Kozokai : parce que je le vends bien

Pour caricaturer le pouvoir de la publicité, Kozokai s’est mis au défi très conceptuel de créer une fausse marque de lunettes branchées. Un travail de plusieurs mois dont nous avons suivi chaque étape.

Keyewear, une marque pensée par Kozokai.

La publicité. A la télé, sur les réseaux, dans la rue, à la radio, le consommateur n’y échappe pas. Et alors qu’on croit la snober, elle s’arme d’une subtilité qui submerge nos imaginaires. Résultat ? On chantonne les slogans, vénère les égéries, méprise les concurrents tout en se persuadant que le dernier spot à la mode n’y est pour rien. Puis entre nous, Apple c’est quand même mieux que Samsung.

Cause toujours, dit Kozokai. Admirateur sincère du marketing publicitaire, l’artiste assume et parodie le pouvoir de l’annonceur. Le défi est lancé : créer une fausse marque, un faux produit, un faux casting, une fausse communication qui exploiteront tant les outils du marketing que ceux de l’art contemporain. Rap, mode, peinture et publicité, les passions fusionnent et font KEYEWEAR marque de lunettes nouvelle génération. 

Pendant plusieurs mois, nous avons suivi l’élaboration de son projet. Pour Kozokai, l’enjeu n’est pas de vendre mais d’interroger ce qui nous fait acheter. A l’heure du drop shipping, des collab’ à tout va et de l’achat à portée de clic, l’œuvre a des allures d’expérience sociologique : aux frontières de l’art et de la pub, jusqu’où la poudre aux yeux peut-elle nous éblouir ? 

Clients, collectionneurs, meet KEYEWEAR : une nouvelle manière de voir les campagnes publicitaires.

Comment es-tu devenu artiste ? 

Je me suis d’abord intéressé à l’art grâce à mon frère : petit, je le regardais faire et copiais ses dessins. Plus tard en 2015, j’ai souhaité revenir à cette pratique du dessin : je me suis initié au graphisme digital via Photoshop. J’aimais ça mais je n’étais pas totalement satisfait. C’est facile d’imiter ou d’utiliser des logiciels. Ce que je voulais, c’était apprendre : j’ai consulté des livres, étudié la manière dont était agencé le corps, la nature, puis je me suis exercé. En parallèle de mes années de BTS, je faisais du modèle nu, travaillais les ombres et les lumières pour enfin acquérir des automatismes et dessiner plus rapidement au papier et au crayon. Une fois maîtrisés, je suis revenu au digital et à la tablette pour pouvoir jongler entre les deux pratiques. 

En réalité, j’étais d’abord curieux de savoir jusqu’où je pouvais aller : du graphisme au dessin puis du dessin à la peinture et ainsi de suite. L’art, pour moi, c’est comme le sport : tu commences par la musculation, tu progresses, tu notes tes performances et tu te dis qu’à chaque séance tu dois faire mieux. Une sorte de surcharge progressive mais dans la création. 

Tu utilises la peinture digitale avant de te mettre à la toile. Pourquoi ? 

Question de complexe. J’ai eu du mal à me mettre à la peinture traditionnelle car je ne me sentais pas vraiment légitime. Mais en même temps, je me suis rapidement lassé du digital car je trouvais cela trop numérique, trop lisse. Retranscrire sur la toile, multiplier les couches, c’est beaucoup plus impliquant. Aujourd’hui j’utilise la peinture digitale comme une miniature avant de me lancer. Mais elle doit être parfaite car c’est elle que je projette ensuite sur la toile. Elle sert de modèle. 

Parle-nous du projet KEYEWEAR Comment est-il né ? 

Je suis étudiant en marketing et en communication de pub, un domaine omniprésent dans notre société. Aujourd’hui, dès lors que son marketing est excellent, une entreprise peut te vendre n’importe quoi. Fasciné par l’art contemporain, je me suis interrogé : comment mêler les outils de ce milieu à l’art ? Pourquoi ne pas créer une fausse marque ou un faux produit qui témoignerait des ressources artistiques de la pub ? J’ai eu l’idée de la paire de lunettes. 

