Lise Stoufflet, inspirée d’une histoire vraie

Tout droit sorties d’un rêve, les toiles de Lise Stoufflet offrent des visions mystérieuses et magiques. Mais le sous-texte de ses œuvres se révèle plus proche de la réalité qu’il n’y paraît. Elle expose jusqu’au 18 décembre 2021 à la Galerie Pact.

Avec Fabulations, Lise Stoufflet convoque des fables imagées et donne forme aux non-dits, aux pulsions, aux rêves qui habitent notre actualité. Crédit photo : Galerie Pact.

Prise sur le fait. On pousse la porte de la galerie et là voilà.En flagrant délit de « vernissage », Lise Stoufflet retouche minutieusement le bord de ses toiles. Et précisément : le terme qui évoque aujourd’hui l’inauguration d’une exposition tire son origine des derniers coups de pinceau que l’artiste exposant appliquait sur ses œuvres, une fois accrochées en galerie. Perchée sur son escabeau, pinceau à la main, elle vous accueille, tout sourire, dans le feu de l’action. L’entretien se tiendra ainsi.

Lise Stoufflet dépeint le revers inconscient de notre société. Avec « Fabulations », premier temps d’une exposition en deux parties, elle convoque des fables imagées et donne forme aux non-dits, aux pulsions, aux rêves qui habitent notre actualité. Sous couvert de magie et de mystérieux, son œuvre colle plus au réel qu’elle n’y paraît. La carte du feu ? les incendies de forêt. Les yeux grands ouverts ? La quantité d’images ingurgitées. La femme et la pieuvre ? Notre rapport à la sexualité. En sommes, Lise Stoufflet ne dit mot, elle ne consent pas mais son travail la trahit : elle est attentive aux choses du monde. Et si comme dans les films, ses fables étaient, elles aussi, inspirées d’histoires vraies ?

Comment êtes-vous devenu artiste ? 

Petite, je n’imaginais pas qu’artiste pouvait être un métier même si j’ai toujours eu un tempérament créatif. Je dessinais, je peignais mais j’étais aussi attirée par les sciences jusqu’à ce qu’en Terminale, je croise le chemin de quelqu’un qui pratiquait la photographie. De là, j’ai pris conscience qu’il existait tout un panel de métiers que je n’envisageais pas. L’illustration, le design, les arts plastiques… J’ai d’abord pensé travailler dans le monde de l’art en me cantonnant aux métiers plus traditionnels mais j’ai finalement été acceptée aux Beaux Arts. J’ai donc continué à m’exercer et à peindre jusqu’à ce que la vocation vienne naturellement.

L’esthétique de ton travail est très reconnaissable : on plonge dans le rêve, le mystérieux. Comment as-tu progressivement constitué cet univers créatif ? 

C’est à force de peindre que les choses se mettent en place et c’est surtout très difficile de voir à quel moment le travail prend une direction plutôt qu’une autre. J’avais toujours l’impression de peindre de la même manière, puis avec les années, je me suis rendu compte que ma démarche évoluait. 

D’autant qu’une fois qu’une touche s’est accrochée à vous, c’est assez difficile de s’en défaire. Je suis toujours en train d’essayer de me surprendre moi-même et de déconstruire ce qu’inconsciemment, je mets en place. C’est comme un jeu avec moi-même. Par exemple, il y a des couleurs que j’aime moins que d’autres. En ce moment, j’essaye de travailler le vert ou le orange, des teintes vives que je trouve compliquées. Mais en les associant à mes couleurs pastels, en les adoucissant avec du blanc par exemple, je parviens à créer une certaine harmonie. C’est une affaire de justesse et de ressenti.

Ton travail renferme comme une sorte d’inconscient, avec des rêves loufoques et des pulsions. Cherches-tu à nous plonger dans tes propres introspections ou convoques-tu simplement des motifs qui t’amusent ? 

Un peu des deux, je suppose. Je creuse très peu dans mon expérience personnelle mais je dois reconnaître qu’à posteriori, certains aspects de ma vie finissent souvent par ressortir. Hier par exemple, je discutais avec une galeriste d’une de mes toiles où un personnage vit avec une ombre, une sorte de double, de fantôme qui le suit. Je lui ai alors expliqué que cette œuvre datait de la période où j’étais enceinte. À cette période précisément, je peignais beaucoup de toiles avec des personnages doubles, féminin-masculin, porteurs d’ombres ou des personnes disparues. C’est sans doute à cette période-là que j’ai pris conscience que j’étais habitée par une autre personne (rire). Disons donc que je me laisse porter par ma peinture mais que j’essaye de ne pas dévoiler quelque chose de trop personnel.

Cet imaginaire n’est pas sans susciter une forme de malaise et de décalage. Est-ce volontaire ? 

