Natacha Birds & Adeline Cubères : féministes par joie

Natacha Birds est artiste et influenceuse. Accompagnée par son agent, Adeline Cubères, elle fait ses premiers pas dans le marché de l’art. À l’occasion de la publication de son roman graphique Les fleurs ne parlent pas sur le parcours initiatique d’une femme-fleur, les deux femmes se sont confiées sur l’art et les convictions féministes qui les rassemblent.

Du blog jusqu’à l’huile sur toile, Natacha Birds ( à droite ) a longtemps parcouru avant de se trouver. Aujourd’hui, elle publie son premier roman graphique. Adeline Cubères (à gauche) est son agent. Crédit photo : Artwork in Promess.

L’écho de son rire perce les murs blancs de la galerie. Chaleureuse, elle reçoit chaque visiteur comme un vieil ami. Et, ravie de répondre aux questions, elle écoute, discute, argumente. Pour Adeline Cubères, parler est une joie inépuisable. Un atout de taille quand on a des choses à dire : agent d’artiste, la jeune femme conçoit sa passion et son engagement féministe comme deux occasions de savourer la vie.

A ses côtés, une voix douce et « fluette » – c’est elle qui le dit – prend le temps de réfléchir avant de raconter. Du blog aux réseaux sociaux jusqu’à l’huile sur toile, Natacha Birds a longtemps parcouru avant de se trouver. Un tour par Paris et Barcelone pour finalement s’installer en Dordogne, il y a trois ans. Avec son mari, l’artiste et influenceuse est aujourd’hui à la tête d’un tiers-lieu : un café, un salon de tatouage, une boutique et bien-sûr, son atelier, où elle donne des cours de céramiques.

Natacha Birds tient à ce qu’on la comprenne. Tatoo, strass et casquette, l’artiste assume autant qu’elle refuse l’image « petite nana » qu’elle renvoie. D’autant que son langage pictural ne manque pas de la catégoriser : sur fond de rose et de tons pastel, elle peint des femmes transformées en fleurs. Un art féminin, vous dites ? Peut-être. Ou pas. Son premier roman graphique Les fleurs ne parlent pas – aux éditions Les Insolentes – lui donne l’occasion de s’expliquer. Et Adeline Cubères, son agent, de la soutenir. Tandis que cette publication scelle le début de leur collaboration, les deux femmes comptent bien défendre une lutte féministe faite de joie et de célébrations. 

Comment s’est passée votre rencontre ? 

Adeline Cubères : L’une des amies m’a envoyé une story de Natacha qui présentait alors sa boutique Maison Birds. En pensant répondre à mon amie, je réponds à la story : « Relou ! Ça se passe à Périgueux ! »… En fait, c’est à Natacha que j’ai envoyé ce message ! La honte ! C’est ainsi que nous avons commencé à échanger. Je ne connaissais pas son travail même si j’en avais entendu parler. Et puis, nous nous sommes appelées : elle m’a alors dit qu’elle avait encore du mal à montrer ses œuvres…

Natacha Birds :… Je n’avais même pas de catalogue ! Tout au plus trois photos sur mon téléphone. Et puis, je ne connaissais rien du marché de l’art. En ce sens, Adeline m’a éduquée à ce milieu : à quoi sert le cartel, pourquoi emballer ses œuvres quand on les vend, pourquoi les signer, ce que je devais montrer sur les réseaux, quels prix valaient mes œuvres…

Natacha : tu explores un motif connu dans le monde de l’art, celui des fleurs. Souhaitais-tu t’inscrire dans une forme de tradition en convoquant les codes connus ou, au contraire, être en rupture avec eux ? 

N.B : Les fleurs sont venues assez rapidement dans mon imaginaire. J’y trouvais beaucoup de sens et de symbolique. Et puis, ce clin d’œil à l’Histoire de l’art : autrefois, les quelques femmes peintres n’avaient le droit de peindre que des fleurs. Elles étaient cantonnées à cela et n’avaient pas le droit de peindre de corps. Aujourd’hui, je peux non seulement peindre des corps nus, et en plus j’y ajoute des fleurs ! J’ai l’impression de jouer avec l’art dit « masculin » ou « féminin » d’autrefois en me l’appropriant sous un prisme féministe. 

