Autres gammes d’Anaïde Rozam

Jusqu’alors, elle faisait irruption sur notre fil d’actualité Instagram. Un panel de personnages qu’elle se plaisait à incarner pour amuser sa galerie de plus 400 000 abonnés. Aujourd’hui, Anaïde Rozam franchit les portes du cinéma. Son rêve de toujours. Premiers tournages, premières impressions, nouveaux registres, cette cinéphile passe de l’autre côté de l’écran. Que lui réserve ce nouveau tournant ? Entretien.

photo-Anaide Rozam

Plus de 500 000 millions. C’est le nombre de comptes actifs chaque jour sur Instagram. Parmi eux, quelques marques, des célébrités mais aussi, et surtout, beaucoup d’anonymes. Entre Cristiano Ronaldo et Kylie Jenner, certains d’entre nous s’immiscent : plus ou moins influents, plus ou moins assidus, mais toujours soucieux de renvoyer le meilleur reflet de soi-même.

Exception désopilante, Anaïde Rozam a échappé aux codes convenus du réseau social. En 2019, son compte personnel quitte le rang des anonymes pour rejoindre celui des comptes à suivre. 40, 4000, 40 000, jusqu’à 420 000 abonnés aujourd’hui, séduits par ses vidéos de personnages. Cadrage serré, légère contreplongée, filtres peu flatteurs. Depuis trois ans, elle court-circuite l’esthétique instagrammable au profit de caractères qui moquent la société autant que nos vilains défauts. Coco, JessiK, Magalie ou Gichtenbelt, véritable panthéon de rôles face auxquels on rit de se reconnaître.

Des dialogues de sourds, des personnages sur le fil du rasoir, des situations cocasses. Si la jeune femme mène la vie dure à son meilleur reflet, c’est pour laisser poindre un élément cher à ses yeux : l’intime. Au-delà du simple sketch, tous ses personnages ont cela de charmants que leur caricature sous-entend quelque chose de profondément humain.

Cette identité, Anaïde Rozam cherche à l’extirper des quatre bords de la publication pour l’incarner sur grand écran. Son rêve de toujours. Aujourd’hui, cette ancienne étudiante en psychologie franchit donc les portes du cinéma. Récemment à l’affiche de La Cour des Miracles, une comédie dramatique de Hakim Zouhani et Carine May dont elle tient le premier rôle, elle sera prochainement dans Les Miens de Roschdy Zem. L’occasion de revenir sur ses premiers pas de comédienne.

Pour toi, tout démarre en 2019 sur Instagram. Sur ton compte, tu publies des vidéos qui campent toutes sortes de personnages. Un succès total. Plusieurs centaines de milliers de personnes te suivent parmi lesquels des acteurs et des réalisateurs. Qu’est-ce qui a plu, selon toi ? 

J’ai toujours essayé de garder l’authenticité de mes vidéos : des plans serrés, pas de maquillage, pas de moyens superflus. Je devais garder cette identité car, quand les vidéos ont commencé à marcher, j’ai choisi de m’en servir comme une bande démo. Il ne s’agissait pas uniquement de trouver la vanne mais de penser et créer des personnages écrits, bien distincts les uns des autres, qu’il était possible de faire vivre et évoluer.

Difficile de faire rire avec un format de vidéo si court… 

Faire rire en si peu de temps demandait un peu de caricature bien sûr, mais toujours sous-entendre une petite critique sur la société. Faire en sorte que les gens se reconnaissent sans jamais – malheureusement ou heureusement – blesser personne. Mon objectif n’a jamais été de devenir humoriste mais d’utiliser l’humour pour devenir actrice. Raison pour laquelle je ne voulais pas être prise dans des polémiques, m’aventurer dans des sujets que je ne maîtrise pas. C’est aujourd’hui le propre des réseaux sociaux : beaucoup de gens donnent leur avis sans connaître les sujets dont ils parlent. Et parler dans l’urgence, c’est généralement en corrélation négative avec une pensée réfléchie. Je ne voulais pas de cela.

Avec le système de communautés, les réseaux sociaux marquent aussi le succès de l’humour communautaire. On rit de soi mais entre soi. Ça n’a jamais été l’identité de tes vidéos. Pourquoi ?

