Joanna Journo : l’illustration, un art à part mais à part entière

Forte de sa passion pour les images et du compte Instagram Un jour une illustration à plusieurs dizaines de milliers d’abonnés, Joanna Journo a inauguré, samedi dernier, sa propre galerie dédiée à l’illustration. Dans un cadre enveloppant et chaleureux, elle cultive une ligne éditoriale accessible fondée sur des œuvres douces, intimes “comme une gélule de bonheur” à contempler ou à acheter.

Couverture : Joanna Journo cultive l’image comme une confidence entre l’illustration et son spectateur. Rien de politique ou de grinçant. Les dessinateurs qu’elle expose s’accordent plutôt sur un clin d’oeil espiègle. Crédit photo : Perla Msika.

Elle a pris ses quartiers à deux pas de la grande Tour Eiffel. Pourtant, dans sa galerie, c’est un Paris moins touristique, plus intime qu’elle a choisi de dépeindre. Rues commerçantes, balcons animés et bords de Seine, le « Paris des illustrateurs » prend forme sous la houlette de Joanna Journo. Jusqu’alors, cette passionnée d’images se cachait derrière la page Instagram Un jour une illustration. Depuis plus d’un an, elle y partage des œuvres d’illustrateurs connus ou méconnus qu’elle sélectionne comme ses coups de cœur. Une aventure en ligne au cours de laquelle la jeune femme se crée une communauté mais aussi un réseau d’éditeurs, d’illustrateurs, d’écrivains. En pleine crise sanitaire, et alors que les confinements successifs imposent de s’enfermer à double-tour, ses publications d’images légères et tendres agissent, elles, comme un bol d’air frais. Quelque 42 000 abonnés plus tard, sa galerie d’illustration n’a plus rien de virtuel. Situé dans le VIIème arrondissement de Paris, son nouvel espace du même nom vient tout juste d’ouvrir ses portes. « De l’idée de partager des images, on a créé un effet boule de neige, et une communauté que je n’aurais jamais imaginée. Et aujourd’hui, pour que les illustrations soient appréciées à leur juste valeur, j’ai voulu créer une galerie qui permettait de vivre l’image au-delà de son téléphone portable », raconte-t-elle. 

“ENVELOPPÉ DANS L’IMAGE”

« J’ai toujours aimé les images. Depuis que je suis toute petite, je les collectionne. J’allais beaucoup au musée, bien sûr, mais ce que je préférais c’était acheter des images à la fin de l’exposition. Rien que pour le bonheur qu’elles procurent quand on les regarde. » Affairée derrière son bureau de bois, Joanna Journo va et vient dans une galerie aménagée avec goût, où se mêlent images, papiers, crayons et tirages sous papier de soie. On croirait presque voir s’animer un personnage de recueil illustré. La jeune femme nous accueille, l’oeil et le sourire malicieux, soucieuse de créer un moment de partage, de complicité. « Il y a quelque chose d’intimiste dans l’illustration. Elle nous ramène à un souvenir ou nous projette quelque part. Je pense que les gens se sentent beaucoup plus concernés et enveloppés par l’image que par la grande peinture. » Avec la galerie Un Jour une illustration, Joanna Journo cultive l’image comme une confidence entre l’illustration et son spectateur. Rien de politique ou de grinçant. Les dessinateurs qu’elle expose s’accordent plutôt sur un clin d’œil espiègle, une image douce « contre la morosité du quotidien. »

La danse – Alexis Bruchon
Soir – Inbar Algazi

Et pour introduire cette identité chaleureuse, l’ouverture de sa galerie inaugure une exposition collective entre douceur de vivre et solitude mélancolique. Ainsi, l’œuvre posthume de Raymond Peynet (1908-1999) connu pour ses illustrations d’amoureux flâne aux côtés des jeux de mots coquins de Petites Luxures. On retrouve aussi Kerascoët, Louise Laborie, Nathaniel H’limi ou même Mathieu Sapin, dont la lecture aiguisée et amusée de la vie politique lui a valu plusieurs albums à succès. Et tandis que les silhouettes élancées d’Alexis Bruchon virevoltent dans le Paris lumineux des années 1930, celles de Cécile Becq s’entrelacent dans une scène d’amour tendre et torride. Mais c’est Inbar Algazi qui, le 6 octobre prochain, ouvre la programmation des expositions personnelles. Ses vues parisiennes offrent, paraît-il, « des lieux et des points de vue que je n’avais jamais vus » confie Joanna, parisienne dans l’âme. 