Quand on pense aux fleurs, on pense aussi à ce côté un peu nunuche, un peu simplet des « jolies petites fleurs ». Comment vous positionnez-vous vis-à-vis de cet imaginaire ? 

A.C. : Pour ma part, lorsque j’ai découvert l’univers de Natacha, j’ai surtout été transportée dans l’univers des surréalistes, un peu à la Lewis Carroll. C’est ce qui m’a plu. Ce n’était pas ce côté naïf ou « féminin », mais plutôt irréel, d’inspiration asiatique, presque de science-fiction avec ces visages en forme de tulipes ou de pensées. Et puis, il y avait le propos engagé que j’ai retrouvé avec la métaphore de la femme qui, parfois, est jetée ou arrachée. Natacha raconte le corps des femmes : comment il traverse des épreuves naturelles comme la grossesse ou la ménopause mais aussi des agressions et des souffrances.

N.B. : J’avais peur d’enraciner cette perception de la peinture dite « féminine » et j’en ai toujours un peu peur. Je suis consciente que mon univers peut être clivant : le pastel et le rose sont traditionnellement rangés dans un univers féminin. Et en même temps , c’est ce que je suis : j’ai ce côté naïf. Et puis surtout, j’avais ce soucis de prôner un combat doux avec mes toiles : j’ai l’intime persuasion que l’on peut parler de choses très noires et très dures sans forcément peindre en noir et rouge. C’est ce que je raconte dans le livre : notre combat, notre révolution peut être rose et défendu avec douceur. En tout cas, pour l’heure, c’est ce que je souhaite montrer. Et pour être honnête, c’est aussi ce que je maitrise le mieux. Je voulais être à l’aise pour mes premiers pas dans le marché de l’art.

À quel moment, avez-vous, l’une et l’autre, jugé nécessaire de revendiquer un engagement féministe ? 

A.C. : Sans doute avec la création du média Les Passionariarts. J’avais peur de me faire clasher ou catégoriser : « oh encore un média sur cette cause ! » D’être trop féministe pour certaines, pas assez pour d’autres. Mais en même temps, j’avais, moi aussi, ce soucis de défendre un féminisme positif, une révolution joyeuse : « If I can’t dance, I don’t want to be part of your revolution » ( ndlr, « si je ne peux pas y danser, je refuse de participer à votre révolution » ) disait l’activiste féministe Emma Goldman. Je rejoins donc Natacha : si l’on ne peut mettre un peu de joie dans les luttes, ce n’est même pas la peine de s’engager. C’est presque une approche spirituelle, à mon sens.

N.B. : J’ai toujours été très bien entourée par les hommes de ma vie. Dans ma famille, les femmes sont sacrées. Mais j’ai découvert assez tardivement que ce n’était pas le cas de toutes les femmes. Quand j’ai commencé à avoir plus d’influence sur les réseaux sociaux, des associations sont venues nous aborder. Grâce à elle, nous avons alors été envoyés au Népal, avec mon mari, pour rencontrer des femmes et parler avec elles de la tradition du Chaupadi qui contraint les femmes à s’isoler dans des huttes lorsqu’elles ont leur règles, quittes à mourir de froid ou dévorées par des bêtes. Nous avons rencontré des femmes qui avaient perdu des membres de leur famille mais aussi des petites filles qui tenaient ce discours très dur, déjà à leur âge. C’est sans doute ce voyage qui a marqué un tournant dans mon engagement.

“AUTREFOIS, LES FEMMES N’AVAIENT LE DROIT DE PEINDRE QUE DES FLEURS. AUJOURD’HUI, JE PEUX NON SEULEMENT PEINDRE DES FLEURS… ET J’Y AJOUTE DES CORPS NUS !“

Natacha Birds

 Quelle lien as-tu établi entre le fait de peindre des fleurs, et celui de peindre le corps des femmes ? 