J’ai toujours refusé de m’enfermer dans une catégorie de genre ou d’origine. Je suis une femme avec des côtés très masculins. Très française, parfois marocaine… D’ailleurs, quand je fais mes rôles, je me mets souvent, malgré moi, dans la peau d’un homme. Pour moi, si on commence à mettre des limites, on n’est reconnu que dans le périmètre qu’elles délimitent. Et comme l’humour n’a jamais été une fin en soi pour moi, mes vidéos devaient toucher tout le monde, mais aussi des réalisateurs, producteurs, auteurs. Je voulais en montrer un maximum. C’est ça, je pense, qui a permis le succès de mon compte.

Avec tes vidéos mais aussi avec la mini-série « Clothilde fait un film » sur Canal+, tu as beaucoup parodié le monde du cinéma… de loin. Aujourd’hui tu y es ! Alors, qu’est-ce que tu en penses ? 

Pour être honnête, je trouve que l’image que je m’en faisais se confirme. Mais ce n’est pas ça l’important, car, pour moi, tout est critiquable : le monde du cinéma, la cité, les bobos, le monde du travail… Le plus important est de le faire avec bienveillance. J’aime bien critiquer à la manière d’un sociologue sans forcément vouloir régler ses comptes.

La bienveillance est peu compatible avec l’humour. C’est plus drôle d’être transgressif, non ? 

Oui ! Quand je parle de bienveillance, c’est avoir de l’amour pour le personnage que tu critiques. Pour viser juste l’identité d’un personnage que tu joues ou que tu écris, il faut l’aimer… même si on le fait mourir à la fin. C’est ce que j’essaye d’éprouver pour chacun des personnages que j’incarne. 

On t’a vu récemment dans « La Cour des Miracles », une comédie fable de Hakim Zouhani et Carine May sur l’école et l’éducation. Peux-tu nous parler de ton rôle, celui de Marion ?

Je joue une jeune provinciale qui vient enseigner dans une école à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Elle accorde une grande importance à la transmission et l’interdépendance. Dans cette école menacée par l’arrivée d’un nouvel établissement flambant neuf, elle veut faire comprendre à l’enseignement public qu’il faut être sensibilisé et sensibiliser les enfants aux enjeux environnementaux. Ça a été un vrai challenge de comprendre les convictions du personnage : je suis allée dans une école, dans une ferme collective – où le personnage dit avoir grandi. Et puis, j’ai beaucoup appris sur les enjeux de mixité sociale.

La mixité sociale est, en effet, au cœur de l’intrigue. Tires-tu un message personnel de ce film ? 

Disons que je m’interroge. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné pour qu’aujourd’hui, des enfants de tous milieux sociaux, de toute origine ne soient pas mélangés au sein même de l’école publique ? C’est pourtant la colonne vertébrale de la société ! Les enfants ne s’en rendent pas compte quand ils sont petits. Mais il ne faut pas s’étonner, à l’âge adulte, que les gens ne se mélangent pas. Il faudrait prendre le problème à la moelle en finançant davantage l’école, en soutenant les enseignants pour leur donner envie, comme aux parents d’élèves, de rester dans l’école publique.

Comment as-tu vécu ce premier premier rôle ? Qu’est ce-qui changeait de tes propres personnages de vidéos ? 

Dans mes vidéos, chaque mimique était contrôlée. Sur un plateau de tournage, ce n’est plus possible : il y a toute une équipe qui te regarde derrière la caméra. C’est à la fois étrange et très formateur : ils gardent des choses de moi que je ne contrôle pas. Tu as presque l’impression qu’on prend des choses de ton intime que tu ne vois pas ou ne voulais pas forcément dévoiler. Chose qui m’a d’ailleurs fait comprendre que, dans mes vidéos, je ne donne rien de moi ou de ma sensibilité à proprement parler. 

Est-ce qu’on raconte un peu de soi lorsqu’on joue des rôles au cinéma ? 

Pour moi, même si tu écris ou joue un personnage très éloigné de toi, tu l’incarnes avec ce qui te traverse : ton expérience, tes névroses, ton héritage, tes qualités et tes défauts. Ce que j’attend, quelque soit l’histoire, c’est de l’émotion : savoir parler de quelque chose qui relève de l’intime mais qui touche l’universel. Même quand tu joues un astronaute ou un extra terrestre.

“CE QUE J’ATTENDS D’UN FILM, C’EST DE L’ÉMOTION : PARLER DE L’INTIME DE CHACUN MAIS TOUCHER L’UNIVERSEL.”

Anaïde Rozam aux côtés de Rachida Brakni dans La Cour des Miracles.

