Lucie Niney : rien ne se perd, tout se transforme

Fondatrice de l’agence NeM - Niney et Marca Architectes, Lucie Niney est l’une des architectes à l’origine de la Bourse de la Commerce- Pinault Collection. Trêve de châteaux en Espagne, elle leur préfère les musées parisiens.

Co-fondatrice de l’agence d’architecture NeM, Lucie Niney est à l’origine du dernier grand musée d’art contemporain parisien : la Bourse de Commerce. Crédit photo : Léna Naouri.

Vous n’avez peut-être jamais entendu parlé d’elle. Ces derniers jours pourtant, elle est sur toute les lèvres du milieu artistique. Co-fondatrice de l’agence d’architecture NeM, Lucie Niney est à l’origine du dernier grand musée d’art contemporain parisien : la Bourse de Commerce. Si avec Thibault Marca, son associé, elle n’est pas à son premier chantier culturel, la Bourse de Commerce constitue sans aucun doute son plus vaste projet. Et pour cause, à l’origine de cette nouvelle institution, François Pinault. Collectionneur émérite d’art contemporain, l’homme d’affaires inaugure son premier musée privée où quelques 10 000 pièces viendront habiter les lieux pour le plus grand plaisir du public.

Et Pinault sait recevoir. Comptant sur un édifice susceptible d’attirer les visiteurs vers la création contemporaine, le milliardaire s’est essayé à une synergie de talents. C’est là que l’agence NeM et le japonais Tadao Ando entrent en jeu. Le minimalisme pour point commun, cette équipe d’architectes s’inscrit dans une « tradition de compagnonnage, une volonté d’aider les jeunes talents » dont François Pinault est coutumier : « il tenait à confronter de multiples points de vue, à réunir des compétences pour voir ce qui allait sortir, si ça allait marcher… et ça a marché » confie Lucie, le regard tourné vers la rotonde de l’édifice.

« UN ÉDIFICE CONÇU POUR LE VISITEUR »

Mais alors : comment se sent-on lorsqu’un tel projet – et son inauguration maintes fois reportée – ouvre enfin ses portes ? « Nous sommes ravies de voir les gens déambuler dans le musée. C’est un lieu conçu pour le parcours visiteur. Et même si cette ouverture s’est faite de manière moins festive – plus contrôlée – découvrir le bâtiment occupé lui confère une nouvelle énergie. » Aux petits soins des visiteurs, la Bourse de Commerce déploie en effet tous les moyens pour apporter confort, espace et repos aux premiers concernés… tout en permettant aux artistes d’exploiter les lieux. « Un parti pris qu’encourage Monsieur Pinault » insiste Lucie. Ainsi, au deuxième étage, là où la passerelle circulaire du musée permet de suspendre sa visite pour y admirer la coupole de l’édifice, on aperçoit aussi… les pigeons naturalisés de Maurizio Cattelan. Un trompe l’œil troublant présenté pour « Ouverture », la toute première exposition du musée. 

Une démultiplication des espaces de visite qui ne s’arrête donc pas à l’entre quatre murs traditionnel : de la rotonde du rez-de-chaussée aux salles plus intimes du 1er étage, de l’auditorium à la black box plus expérimentale, la diversité des espaces s’ajoute à la forme circulaire de l’édifice qui « induit une légère perte de repères accentuée par l’escalier en spirale. Comme un flottement, une impression de tourner en rond qu’on finit par apprivoiser grâce aux peintures de la coupole et à la vue sur la ville. D’autant qu’en déplaçant la billetterie à l’extérieur, nous avons fait en sorte de plonger le visiteur dans l’architecture de l’édifice dès son vestibule. » Oeuvre à part entière, la Bourse de Commerce constitue à la fois un lieu de visite mais également un moyen de faire venir le grand public à l’art contemporain. Un bâtiment outil pour un enjeu de taille. 

“L’ÉDIFICE INDUIT UNE LÉGÈRE PERTE DE REPÈRES. COMME UN FLOTTEMENT.”

Illustration. Crédit photo : Perla Msika.