Pas un nuage ne viendrait ternir ce plaisant tableau… si ce n’est la naïveté « tout beau tout rose » souvent reprochée au monde de l’illustration. Celle qu’on met dans le même sac que les dessins pour enfants. Et pour se défendre, Joanna Journo convoque Jean-Jacques Sempé, décédé en août dernier. À l’origine, notamment, de l’œuvre de jeunesse, Le Petit Nicolas, il est l’illustrateur favori de la galeriste : « Sempé n’était pas un naïf mais un véritable sociologue de son temps. Il a croqué sans critiquer son contemporain, avec tendresse et humanisme. Son œuvre est très profonde : en quatre traits, il parvenait à saisir une situation ou un sentiment, sans les juger. »

“IL Y A QUELQUE CHOSE D’INTIMISTE DANS L’IMAGE. JE PENSE QUE LES GENS SE SENTENT PLUS ENVELOPPÉS PAR ELLE QUE PAR LA GRANDE PEINTURE.“

Joanna Journo.

UN ART PLUS ACCESSIBLE ?

Dans le prolongement de cette proximité au visiteur, Un jour une illustration s’inscrit dans une ligne du marché plus accessible pour les acheteurs. « J’ai commencé à pousser la porte des galeries, il y a seulement trois ou quatre ans car j’étais très intimidée. Par la suite, j’y ai pourtant fait des découvertes extraordinaires. Mais il y a encore cette idée que le marché de l’art et les galeries ne sont pas adaptés à tous les portes-feuille », reconnaît Joanna Journo. Aussi, en ce qui concerne Un jour une illustration, elle propose donc trois lignes de vente. La première, celle des dessins originaux dont la fourchette va de 500 à 2000 euros ; la seconde s’inscrit dans le lancement de sa propre maison d’édition éponyme : des tirages en série limitée, imprimés à l’encre pigmentaire allant de 50 à 300 euros. La troisième enfin, celle d’une pochette surprise d’images à recevoir tous les mois via l’abonnement « Un mois des illustrations » : de 80 à 200 euros selon la formule choisie : « Avec la maison d’édition comme avec ‟Un mois des illustrations”, je voulais permettre aux gens, notamment ceux qui n’habitent pas à Paris, d’accéder aux artistes que j’expose dans ma galerie. » Tendre la main à tous les publics et faire de sa galerie « un lieu de rencontre » entre passionnés et créateurs. 

Galeriste malgré elle, la jeune femme s’ouvre à un nouveau monde dont elle espère à la fois épouser les codes mais surtout y ajouter sa propre sensibilité. Comme pour Instagram, c’est la part d’improvisation et de risque qui participe notamment au charme de ce nouveau projet. Pourtant, l’instinct de Joanna n’a rien d’hasardeux. En ligne comme en ville, l’engouement grandissant pour l’illustration se dessine progressivement. Du côté de la programmation des musées : fin 2020, le musée Picasso Paris présentait l’exposition « Picasso et la bande dessinée » où les planches de dessinateurs contemporains croisent l’œuvre du peintre espagnol. En salles de vente, ce sont des enchères d’un nouveau genre qui réunissent de plus en plus de collectionneurs : en juin 2021, la maison Artcurial proposait la première vente aux enchères dédiée à l’œuvre de Jean-Jacques Sempé. Un succès à 1,3 millions d’euros dont près de 67 000 euros pour son œuvre 4th of July qui avait fait la couverture de la revue américaine The New Yorker, dans les années 1980. De beaux résultats qui confortent les espoirs de Joanna Journo dans le potentiel créatif et lucratif de cet art qu’elle dit « à part mais à part entière »

L’équilibriste – Kerascoët. Crédit photo : Capture d’écran.

Propos recueillis par Perla Msika

La Perle

Galerie Un jour une illustration
3 rue Augereau 75007 Paris
www.unjouruneillustration.com
Instagram : @unjouruneillustration