 29 novembre 2020 ) : sorte de rétrospective, elle retrace mon travail de 1990 à nos jours et remonte justement jusqu’à certains tableaux peints pendant le confinement. 

Avec « Monomania », vous vous lancez pour la première fois dans la réalisation d’autoportraits. Comment se sent-on lorsqu’on devient modèle ? Est-ce le confinement qui vous a appris à davantage vous regarder ? 

J’en avais déjà fait quelques-uns par le passé. Mais là, il s’agissait vraiment d’intégrer mes autoportraits à la démarche de représentation d’une famille – en l’occurrence la mienne – et donc de moi-même par la même occasion. J’avais simplement envie de me peindre. Et d’ailleurs, cela ne m’a pas semblé plus difficile. En revanche, j’ai trouvé que mes autoportraits étaient différents en termes de technique du reste de ma peinture. Je n’arrivais pas à les réaliser comme si c’était quelqu’un d’autre. Une manière particulière : peut-être plus rapide, plus spontanée. 

Comment avez-vous vu évoluer votre travail au fil des années ? 

Je suis toujours en recherche. L’évolution me plait. J’aime aller de l’avant. J’aime ce que je vois aujourd’hui. Je ressens tellement de choses. C’est très difficile – car c’est très personnel – de comprendre ce que je ressens, comment je peins. Mais en ce moment, je suis plutôt satisfait. J’ai trouvé une paix avec la peinture.

Vous m’avez parlé de vos enfants. Est-ce que vous cherchez à leur transmettre cette fibre artistique ? 

Non, pas du tout. Je souhaite plutôt qu’ils trouvent leur voie par eux-même. Je cherche par contre à les intéresser aux choses, à ce qu’ils acquièrent une ouverture d’esprit, une intelligence de la vie : comprendre les gens et les choses, savoir où ils veulent aller. Il ne s’agit pas forcément de savoir pourquoi l’on veut faire ou comprendre quelque chose. Je me rappelle d’ailleurs d’une interview lors de laquelle on me posait une question sur ma représentation de la mort. Et je ne savais pas répondre. A cela, le journaliste m’avait justement répondu : « Votre réponse est là : dans votre non-réponse ». Eh bien voilà : on peut trouver sa voie sans forcément pouvoir l’expliquer. C’est ce que je veux leur inculquer. 

A quand remonte votre dernier coup de cœur artistique ? 

Il y a quinze jours, j’ai découvert une sculpture de Ru Xiofan, un artiste chinois qui a réalisé une petite céramique d’un Bouddha à tête de bouquets de fleurs ( N.D.L.R Ode à la méditation, 2019 ) C’est très beau, très poétique. 

Quels sont vos projets pour la suite ? 

Il y a le château de la Gaude à Aix en Provence. C’est un endroit sublime avec un parc de sculptures. Il y a également un documentaire, « Epitaph », qui sera diffusé sur Arte début d’année prochaine et qui revient sur le rapport à la mort de plusieurs artistes d’horizon très différents. J’ai deux expositions normalement prévues en Chine Je dois aussi mettre en place une installation monumentale – une tour de dix-huit mètres de haut – pour un particulier à Montpellier. Je dois enfin achever ma Porte de l’Enfer puis réfléchir à un lieu d’exposition. Quant à la galerie RX, elle ouvre ses portes à New-York en février prochain ce qui vaudra normalement de réaliser une exposition là-bas.

Propos recueillis par Perla Msika

La Perle

 L’exposition « Philippe Pasqua : Monomania » se tenait
à la galerie RX jusqu’au 14 novembre 2020
Instagram : @philippe_pasqua_officiel