N.B. : Comme pour la fleur, On attend d’une femme qu’elle soit jolie, qu’elle sente bon, qu’elle se tienne bien. À la seule différence qu’on ne lui impose aucune injonction. J’ai aussi vu le lien avec la mère nature, la question de la texture de la peau avec celle des pétales… Et puis je me retrouve totalement dans l’inspiration surréaliste dont parle Adeline : je suis très attachée à la figuration, aux histoires, aux sens cachés, aux symboles. Je me suis imaginée ce monde de femmes et de fleurs. Nous sommes, en ce moment, dans les pages douces. Mais j’ai hâte d’arriver aux pages plus féroces !

Dans le prolongement de cet imaginaire naïf, on vous retrouve justement avec Les fleurs ne parlent pas : un roman graphique qui parle d’une femme se transformant en fleur. Un titre interessant qui rappelle une injonction longtemps imposée aux femmes : celle de se taire. Je vise juste ? 

N.B. : Exactement. On parle souvent de la femme comme le groupe qui doit enfanter, se tenir et se taire. Mais c’est compliqué d’hurler sa révolte quand on leur demande de se taire…

A.C : … où quand elles sont, parfois, dans une situation de violence où elles ne peuvent tout simplement pas parler. 

Adeline, avec les Passionariarts, podcast sur les femmes qui font le monde de l’art contemporain, tu as fait de la parole un levier important de ton engagement féministe…

A.C. : Disons que j’ai surtout donné l’écoute. Ces femmes ne m’ont pas attendue pour prendre la parole. Elles parlent depuis longtemps. Simplement, aujourd’hui, on les écoute davantage. Avec Les Passionariarts, je n’ai fait que partager. Et puis, à la différence de Natacha, je n’ai grandi qu’avec des femmes : ma mère, ma grand-mère étaient des modèles de représentation très puissants. L’image de l’homme, elle, était un peu moins flatteuse. Et, quand je me suis retrouvée à l’âge adulte à rencontrer des femmes qui n’avaient pas confiance en elles, qui se rabaissaient, et des hommes qui prenaient toute la place, ça m’a paru drôlement injuste et frustrant ! Les Passionariarts, c’était aussi pour donner l’inspiration aux autres de prendre la parole.

Adeline, tu décris le « pitch » du roman graphique de Natacha ainsi : « Commence alors pour elle un voyage initiatique dans lequel elle va découvrir l’amour, la compassion, mais aussi la douleur, le manque, et la violence d’un monde qui traite les fleurs bien en-dessous de leur juste valeur. » Ici, encore, on parle indirectement de la condition des femmes. J’aimerais revenir avec vous sur cette notion de « valeur » qui est assez subjective, presque morale. Qu’entendez-vous par là ?

A.C. : Eh bien, tout sauf les couper, les arracher, les éplucher, les comparer… Personne ne doit jamais subir toutes ces choses affreuses, ce sentiment d’être arrachée que décrit si bien Natacha.

N.B. : Personnellement dans la féminité – même si ce mot est sujet à plusieurs interprétations – je vois presque quelque chose de magique. Je suis subjuguée par la beauté des femmes. J’y vois des créatures spirituelles, magiques. Les corps que je peins, ce sont des femmes qui m’envoient des photos d’elles, qui me font confiance et me racontent leur rapport à leur corps. Chaque femme a son propre rapport au corps. Presque comme un sanctuaire, à la fois éprouvant mais confortable.

A.C. : C’est très intéressant ce que tu dis sur le rapport au corps parce qu’on peut être super féministe, engagée, et avoir sa propre valeur à soi complètement dévalorisée. On peut passer son temps à diffuser des messages politiques mais ne pas être foutu de s’apprécier sur une photo. D’autant qu’on a beaucoup socialisé les femmes à se regarder, à s’observer. Dans ces situations, je pense à ma grand-mère qui me disait, lorsque j’étais complexée par telle ou telle partie de mon corps : « Arrête de te regarder tu verras moins ! »

Toujours sur la valeur : on sait justement que le mouvement féministe connait aujourd’hui un regain d’intérêt et de visibilité, notamment dans le champ de l’art. Mais justement : vous qui êtes artiste ou agent, n’avez-vous pas l’impression qu’en faisant des femmes, une allégorie ou une « créature magique », on ne participe pas, à notre tour, à l’iconifier ?

