Axel Pahlavi : la chair et la couleur

Des portraits aux allures d’icônes religieuses. C’est le pari de la dernière exposition d’Axel Pahlavi. Entre une fascination pour la couleur et l’influence des codes de la peinture chrétienne, l’artiste présente une série de toiles à la Galerie Eva Hober.

Dans les compositions d’Axel Pahlavi, résident toutes les contradictions de la peinture. L’éternelle querelle – qui du dessin ou de la couleur – imbibe ses toiles contemporaines entre fusion et affrontement.

C’est en toute simplicité que l’artiste me reçoit, café à la main, à quelques jours de son vernissage à la galerie Eva Hober. Lexposition « Veux-tu (théorème) » laisse place au souffle de la couleur sans jamais négliger l’hyperréalisme frappant de ses corps. Bercé par la foi, l’humour et l’autodérision, l’artiste s’anime d’une culture picturale qui le fascine pour lui donner une tournure inédite. Rencontre haute en couleur. 

Comment êtes-vous devenu artiste ?

Il y a une anecdote que je raconte souvent : quand j’étais petit, ma mère avait récupéré un exemplaire du Figaro Magazine. Elle avait trouvé dedans, un supplément pour les grands musées d’Europe et d’Amérique du Nord. J’y ai vu un tableau de Giovanni di Paolo, Dieu créant le monde, Adam et Eve chassés du Paradis. J’ai été très impressionné par les craquelures du tableau. Juste après, il y avait Aristote contemplant le buste d’Homère de Rembrandt. Ces deux œuvres m’ont fait forte impression. Je crois que c’est là que j’ai décidé de devenir peintre. 

Plus tard, j’étais un peu l’homme sans qualités. Je n’étais ni beau, ni brillant… Il fallait que je trouve un moyen d’exister. Je pense que c’était un peu dans une logique de… séduction. Je ne sais pas si c’était pour draguer les filles ; ce serait peut-être un peu exagéré. Mais je sentais que je ne pouvais pas passer par mon regard, ni par mon physique, donc j’ai fait ça pour me rendre intéressant.

Vos œuvres sont silencieuses et vos personnages, solitaires. Il en ressort pourtant une grande narration, pour ne pas dire une véritable théâtralité. C’est paradoxal, non ? 

Pour moi, la personne humaine est habitée par le souffle trinitaire. Je pense qu’il y a un dialogue interne. Lorsque j’étudiais à New York, j’ai allumé la télé, un soir. J’y ai vu une bonne sœur qui a dit cette phrase en anglais : « solitude is not loneliness. » C’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué. Je pense que, quand mes personnages sont seuls – même si sur certaines œuvres, ils commencent à être accompagnés – ils sont en attente de quelque chose. 

Quant à la question de la théâtralité, je renverrais aux travaux du théologien suisse Urs Von Balthazar. À l’époque, c’était un peu la mode de rendre les Évangiles accessibles au langage contemporain. Il a d’abord pensé à la psychologie, à la sociologie, pour raconter les Évangiles ; puis, il a voulu parler des personnages de textes sacrés comme des personnes particulières. Il a donc écrit un ouvrage, La Gloire et la Croix, pour lire les Évangiles selon le filtre du théâtre et de la mise en relation des individus. C’est dans ce sens-là, que je vivrais la mise en scène. Après, ce n’est pas une vision qui n’appartient qu’à moi. Je pense qu’il y a une théâtralité dans toute la peinture classique. 

D’un autre côté, il y aussi une tendance à l’icône. De ce point de vue là, j’oscille dans mes représentations, entre la tradition orthodoxe et la tradition catholique. L’une met en valeur le face à face, le vis à vis avec les personnages ; tandis que l’autre tend plus vers une mise en relation des personnes. 

On parle de votre travail comme une œuvre qui accorde de l’importance aux corps. J’aimerais, pour ma part, y associer la place que tient la couleur. Quelle est-elle ? 