« FAIRE DIALOGUER L’HISTORIQUE AVEC LE CONTEMPORAIN »

Mais l’agence NeM a plus d’un tour dans son sac. Aidée de l’équipe de la Collection Pinault et de celle de Pierre-Antoine Gatier en charge de la maîtrise d’ouvrage, Lucie insiste sur le dialogue entre patrimoine et intervention contemporaine : « avec les équipes de Pierre-Antoine Gatier, on a choisi de restaurer le bâtiment selon sa conception de 1889 pour qu’il dialogue frontalement avec le cylindre en béton On ne voulait pas que le contemporain se dissémine à l’intérieur du monument historique ». Aussi, voilà qu’il fait corps avec le patrimoine. Comme si le béton avait toujours côtoyé la pierre.

Quant à la question « N’est-il pas difficile de confronter des époques si différentes ? » Lucie répond du tac au tac : « oui, mais c’est là que réside l’intérêt et la réussite du projet. Et puis le plan circulaire incarne aussi cette symbolique : imposer un nouvel équilibre, un nouveau rayonnement pour ce monument. » De ce fait, le cylindre en béton participe pleinement à la mutation du projet et incarne le renouveau du lieu : « il prend sur lui d’offrir une nouvelle dimension au bâtiment puisqu’il lui ajoute la fonction de musée »

Crédit photo : Perla Msika.

UNE ODE AU MINIMALISME

Tout fait d’un matériau pour le moins brut, le cylindre en béton répond pleinement à l’identité de ses architectes. Celle de Tadao Ando – déjà en charge du Palazzo Grassi, aujourd’hui musée vénitien de la Collection Pinault – mais aussi celle de l’agence NeM. « Nous partageons avec Tadao Ando une appétence pour le minimalisme. Nous avons donc puisé dans son travail pour cibler ce qu’on appréciait particulièrement : son rapport à la nature, sa recherche sur les matières, son regard poétique sur le monde. Ando pratique une architecture du ressenti et de l’émotion qui s’exprime, contre toute attente, au travers d’un minimalisme assez radical ». 

Minimalisme qui atteint probablement le sommet de son art grâce à un système de poupées russes : intégrer les œuvres au bâtiment et le bâtiment à la ville. « Il s’agissait d’enrichir l’expérience de visite en s’appuyant sur l’architecture et en inscrivant le musée dans la ville. Nous avons élaboré de grandes vues diagonales en ouvrant les fenêtres sur Paris et sur sa lumière » Grâce à un éclairage modulable, la lumière extérieure se veut donc changeante. Elle participe à son tour à l’accrochage des œuvres, lui-même fondé sur une découverte progressive de la collection : « à l’entrée de chaque salle d’expo’, on n’en voit pas le bout. Mais à dessein : il s’agit de découvrir en avançant, l’intégralité du bâtiment et des œuvres ».

Mais L’aventure NeM / François Pinault ne s’arrête pas aux portes du musée. Elle se poursuit actuellement avec la construction du Centre de Formation du Stade Rennais dont l’homme d’affaires est propriétaire. Dans la foulée des chantiers culturels, Lucie Niney vient également d’inaugurer la Fondation Pernod-Ricard à deux pas de la Gare Saint Lazare. Ajoutez à cela deux projets de logement – de Saint Malo à Noisy-Le-Grand – un projet de distillerie pour la Maison Lancôme et le nouveau salon de thé de la Maison Victor Hugo. Autant de chantiers pour un dénominateur commun : débusquer l’esprit et la poésie de chaque lieu.

Perla Msika

La Perle

La Bourse de Commerce – Pinault Collection
2 Rue de Viarmes, 75001 Paris
La Bourse de Commerce a été restaurée et transformée par l’architecte japonais Tadao Ando, l’agence NeM / Niney et Marca Architectes, et l’agence Pierre-Antoine Gatier. 
 www.pinaultcollection.com/fr/boursedecommerce
Instagram : @boursedecommerce
www.nemarchitectes.com
Instagram : @nem_architectes