Mathias Bensimon, au creux de la lumière

Son exposition immersive “Soleil Levant” matérialise la lumière. Comme immergé dans un cocon, le spectateur peut ensuite admirer la performance de Mathias Bensimon, étudiant aux Beaux-Arts de Paris. Rencontre avec un talent émergent.

Mathias Bensimon prouve que la performance est l’œuvre qui fait du corps de l’homme et de l’artiste le support originel, l’œuvre par excellence. Crédit photo : Instagram.

Dans la course aux clichés sur l’art contemporain, la performance reste invaincue. Elle court, elle court, loin devant, portée par la caricature et les idées reçues d’un artiste qu’on adore imaginer faussement délirant.

Mais l’enjeu n’est pas tant d’apprécier ou non la performance, de savoir même qui des tenants ou des détracteurs nuisent le plus à sa réputation – à mon sens ceux qui minaudent l’intelligence sans regarder valent bien ceux qui moquent et méprisent sans comprendre.

Quoi qu’on en pense, il s’agit surtout de reconnaître la performance comme une courageuse mise à nu. Un éloge à la vulnérabilité. Car oui, au mépris des conventions et des traditions, elle est celle qui fait du corps de l’homme et de l’artiste le support originel, l’œuvre par excellenceC’est du moins ce que j’ai vu dans l’œuvre de Mathias Bensimon, étudiant aux Beaux Arts de Paris. A l’ombre d’un café en fleurs, il a bercé mon imaginaire dans le cocon de son esthétique contemplative et lumineuse. A vous maintenant, d’y jeter un œil…

Comment es-tu devenu artiste ?

Mon père est peintre. Petit, j’avais l’habitude de rester dans son atelier pour peindre et dessiner. Mais c’est à l’âge de 13 ans – en fréquentant l’atelier, en rencontrant d’autres artistes comme Atsoupé, une artiste togolaise – que j’ai vraiment décidé d’en faire une vocation.

J’ai donc intégré un lycée d’arts appliqués, Maximilien Vox. A partir de là, mes temps de cours comme mes temps libres étaient dédiés au dessin et à la peinture. Au début, je faisais surtout du graffiti dans les espaces urbains, les lieux abandonnés. J’aimais leur donner une deuxième vie. J’ai d’ailleurs poursuivi cette pratique par la suite, lors de mes voyages.

Puis je suis entré aux Beaux Arts de Paris où j’étudie depuis 4 ans. Là-bas, j’en ai plus appris sur l’art contemporain. Je me suis mis à une pratique d’atelier. J’ai surtout rencontré beaucoup d’artistes et chefs d’ateliers comme Wernher Bouwens ou Ann Véronica Janssens.

La lumière tient une place centrale dans ton travail. Tu la peins, la recrée, la mets en scène. Comment s’est passé ta rencontre avec cette esthétique lumineuse ? 

J’ai beaucoup étudié la tradition spirituelle contemplative tirée notamment du bouddhisme et de la méditation. J’ai travaillé avec des maîtres tibétains mais aussi à Paris avec des personnes qui pratiquent la méditation sous un angle plus laïque. C’est comme cela que j’ai essayé d’approfondir ce rapport à la contemplation. Et dans ce rapport, ce qui apparaît en premier lieu, c’est la lumière. Dans tout ce que l’on regarde, c’est d’abord elle que l’on voit. 

Puis, en apprenant à dessiner, à peindre, à regarder comment m’apparaissait la lumière, j’ai compris qu’elle constituait vraiment le cœur de mon travail. J’ai souhaité montrer la lumière et avec elle toute la portée spirituelle dont elle est chargée. Illuminer, montrer les choses. L’art pour moi est un espace où les choses nous sont révélées. 

En travaillant avec Ann Véronica Janssens, j’ai pu aussi en savoir plus sur l’interaction, le reflet de la lumière sur la matière. Cela m’a alors permis de créer d’autres espaces. Des espaces parfois immersifs à la manière de James Turrell. Quand j’arrive dans un espace, la première chose que je regarde c’est comment apparaît la lumière et comment je vais pouvoir travailler.

