Entretiens

Juan Vignon aka +579 et le street Art

Espiègle, minimaliste, joyeuse, l'œuvre de +579 est affichée au détour des rues parisiennes. Saurez-vous la repérer ?

La Perle Couverture.

Le street art a pour particularité de faire de ses artistes, des inconnus au talent caché. Pas de signature, pas de cartel, pas d’exposition à proprement parler. Feu Jean-Michel Basquiat nous l’a très bien prouvé, il faut parfois attendre plusieurs années, voire des décennies avant de se retrouver exposé dans un musée.

Heureusement maintenant, il y a Instagram.

J’ai rencontré Juan – surnommé + 579 – par des amis d’amis. En m’abonnant à son compte Instagram, comme tout bon membre de la communauté 15-25, j’ai été surprise de découvrir son coup crayon défini selon les termes : apparemment simple, fondamentalement talentueux. Artiste décalé, +579 offre à tous ceux qui traversent les rues de Paris au moins une fois – dans la journée ou dans leur vie – un aperçu de son œuvre.

Aussi, plutôt que d’épier mon quartier à la recherche de ses petits personnages fripons, j’ai pris mon courage à deux mains et lui ai demandé de me donner des pistes. Une chance pour moi, il a accepté de répondre à mes questions.

Comment es-tu devenu artiste ? 

Je suis étudiant à l’école d’architecture et de direction artistique, Penninghen depuis un an. Avant cela, j’ai fait un an d’économie à Montréal, même si en vérité, je me suis plus focalisé sur la ville, rencontrer des gens, organiser des évènements musicaux… Je suis ensuite rentré à Paris et j’ai décidé d’arrêter les études pour travailler dans une chaîne TV : Ubiz News. Pendant 6 mois, j’ai donc touché à l’univers de la télé et du montage avant de partir au Brésil où j’ai commencé le design à l’université de Brasilia.

Mon père est béninois et ma mère colombienne, d’origine tchèque et italienne. J’ai grandi à Paris avec eux. Passionné d’art, de musique, de mode et de design, j’ai commencé à collectionner notamment des vinyles, des cassettes trouvées dans les fripes et vides greniers. Quant au dessin, j’ai toujours aimé en faire mais je m’y suis mis sérieusement il y a deux ans, développant un style plutôt minimaliste, plus basé sur les idées que sur la forme. 

Pourquoi exposer tes dessins dans les rues de Paris ? 

Je me dis que les rues de Paris sont une galerie un peu ouverte à tous. On peut s’y exprimer librement – même s’il y a toujours les flics qui te guettent (rire). Mais oui, c’est au contact de tout le monde. Tu peux sensibiliser des gens qui ne s’intéressent pas habituellement à l’art. Je trouve ça cool, en tout cas, de commencer par là : imposer mes personnages, mon style à Paris ou ailleurs. 

Après, je ne sais pas si je suis street artiste Je dessine de temps en temps sur les murs, mais ce n’est pas mon activité première. Ce que je fais le plus c’est noter des idées, dessiner dans mon petit calepin. Je réalise aussi sur feuille, sur toile, mais street artiste, je ne sais pas. Disons que je marque mon territoire dans les rues, mais de là à me dire street artiste…

J’ai une préférence pour le petit « Aimé », personnage en cœur aux membres gigotants. Comment t’est-il venu à l’idée de le créer ? 

Aimé est né il y a deux ans, période où je n’étais pas vraiment au top. En dessinant des formes simples, il m’est venu naturellement car l’amour, symbolisé par le cœur, est pour moi la base de tout ; c’est ce qui fait « battre » la société. Enfin, c’est ma façon de voir les choses.

J’ai décidé de ne pas lui donner d’expression, juste des yeux pour qu’il se fasse témoin de la société. Il observe sans forcément critiquer ou donner son avis. Il est juste là. Parfois il saute, parfois il court, parfois il danse. C’est un personnage très cher à mes yeux. 

Après j’ai commencé à en faire d’autres : il y a le chien, Voxy, qui est né en premier. En meilleur ami de l’Homme, il est souvent à côté d’Aimé. Il y aussi l’éclair, Stormy, l’oiseau, Birdy et la fleur, Marguerite. Ils sont tous témoins. Beaucoup finissent par un « y » car influencés par la culture américaine. Ce sont les enfants du capitalisme. En fait, dès qu’un personnage me passe par la tête, je le dessine et s’il me plait esthétiquement, je le garde. 