Je pense qu’il s’impose de lui-même. Il y a beaucoup de choses dans la peinture que je laisse échapper. Mais je suis plus dans le laisser-aller que dans l’analyse. Si je me posais trop de questions, je pense que je ne serais pas là (rire). Ce que je sais en revanche, c’est que je commence souvent par des intentions de forme avant de penser au fond. Ce sont elles que j’étudie d’abord et que je reprends dans plusieurs de mes œuvres. 

Selon toi, c’est une visée de l’art de mettre mal à l’aise ? 

L’enjeu est de créer l’interrogation chez celui qui regarde. Dans mes œuvres, j’aime qu’on ne sache pas forcément ce qu’il se passe pour que les gens puissent y voir leurs propres questionnements. Cette toile avec tous ces yeuxpar exemple : c’est une scène que j’ai romancée et que j’ai aperçu pendant une manifestation. Les gens avaient tous dessiné des yeux à la place des pancartes. L’image m’a évoqué tellement de choses sur notre société : sur la surveillance, sur la violence et la quantité des images que l’on voit. En ce qui me concerne, l’art sert davantage à soulever des questions qu’à donner des réponses.

Tu racontes tes images…

Mes peintures pourraient être des extraits de courtes histoires dont on a ni le début, ni la fin. Presque comme des cases de bande dessinée. D’ailleurs, j’ai déjà en tête cette idée de réaliser une série de peintures qui se suivraient pour créer un récit. Même si je n’ai pas encore eu l’occasion de le faire. 

On lie souvent ton travail au courant surréaliste. Un héritage que tu acceptes ou que tu récuses ?

C’est un mouvement que j’ai découvert plus jeune au travers d’expositions ou de livres qu’il y avait chez moi. Ceci dit, j’ai découvert assez tard que le surréalisme m’inspirait. Je m’intéresse plus à Magritte, aujourd’hui qu’avant. Je le trouve visionnaire et très contemporain dans sa manière de construire les images. 

“Mes peintures pourraient être des extraits de courtes histoires dont on a ni le début, ni la fin.”

Des yeux, 2021. Crédit photo : Perla Msika.

On te retrouve aujourd’hui avec « Fabulations », une exposition en deux temps. De quoi parle-t-elle ?

L’idée de « Fabulations »était de créer des fables tirées d’éléments vécus ou fantasmés. Et puis, à l’origine de la fable, il y a quelque chose de vrai que j’aime bien. Le terme est pluriel car chacune des séries reprend un thème. Prenons la série « Vision » : on est entre le magicien et la cartomancienne, le jeu de tarot et le tour de magie. Ce n’est pas une série très joyeuse car c’est la carte du feu qui ressort. Elle n’est pas vraiment de bonne augure même si le orange qui ressort est très chaleureux. Cette carte, elle m’a notamment été inspirée par le phénomène des incendies, qui revient tous les étés depuis plusieurs années. Quant au château de cartes, il suggère peut-être l’envie de construire une société qui, en dépit des aléas, essaie de trouver une stabilité et de tenir tant bien que mal.

On te croit hermétique à l’actualité. Il semble pourtant que ce soit une inspiration sous-jacente pour toi… 

Je pars de quelque chose de réel pour le plonger dans ma peinture, sans vraiment faire de lien direct. Il y a une autre série qui n’est pas présente ici mais qui s’intitule « Les Étoiles Demain » et dans laquelle les étoiles d’un paysage sont parfaitement alignées. J’ai travaillé d’après le projet Starlink d’Elon Musk : il souhaite envoyer toute une trame de satellites pour sublimer le ciel. C’est un peu cette vision d’avenir du ciel parfaitement symétrique, assez beau mais en même temps très effrayant. 

Quels sont tes projets pour la suite ? 

J’expose trois autres séries dans le cadre de cette même exposition au mois de janvier. Il y a la série des « Étoiles de Demain », la série des « Ombres »et une série de « Fleurs ». J’ai aussi un projet de calendrier de l’Avent sur la façade du Centre d’art de Meymac. J’ai produit une image pour chaque fenêtre de la façade. Chaque jour du mois de décembre, le centre allume une fenêtre dans laquelle apparaît un œil. En mars, je proposerai aussi une exposition au Hangar 107 à Rouen.

Rencontre, 2021.
Le joueur de nuit, 2021.
Vue d’exposition, Série Vision, 2021.

Crédit photos : Perla Msika.

Propos recueillis par Perla Msika

La Perle

Exposition “Fabulations” de Lise Stoufflet
Du 18 Novembre au 18 Décembre 2021
Galerie Pact
70 Rue des Gravilliers 75003 Paris
galeriepact.com
www.lise-stoufflet.com