Kozokai porte Keyewear.
Keyewear, une marque pensée par Kozokai.
Kozokai. Crédit photo : @tensai.img

Parce que la pub, c’est un art ? 

Bien sûr ! C’est même le médium qui m’inspire le plus. La publicité nous envahit et nous concerne tous : affiches, télévision, réseaux sociaux… Ce sont les supports qui diffusent le plus d’idées et d’émotions au quotidien. J’en ai tiré des informations très pertinentes. Je pense par exemple aux fashion campaign de Louis Vuitton ou de Comme des Garçons. 

Ça ne te dérange pas de t’inspirer d’un domaine qui a d’abord vocation à manipuler pour vendre ? 

C’est un domaine comme les autres pour moi à la différence que mon produit, n’existe qu’en un seul exemplaire – celui de l’œuvre d’art – et que ma peinture sert d’affiche publicitaire. Si après cela, on me demande d’industrialiser la pièce et de la vendre en multiples, mon objectif aura été atteint. Il ne s’agit pas de le faire mais de caricaturer un domaine dont j’admire les ressources. 

Nous sommes tes premiers clients : parle-nous de l’identité de ta « marque ».

Ma plus grande inspiration pour ce projet a été Soulja Boy. Pendant le premier confinement, je me suis mis à réécouter les deux premiers albums du rappeur : souljaboyetellem.com et isouljaboytellem ( ndlr, sortis en 2007 et 2008 ). Ce mec a révolutionné Internet et la manière de communiquer sur les projets musicaux.Il a notamment marqué les esprits grâce à sa paire de lunettes blanches avec « Soulja Boy » écrit au Blanco. A cette démarche rap et Rn’B, j’ai ajouté les personnages de ma nièce qui sont avec les quatre points, ma signature et ma mythologie : Kico et ses amis sont les avatars de mes affiches publicitaires. 

Kozokai en Keyewear. Crédit photo : @tensai.img
Keyewear par Kozokai.
Casting pour la marque Keyewear.

Le rap, la pub : pour beaucoup, ces domaines relèvent de la sous-culture…

Que je le veuille ou non, j’ai épousé cette sous-culture : grandir en cité, écouter du rap, travailler dans la pub… ces références m’inspirent et me rattrapent. J’ai donc décidé de les assumer et de m’en inspirer pour KEYEWEAR… à condition de ne pas servir les stéréotypes qu’on catégorise généralement sous le terme « urbain ». Je déteste ce mot. [Pourquoi ?] Je le trouve extrêmement réducteur. Il a tendance à enfermer les gens et les œuvres. 

À ce propos, on reproche souvent à certaines marques d’instrumentaliser les codes du rap ou du street art pour happer la clientèle qui y est sensible. Qu’en penses-tu ?

Tout dépend d’où l’on décide de mettre le curseur. Matthew Williams (ndlr, directeur artistique de Givenchy et designer de sa propre marque 017 Alyx 9SM ) a su rendre ça tendance sans pour autant en abuser. Ce n’est pas le cas, à mon avis, de la collaboration entre Lacoste et la marque Walk In Paris. Tournée en cité, leur campagne de pub en a caricaturé les codes : le breakdance en hall d’immeuble, les tags, les kebabs, le faux jargon de cité… je n’ai vraiment pas accroché. 

Ton choix s’est porté sur des lunettes de soleil, accessoire indispensable du rap gang. Comment l’expliques-tu ? 

Acheter des lunettes de soleil, c’est une première manière de s’élever. Objet luxueux mais plus accessible que le reste, il permet de sortir de son milieu tout en gardant son identité. En tout cas, c’est ainsi que je le vois. 

Pour donner de l’ampleur au projet Keyewear, tu as même réalisé une fausse campagne de communication, un faux shooting photo. Tu ne négliges donc aucun détail…

C’est la garantie pour un travail de qualité. La paire a été réalisée par Anne-Lise Bertrand, un artisan de talent à qui j’ai envoyé tous mes documents et mon impression 3D. Pendant plusieurs semaines, elle a travaillé pour créer un produit unique, aussi esthétique que fonctionnel. Lorsqu’elle m’a renvoyé la paire, j’étais impatient de la sublimer avec le reste de ma démarche. 