Avec ton exposition de diplôme « Soleil Levant » tu as rempli l’espace de cette esthétique lumineuse et immatérielle. Une démarche difficile, n’est-ce pas ? 

Cette exposition avait vraiment tout de l’espace immersif. Elle permettait de rentrer dans la peinture, dans la lumière. Je voulais que le spectateur soit plongé dans un espace coloré, qu’il navigue dedans, qu’il ait une vue différente selon ses déplacements dans la pièce. C’est vrai que c’est assez difficile de transmettre cela. Je pense de toute façon que la dimension contemplative de l’art est plus difficile à véhiculer au spectateur qu’un travail cérébral et conceptuel.

Tu fais partie des artistes qui osent pratiquer la performance. Quel regard portes-tu sur cette discipline créative à part ?

Je pratique surtout la performance en collaboration avec des musiciens. J’essaye en effet de travailler avec d’autres disciplines et notamment avec la musique qui, en l’occurrence, agit comme une sorte de résonance à mon travail. J’ai d’ailleurs commencé à faire de la performance en m’intéressant à des danseurs, à des des joueurs de taïko, des violonistes.

Puis, lors de mon exposition « Soleil Levant », j’ai fait venir une violoniste pour qu’elle puisse jouer selon ce qu’elle ressentait au sein de l’espace immersif. Quant à moi, j’improvisais sur sa musique, en bougeant, en dansant, en peignant.

L’aspect performatif pour moi, c’est un travail éphémère, une expérience avec le public, un moment durant lequel je lâche prise sur le contrôle que j’ai habituellement sur la peinture, et ce, au profit de la danse et de la musique. C’est aussi un moment de partage. Le spectateur peut alors recevoir tes gestes, ta manière de peindre et de créer. Il jouit d’une vue d’ensemble.

Lors de tes performances, tu as collaboré avec des musiciens. Quel rôle tient la musique dans ton travail ? 

Je ne fais pas de musique. Comme je te l’ai dit, j’ai davantage accueilli la musique grâce aux musiciens. Comme une résonance assez immatérielle à mon travail. C’est quelque chose de l’esprit, qui est transmis, qui nous ouvre, qui nous touche mais qui n’est pas forcément formulable.

Dans mon cas, lorsque je vais à une exposition et que je découvre une œuvre, ça me travaille. j’y repense beaucoup, l’œuvre me marque et m’inspire. Pour la musique, c’est pareil. C’est une sorte de transe entrainante, qui nous porte sur le rythme de la musique. J’étais très heureux d’accueillir cela au sein de mon travail.

Le corps, la présence humaine, c’est donc un support de création comme un autre pour toi ?

Oui, c’est assez naturel pour moi. Pendant longtemps, j’ai pratiqué les arts martiaux, notamment le tai-chi. Pour moi, l’art corporel est un art à part entière. J’intègre donc le mouvement et la musique à mes expositions. D’autant que la performance donne quelque chose au spectateur. [ Éprouvant, non ? ] Oui très. Cela reste un travail. Car on donne de son énergie. Toute improvisation demande un long travail de préparation. Et comme c’est éphémère, c’est encore plus difficile : sur le moment, on donne quelque chose au spectateur qui finit par disparaître.

Ces performances, tu ne les filmes pas ? 

Généralement, non. Il y a toujours des gens qui le font bien sûr. Mais je préfère que les gens repartent avec le moment, l’expérience.

Tu parles beaucoup de l’expérience du spectateur, celle qu’il ressent au devant de tes œuvres… 

Le spectateur… C’est assez difficile à dire comme ça… Mais je dirais qu’il tient une place centrale puisqu’il reçoit quelque chose. C’est lui qui est sensible et qui permet à l’œuvre d’exister. Il permet le partage. Pour moi, l’art, c’est aussi le partage. 

En art contemporain, il y a des artistes comme James Turrell ou Dan Flavin qui m’ont beaucoup appris quant au rapport entre la lumière et le spectateur. Quand on rentre dans leurs espaces colorés, on est nous même éclairés, illuminés par la couleur. Pour moi, c’est quelque chose de très fort. 