Prochainement, tu seras à l’affiche du film Les Miens de Roschdy Zem. L’acteur et réalisateur revient sur une histoire personnelle…

Et aussi mon histoire… Dans ce film, je joue mon propre rôle, celui d’Anaïde. Le film raconte le chamboulement de toute ma famille après la commotion cérébrale de mon oncle. Un accident qui a suscité une perte de l’envie, des changements d’humeurs, de l’agressivité. Il parlait, sans filtre, des tabous et des non-dits de notre famille. 

Après que Roschdy m’ait proposé de le faire, le tournage s’est enchaîné très rapidement. C’était étrange, il y avait un peu un côté The Truman Show de Peter Weir (ndlr, film américain réalisé en 1998 dans lequel le héros, Truman est, depuis sa naissance, et à son insu, une vedette de télé-réalité). Il y a une scène où je joue avec Sami Bouajila, celui qui interprète mon oncle : on le voit me dire très sérieusement que je joue mal, que mes vidéos sont nuls et que je suis moche. Cette scène m’est vraiment arrivée dans la vie et elle m’a bouleversée. Avec le temps, je me rends compte qu’il y a un côté un peu violent et masochiste dans ce métier : rejouer des scènes douloureuses, parvenir à pleurer pour jouer une scène triste… Mais cette violence et cette souffrance me servent. J’apprends avec elle. 

Tu aimes te voir à l’écran ?

Il y a quelque chose de douloureux à ne pas voir forcément le résultat escompté. Tu croyais montrer quelque chose, mais avec le montage et l’angle, on montre autre chose. Parfois tu as de bonnes surprises, bien sûr. Mais c’est toujours bizarre. Après, c’est le début. Il faut savoir lâcher prise.

Dans quels rôles te vois-tu le mieux ? 

Je raffole des rôles de névrosés. J’adore les films de Yorgos Lanthimos comme The Lobster. Et je suis très fan du travail de Laure Calamy. Elle est l’une de mes actrices préférées. Elle a ce côté sur le fil du rasoir en permanence, à la limite du débordement ! Des rôles de fous en contrôle. 

Tu chantes également. La musique et le chant nourrissent-ils ton jeu de comédienne ? 

Pour l’émotion, justement. Quand tu chantes, tu interprètes, tu met tes tripes. L’émotion que je mets dans le chant, j’essaye de la lâcher parfois dans le jeu. Et puis, il y a un côté très solitaire à la chanson : quand je chante au piano, je suis seule , j’écris, je réfléchis. C’est un exercice qui me permet vraiment de me déployer émotionnellement. 

Pour beaucoup d’acteurs, le théâtre est souvent le premier amour de la scène. Est-ce ton cas ? 

J’ai toujours fait du théâtre mais en grandissant je savais que je voulais faire du cinéma. Ceci dit, c’est en chantant sur scène que j’ai vraiment découvert ce rapport un peu magique à la scène, cette relation très spéciale avec le public qui n’existe pas vraiment au cinéma. Le théâtre demande de se mettre davantage en danger. En termes de sensations, la scène est, en effet, plus intense. En tant que spectatrice, c’est autre chose : je suis obsédée par le cinéma. Je suis tellement fascinée que j’y vais presque une fois par jour. C’est cette fascination qui m’a donné envie de tourner.

Quels sont tes projets pour la suite ?

Je suis à l’affiche de deux prochains films. Début 2023, je joue dans Magnificat aux côtés de Karin Viard et François Berléand. L’histoire est celle d’une découverte qui chamboule : après la mort d’un prêtre adoré de son église, on se rend compte qu’il s’agissait d’une femme. Une femme qui voulait devenir prêtre. J’y joue un second rôle mais très cool. 

Je jouerai également dans Un coup de maître de Rémi Bezançon. J’ai tourné en Belgique avec Vincent Macaigne et Bouli Lanners : l’histoire d’un peintre torturé et d’un galeriste confronté à l’arrivée de la crypto-monnaie et du NFT. Une amitié entre cet artiste qui n’arrive pas à vivre avec son temps et un galeriste qui doit bien répondre aux contraintes du business. Je joue le rôle de l’assistante de Vincent Macaigne, une galeriste dans l’ère du temps. 

“Dans Les Miens, je joue mon propre rôle, celui d’Anaïde. Le film raconte le chamboulement de toute ma famille après la commotion cérébrale de mon oncle. Un accident qui a suscité une perte de l’envie, des changements d’humeurs, de l’agressivité. Il parlait, sans filtre, des tabous et des non-dits de notre famille.”

Propos recueillis par Perla Msika

La Perle

Instagram : @anaïderozam