C’est amusant, car dans l’exposition qui a lieu ici, il y a un élément qui m’apparaît comme évident, c’est justement la présence de la couleur. Mais je crois que la couleur est un des domaines les plus difficiles à mettre en mots. Alors pour répondre à la question, la couleur est un aspect très important pour moi. Mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’en dépit du travail extrêmement mental qui est le mien, j’ai un rapport à la couleur, qui est, pour le coup, physique et intuitif. Libre, aussi, si c’est possible. 

Sur les œuvres qui sont là, il y a une mise en relation entre des décors relativement définis et des espaces assez éclatés. Certains espaces sont habités par la couleur. Quand je parle de la couleur, c’est une couleur très violente, très pure. J’ai travaillé pendant trois ou quatre ans sur la représentation du corps, de la lumière et de la matière du corps – notamment de la chair – ; et là, j’ai souhaité laisser les corps dans ces espaces de couleur. J’ai essayé de tenir le coup face à ce souffle de la couleur. Cette espèce de liberté, très présente par la couleur, est le lieu même de l’intériorité. 

Avec votre œuvre, l’histoire du Christ et de la chrétienté, même à notre époque, n’est pas en reste. Est-ce votre intérêt pour la représentation du corps, de la douleur qui vous pousse à travailler sur ce classique iconographique ? 

Oui, clairement. Il y a une urgence de travailler cette question. Je ne peux pas faire autrement. Mais l’on voit bien que j’ai avalé de la science-fiction, du comics, de la culture pop. On n’est pas dans le bon goût religieux. Là, on est vraiment à la limite du dégueulasse. Même si j’espère qu’on ne tombe pas complètement dedans, on peut dire que ça frôle le kitsch. J’essaie d’habiter cette question là avec mes formes. 

Florence Obrecht, votre épouse, est aussi artiste-peintre. Il vous arrive d’exposer ensemble. Agit-elle aussi comme une muse dans votre acte de création ? 

Elle a une force incroyable. Déjà, quand je la peins, je la prends d’abord en photo. Et sur ces photos, elle décide beaucoup : comment elle veut prendre la pose, comment elle veut être vue, quelles photos elle veut que je peigne… Elle a la liberté de me contredire, de dire les choses autrement. 

Nous vivons à l’ère des réseaux sociaux. Vous communiquez vous-même par Instagram. Que pensez-vous du rôle qu’ils tiennent aujourd’hui, dans la vie de l’artiste ? 

Très violent. En même temps, on y va comme attiré par sa bouffe car il y a quelque chose de l’ego là-dedans. Le danger, pour moi, est qu’on devienne une image. Quelque chose d’hystérique, mais qui reste sympa quand même, pas encore trop méchant ou dangereux. Instagram, par contre, ça me semble dangereux pour la peinture. J’en suis sûr, même. Ce sont de petites images. Comment de grandes compositions peuvent-elle survivre sur Instagram ? C’est impossible. On se retrouve à devoir se nourrir en quinze secondes de petits détails d’images qui s’accumulent les uns à côté des autres. Mais un vrai projet de tableau est très difficile à mettre en scène sur Instagram. 

Et puis, j’ai été très impressionné par des œuvres que j’ai vues sur Instagram. Mais quand je les ai vues en vrai, j’ai été très déçu. Certains peintres peuvent avoir une peinture qui peut paraître très sensuelle sur Instagram, mais celle-ci se révèle très aride quand on la voit en vrai. Les tableaux ne sont pas des images. 

Vous exposez à la Galerie Eva Hober depuis le 17 octobre 2019. Quels sont vos projets pour la suite ? 

Dans trois mois environ, nous exposons avec Florence à la galerie Samira Cambie (Montpellier) Après cela, nous préparons un projet avec trois autres artistes, deux artistes bulgares et un artiste allemand. C’est un projet en plusieurs parties, une série de trois expositions entre Paris, Berlin et Sofia. 

Propos recueillis par Perla Msika

La Perle

Exposition “ Veux-tu ( théorème )” d’Axel Pahlavi
du 17 octobre au 28 novembre 2019
Galerie Eva Hober
156 boulevard Haussmann 75008 Paris
Site Internet : http://www.evahober.com 
Instagram :
@axelpahlavi