Quant à ma signature, « + 579 », elle correspond à 579 nanomètre soit la longueur d’onde d’un jaune que l’on trouve sur le drapeau du pays de mon père, le Bénin et sur celui de ma mère, la Colombie. Le « + » qui suit suggère une dimension supérieure à toute représentation, une haute explication à tout ce qui peut être fait.

En parlant d’inspiration, qui sont les artistes qui t’ont donné envie d’être artiste ?

Beaucoup. Des musiciens, aussi bien que des plasticiens ou des peintres. De Michael Jackson à Kaytranada en passant par les Black Eyed Peas. J’aime bien les dessinateurs comme Jean-Charles de Castelbajac, André et Georges Condo. J’aime bien leur simplicité, le fait de pouvoir représenter beaucoup sur beaucoup de supports différents sans forcément être dans un atelier pour créer. Certains peuvent se mettre à dessiner sur une table de restaurant. 

En street art, j’aime bien Dan Perjovschi, Kenny Scharf et surtout Katsu qui peint avec des drones, ce que je trouve révolutionnaire. Cet espèce de réalisme sans se prendre la tête. Mais si je devais choisir une œuvre, ce serait celle de Basquiat, Riding with death de 1988. Juste avant sa mort, comme s’il se voyait déjà mourir… elle a quelque chose de tragique mais de puissant.

Le 6 octobre dernier, Banksy ébranlait d’ailleurs le marché de l’art contemporain en broyant son œuvre Girl with Balloon en pleine vente aux enchères. Que penses – tu de cette performance et du phénomène qui l’accompagne ? 

J’ai trouvé ça génial. C’est un street artiste que personne ne comprend vraiment : personne ne sait comment fonctionne son business, si c’est lui qui touche l’argent, si ce sont des particuliers qui touchent de l’argent pour lui. Personne ne sait non plus si l’évènement a été planifié ou s’il s’est fait comme ça. Bref, il y a un grand mystère autour de cet évènement. Et je trouve ça bien que des gens qui ne s’intéressent pas forcément à l’art en parlent. Ça a fait autant de buzz qu’un fait d’actualité politique finalement. 

Pour ce qui est de la performance en elle-même, je pense que c’est culotté. Une œuvre taguée sur un mur, refaite sur papier puis détruite, et, à cause de cela, le prix quadruple ! Ça montre à quel point le monde de l’art contemporain est complexe. Il s’y passe trop de choses que l’on ne comprend pas. Face à ce genre de phénomène, il faut parfois se contenter de constater et d’être impressionné. C’est un grand foutage de gueule qui remet en question certaines choses de ce milieu. 

J’ai constaté à tes dernières publications que tu avais entamé une collaboration avec le compte « F is for Fendi ». C’est important pour toi d’envisager des collaborations avec d’autres domaines que l’art à proprement parler ? 

J’ai rencontré Victoire Forneri il y à 5 ans de cela. Nous sommes restés en contact. Depuis quelque temps, elle travaille à Rome, pour la marque Fendi. En fait, elle y gère le marketing et plus particulièrement la plateforme « F is for Fendi » qui vise un public plus jeune, les millenials ( ndlr, personnes nées entre 1990 et 2000 ) s’intéressant à l’art. Elle m’a donc contacté pour faire, grâce à mes dessins, la promotion du sac Peekaboo et du sac baguette. J’ai ensuite été relayé sur leur compte Instagram ce qui a laissé la porte ouverte à de futures collaborations que je garde secrètes pour l’instant. 

Bien sûr qu’il faut envisager des collaborations avec d’autres domaines artistiques. Ce qui est beau dans l’art, c’est la réunion autour d’une idée, d’une émotion, de faire en sorte que les arts se mêlent que ce soit avec la mode ou la musique : la création d’une couverture d’album par exemple. Mettre en relation des choses et des domaines qui ne collaboreraient pas ensemble de prime abord c’est cela qui m’intéresse. Créer des connexions. 

Propos relayés par Perla Msika

La Perle