Le spectateur, c’est aussi un enjeu propre à notre époque. Avec le cinéma, l’opéra, l’art total, le spectateur a de plus en plus envie d’entrer dans un univers, d’être transporté, remué. Je veux moi aussi, amener le spectateur dans cet espace là. 

Tu es aussi photographe. Comment intègres-tu cette discipline à ton travail d’artiste? À ton esthétique lumineuse ? 

La photographie, c’est ma manière de créer en voyage. Je voulais travailler sur l’instant. J’ai pris une série de photographies un peu brumeuses, une autre extrêmement lumineuse… Ce qui m’intéresse c’est d’exprimer la lumière comme un phénomène naturel. Tout est baigné dans une atmosphère, une tonalité. J’ai essayé de capter ces moments un peu magiques, où l’on sent qu’il se passe quelque chose, que la nature exprime une vibration. 

A t’écouter, tu sembles plus réceptif à la sensibilité des arts extra occidentaux…

Quand j’ai commencé à peindre, ce qui me touchais le plus c’était les arts premiers. Ceux d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et d’Amérique du Sud. Une exposition m’avait d’ailleurs marqué, celle réalisée par Jean de Loisy sur le sacré (ndlr, Exposition « Maîtres du désordre » au Quai Branly en 2012 ) .

Ce qui m’intéresse c’est l’art dans sa dimension vraiment existentielle. La portée esthétique de l’art occidental est aussi intéressante, bien sûr ; et j’ai la chance, en tant que métisse, de pouvoir me nourrir des deux pendants. Mais considérer l’art comme une image, une représentation ou un documentaire – comme l’envisage la tradition occidentale ne me suffit pas. J’essaye de rester dans quelque chose de fondamentalement humain.

J’ai passé quelque temps avec les minorités ethniques en Thaïlande et au Vietnam Ces 53 minorités ethniques vivent de la même manière depuis des milliers d’années. J’ai aimé découvrir leur rapport à l’art qui est à la fois sacré et quotidien. Leur manière de prendre soin des œuvres, de les placer, de les disposer, de les broder. A l’inverse, l’art occidental prends plus la forme d’un cadre délimité. J’ai pour ma part, plus tendance à considérer l’art comme quelque chose de beaucoup plus grand, de beaucoup plus global. 

Quand je suis rentré aux Beaux arts, je me suis d’ailleurs senti un peu tiraillé. Car on ne comprenait pas vraiment la dimension contemplative de mon travail. On souhaitait que je connaisse l’héritage occidental, que je m’inscrive dans une certaine continuité d’artistes. J’étais assez mal à l’aise. Heureusement, j’ai pu ensuite travailler avec des professeurs et des chefs d’ateliers – comme Ann Véronica Janssens – qui étaient plus sensibles à mon travail.

Ton travail d’artiste a-t-il évolué pendant la période de confinement ?

J’ai vraiment eu l’impression d’avoir plus d’espace. Tout était un peu à l’arrêt, y compris la pression du travail et des échéances. J’ai eu le temps de faire ce que je voulais : de la méditation, de la peinture… J’ai pu expérimenter de nouvelles choses. 

Au bout d’un moment, je t’avoue que j’ai quitté Paris et suis parti à la ferme faire de l’agriculture. J’aime beaucoup ça. Ce rapport à la nature. Voir évoluer ce mouvement lent et riche de la vie, je trouve que c’est fascinant. Après tout, l’agriculture est le premier art de l’homme.

Quels sont tes projets pour la suite ?

Je dois normalement exposer à la Galerie Miyawaki de Kyoto au Japon. Il s’agit de ma toute première exposition individuelle japonaise. J’en suis très heureux.

[ C’est un pays qui t’inspire, le Japon ? ] Oui beaucoup. Surtout pour l’attention portée à l’art de vivre, au détail, à l’architecture. Cette recherche d’harmonie et d’équilibre, le respect des gens pour la nature. 

Je commence aussi un travail de 8 fresques pour le nouveau siège d’Altarea Cogedim, une grande entreprise d’architecture et de mobilier. C’est un chantier d’environ 2 mois que je réalise avec ma sœur Juliette Bensimon, artiste et étudiante à la Villa d’Arson.

Propos recueillis par Perla Msika

La Perle

Instagram : @MathiasBensimon