Le directeur du musée du Louvre rencontre Beyoncé et Jay-Z. On dirait le début d’une mauvaise blague. Et pourtant. Cet échange a vraiment eu lieu. Entre le couple de musiciens et Jean-Luc Martinez à l’occasion du tournage d’Apeshit, clip du couple tourné, l’année dernière au Louvre. Un film époustouflant.
Mais pas si étonnant que ça. Lorsqu’on rencontre Jean Luc Martinez, président du Louvre et co-commissaire de l’exposition « Figure d’artiste » dans la Petite Galerie du musée, on comprend pourquoi. Un homme pour qui l’accessibilité et la liberté sont les maîtres mots.
Sur son initiative, la Petite Galerie ouvre ses portes en 2013. Depuis, elle fait office de laboratoire muséal. On s’essaye à de nouveaux types d’expositions, moins traditionnels, plus à même de séduire de timides visiteurs, étroitement liés à d’autres disciplines artistiques – le théâtre, et la danse entre autres.
Pour l’exposition « Figure d’artiste », le commissaire revient sur l’évolution du statut de l’artiste à travers les âges. Tantôt mythe littéraire, tantôt artisan, tantôt simple concepteur, l’artiste ne se cantonne pas à une identité propre. Entre besoin de reconnaissance et nécessaire liberté, il se cherche sur la toile. Rencontre avec Jean Luc Martinez qui s’efforce, à son tour, de le trouver.
Vous parlez d’une évolution de la figure d’artiste dans le monde et l’Histoire de l’art. C’est une question qui se pose encore aujourd’hui : quelle(s) idées souhaitez-vous faire ressortir en confrontant d’ailleurs certains artistes contemporains au Louvre ?
De la même manière que François Premier a autrefois fait venir le plus grand artiste de son temps à la cour de France – Léonard de Vinci donc – , on a toujours considéré que le Louvre était aussi le lieu des plus grands artistes vivants. Chagall a été exposé au Louvre, Picasso aussi, maintenant c’est au tour de Pierre Soulages. Cela permet aussi de raconter cette histoire du musée comme maison des artistes, de rappeler que le musée a d’abord été pensé par des artistes qui voulaient se frotter à d’autres artistes. L’essence du musée c’est ça.
Mon souhait serait que les gens soient libres à l’intérieur du musée. Et si on les enferme dans l’Histoire de l’art en disant « vous ne pouvez accéder au musée que si vous connaissez, vous savez », ça voudrait dire que le musée n’est pas fait pour le public. Alors qu’en réalité, de la même manière que des artistes du XVIIème siècle venaient au musée pour chercher d’autres artistes, Beyoncé et Jay- Z, eux, ont recréé pour leur clip, un musée imaginaire afro-américain. Et même si certains ont vu cela comme un scandale, une instrumentalisation, il faut bien comprendre que le musée a été fait pour ça : pour que chacun vienne faire sa propre collection.
Le visiteur, dans un musée comme celui-là, sera libre si l’on arrive à lui faire comprendre qu’il est libre de ne pas tout regarder, de ne pas tout comprendre, de pouvoir choisir et de se dire « je peux aimer ou ne pas aimer ». L’important c’est d’établir une relation avec l’œuvre. Bien sûr, le musée peut aussi être un lieu d’érudition, de connaissance, mais il n’a pas été créé pour cela.
Les préoccupations féministes étant particulièrement d’actualité, cette démarche est-elle similaire quant à la représentation des femmes et femmes artistes au sein du musée ?
Comme tout historien, je me méfie des anachronismes. Mais le musée a été fait pour les anachronismes, c’est-à-dire pour jeter un regard contemporain sur les cultures du passé. On ne peut donc pas reprocher au musée d’être anachronique.
Que l’on fasse de cette femme, (ndlr, Portrait d’une femme noire, Madeleine, M.G Benoist, 1769), la figure de l’émancipation des noirs en France, c’est faux historiquement mais c’est intéressant pour la société du XXIème siècle. Nous devons servir l’universel. Je sais que ce n’est pas un mot à la mode, que les gens détestent cette notion. Mais nous, nous présentons les œuvres dans toute leur richesse de signification, leur complexité.
Vous ne pensez donc pas qu’il existe une responsabilité historique de la part du Musée du Louvre ?
Nous faisons œuvre scientifique mais ce n’est pas la seule entrée en matière. Si cette femme noire peinte par M.G Benoist permet à des jeunes filles noires françaises de se sentir dignes du Louvre, si c’est une appropriation particulière, et alors ? Il n’y a pas de bonne ou mauvaise interprétation de ce tableau. Et si des jeunes femmes pensent comme Félicié Fauveau, artiste française du XIXème siècle revendiquant indépendance et goûts masculins, qu’il faut provoquer la société, soit. Les œuvres ont pleine signification. Bien entendu au Louvre, on les range dans une école, dans une période car c’est notre travail d’historien.
Cette ouverture d’esprit dont vous faites preuve, est-elle nécessaire à votre travail de président et directeur du Louvre ?
Ce n’est pas une question d’ouverture d’esprit. Vous savez, on ne vit pas en dehors du monde. D’abord, on sait que 60 % des gens ne viennent pas au musée. Ce qui nous paraît important et crucial dans notre vie, sur le plan professionnel, ne concerne pas 60 % des gens. On est amenés à se poser des questions. Quand vous travaillez dans un hôpital ou un magasin, vous touchez la vie de tout le monde. Nous, on ne touche pas la vie de tout le monde, nous ne sommes pas le centre du monde.
Et d’autre part, nous travaillons avec le public ; et ce public est d’une diversité énorme. Les gens viennent pour des raisons différentes. Et de ce fait, tout le monde ne regarde pas les œuvres de la même manière. Ça ne veut pas dire que tout se vaut, ni qu’il y a mépris de la vision savante : il est bien entendu évident que plus vous savez de choses, plus vous avez fait des études, plus vous êtes capables de comprendre l’intention de l’artiste, l’intention du modèle. Comprendre les codes et les références aide beaucoup.C’est comme accéder à un code secret.