N.B. : Je comprends ce que tu dis et je comprends qu’on puisse trouver cela dangereux. Je m’inquièterais si cette idée blessait les femmes. Aujourd’hui, je suis plus attachée à l’idée que ça fait du bien à mes modèles d’être peintes de la sorte. Elles se trouvent belles grâce à mes peintures. Et puis, cet état de femme-fleur que je décris dans le livre est un état qu’on vit tous à un moment donné : Ce moment de craquage, de rupture qui permet une transformation, une rébellion. D’où la symbolique de la fleur qui est très riche : quelle fleur est-ce que je vais être au fil de mon existence et des mes états-d’esprit ? Un tournesol si ma colère est solaire ? Une rose ? Une violette ? Mais cela ne veut absolument pas dire que nous sommes toutes merveilleuses et gracieuses…

A.C. : … Non, surtout pas ! C’est le piège et ce que peuvent croire les personnes qui ne connaissent pas le travail de Natacha et qui le découvrent.

N.B. : … C’est d’ailleurs à cela que sert le roman graphique : il me permet aussi d’écrire, de parler, de préciser ma pensée et mon propos.

Les fleurs sont venues assez rapidement dans mon imaginaire. J’y trouvais beaucoup de sens et de symbolique confie Natacha Birds.
J’avais besoin de faire ce livre et d’être à l’aise avec les toiles plus sombres qui arrivent.

Crédit photos : Artwork in promess.

Natacha, tu t’exprimes généralement via de grandes huiles sur toiles et des céramiques. As-tu l’impression d’avoir, en quelque sorte, réduit ton champ d’expression avec le roman graphique ? Quelle est la plus-value de ce nouveau format ?

N.B. : Disons que c’est complémentaire. J’avais besoin de terminer ce roman graphique avant de poursuivre mon travail sur les toiles. C’était aussi une manière de démarrer dans le marché de l’art pour expliciter certaines questions que posent mon travail. Je n’ai pas envie qu’on me range dans la case de « la nana d’Instagram qui peint des fleurs » ce qui est vrai mais pas uniquement : oui, je suis une nana avec une petite voix fluette qui s’habille en rose, qui fait de la céramique et de la petite vaisselle. Ça ne me pose aucun problème. Mais j’ai aussi le droit d’être révoltée et engagée. J’avais besoin de faire ce livre et d’être à l’aise avec les toiles plus sombres qui arrivent.

A.C. : Et c’est précisément pour cela que je l’accompagne ! Je suis très soucieuse de défendre des artistes qui ne veulent pas être cantonnés à l’image qu’on leur donne ou aux jugements.

Vous racontiez tout à l’heure votre rencontre sur les réseaux sociaux : Adeline, quelle rôle tiennent-ils dans ton travail d’agent d’artiste ? 

A.C. : C’est une ressource très riche puisque ce sont sur les réseaux sociaux qu’on trouve des artistes, des partenaires… On gagne en visibilité en montrant, le plus fidèlement possible, son identité artistique et son univers de travail.

N.B. : En ce qui me concerne, je suis très à l’aise avec les réseaux sociaux. Je trouve que c’est une chance à notre époque: c’est gratuit et accessible partout. On peut se créer notre propre galerie. On n’a pas besoin d’attendre que la chance passe : on se la créé en montrant son travail par soi-même via les réseaux.

En ce qui concerne la collaboration avec les marques : comment répondre aux enjeux de rentabilité sans perdre la spontanéité artistique ? 

A.C. : S’assurer qu’elles laissent un libre champ artistique laissé à l’artiste dans le cadre de la collaboration. Il y a une demande, certes, mais il faut une carte blanche de création. En l’occurrence, Natacha n’est pas artisane mais artiste.

N.B. : Adeline travaille avec moi sur la partie artistique. Mais j’ai un autre agent en ce qui concerne les marques. Ce que je peux dire, c’est que je ne donne jamais mes taux de fréquentation ou d’engagement. Je ne suis pas un chiffre. Ce que je propose, c’est un univers artistique. Et je tiens à ce qu’on m’apprécie pour cela.

Exposition à l’occasion du roman graphique Les fleurs ne parlent pas. Crédit photo : Artwork in promess.

Propos recueillis par Perla Msika

La Perle

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