J’ai donc réalisé un faux casting pour une fausse campagne de publicité. Beaucoup de gens m’ont envoyé des messages pour y participer. J’ai fait mine de demander des photos, des lettres de candidature en assurant qu’une personne serait sélectionnée. Mais cette personne, c’était moi ! L’autopromotion fait partie intégrante de mon travail et de mon regard sur la publicité. C’est une façon de montrer qu’en étant convaincant et en exploitant les outils de la pub, tu peux aussi TE vendre. Comme le faisaient Andy Warhol ou Jeff Koons. J’oscille donc entre un regard très subjectif puisqu’il s’agit de moi et très objectif puisque j’utilise des outils de vente réels. 

Dans cette perspective, le shooting photo a aussi permis de me mettre en scène. C’était un défi car je ne suis pas mannequin mais à force de jouer un rôle, de bouger au rythme de la musique, on finit par se prendre au jeu et à trouver cela amusant. Nous avons donc shooté chez Imene, une amie et membre du collectif JDID. Mon ami Mohamed s’est occupé du shooting numérique pour la campagne de pub de la paire quant Malcolm photographiait à l’argentique pour le côté backstage et making off. 

Kozokai en Keyewear. Crédit photo : @tensai.img
Keyewear, une marque pensée par Kozokai.
Kozokai en Keyewear. Crédit photo : @tensai.img

Utiliser les références populaires pour toucher le monde de l’art est-il l’un de tes objectifs ?

Je veux trouver le bon équilibre mais je sais que cela prend du temps. Je tiens à mes influences populaires et j’essaye d’utiliser l’art pour mettre leur noblesse en lumière. Il s’agit de rester accessible – c’est-à-dire parvenir à sensibiliser une personne qui, de prime abord ne s’intéresse pas à l’art, tout en parvenant à convaincre les galeries de s’intéresser à mon travail. Elles tiennent une place importante dans mes perspectives de réussite et de légitimité.

Être successful grâce aux réseaux sociaux ne compte-t-il pas à tes yeux ? Pourtant, tu accordes beaucoup d’importance à l’autopromotion et la publicité… 

Tout mettre sur sa communication c’est mettre de côté sa technique. Pour moi, on parvient à une légitimité en touchant d’abord les galeries. C’est un milieu qui a l’œil, qui sait reconnaître et interpréter. Je préfère leur faire confiance. Et si les réseaux sociaux tiennent une place importante, ce serait dommage qu’ils se substituent aux galeries : tout ce qui peut me permettre d’atteindre mon but est bon à prendre. 

Tu parles comme si tu cherchais à vendre ton œuvre, comme si un artiste était aussi un entrepreneur…

Evidemment ! Je suis aussi entrepreneur C’est bête à dire mais quand tu es artiste, tu es confronté à des réalités très concrètes : trouver le matériel, un lieu pour créer, un acheteur pour tes œuvres, un business model… Dès lors que tu investis dans un projet que tu aimes, c’est de l’entrepreunariat. Reste à savoir comment vendre mon projet : tout ce que je sais c’est que je veux déployer mon univers artistique avant de me mettre à vendre. Je veux qu’on vienne à moi pour ce que je suis. 

Quels sont tes projets pour la suite ? 

J’aimerais beaucoup travailler sur l’esthétique des films d’horreur. Je les déteste mais c’est peut-être une manière d’exorciser cette peur. Comme Michael Jackson a pensé Thriller. Je réfléchis aussi à une manière de vendre le temps, que ce soit sous la forme d’un sablier, d’une horloge ou d’une montre. Mais je n’en dis pas plus pour l’instant. Je ne veux pas tout dévoiler…

Kozokai en Keyewear. Crédit photo : @tensai.img
Keyewear, une marque pensée par Kozokai.
Kozokai en Keyewear. Crédit photo : @tensai.img

Propos recueillis par Perla Msika

La Perle

www.keyewear.fr
Instagram : @kozokai