Il fallait qu’elle marche sur nos plates bandes. Qu’elle souille l’art de son incompréhensible spéculation. Récemment, la crypto-monnaie a fait son entrée dans le champ de l’art au moyen de nouveaux termes : crypto-art, crypto-artistes, NFTs… On n’est pas sûr d’apprécier. De comprendre non plus.
Ne vous froissez pas, amateurs de bitcoin et autres devises virtuelles. Dans l’esprit français, détester avant de connaître est presque une tradition. Un aveu à demi-mot qu’on se sent perdu. Aussi, pour s’y retrouver, quelques explications s’imposent.
Caroline Vossen et Albertine Meunier en savent quelque chose. L’une dirige l’Avant Galerie Vossen, première galerie française à accepter les crypto-monnaies comme moyen de paiement. L’autre crée et comprend le crypto-art comme une mutation de la création contemporaine et de son marché. Quoi qu’on en pense… Ensemble, elles ont accepté de nous éclairer.
LES NFTs : ACRONYME À ÉCLAIRER
Les NFT – “non-fungible token” – sont des jetons virtuels, cryptographiques et uniques permettant de tracer la vie d’un contenu numérique. Image fixe, animée – comme nos fameux gifs – ou encore vidéo, toutes les créations digitales peuvent avoir leur propre NFT, sorte de signature numérique de l’œuvre.
En 2018, des plateformes en ligne comme SuperRare ou Opensea apparaissent : elles permettent la vente d’œuvres digitales, désignées comme le crypto-art. Avec l’apparition de ces plateformes grand public, l’art numérique – autrefois mal-aimé du monde de l’art contemporain – se collectionne à grande échelle. Une fois le NFT acheté, l’œuvre digitale apparaît immédiatement dans votre collection en ligne. Gain de place évident : le smartphone suffit à contenir ce que l’on tentait de caser chez soi.
Un point essentiel à comprendre : acheter du crypto art ce n’est pas acheter le fichier en question. Non, vous ne serez pas le seul utilisateur de votre gif favori, fusse-t-il le Nyan Cat arc en ciel et chantant. Car le NFT n’est autre que la preuve de propriété de l’œuvre.
Prenons Beeple, premier crypto artiste vendu aux enchères. Adjugée à 69,3 millions de dollars chez Christie’s le 11 mars dernier, son oeuvre, Everydays : the first 5000 days, reste visible et téléchargeable par tous – faites un simple clic droit sur l’image, enregistrez-la et vous l’aurez, vous aussi, dans votre ordinateur. Toutefois, seul un certain MetaKovan, riche et heureux détenteur du NFT, peut disposer de sa propriété : la garder, la transférer à quelqu’un, ou la vendre. C’est là toute la différence.
Pour acheter et héberger les œuvres dans votre collection, il est alors nécessaire de se créer un portefeuille numérique – dites wallet – comme Metamask. Simple, ergonomique, cette bourse à crypto-monnaie – principalement l’ethereum – sert donc à payer les œuvres repérées. Oui, il faut bien y venir. Monnaie réelle ou virtuelle, le marché reste le marché.
Et tout travail mérite salaire : autre fait saillant, avec l’apparition des NFTs, l’artiste peut pleinement vivre de son art. De plus, le droit de suite – permettant aux artistes de toucher un pourcentage à chaque revente de leur œuvre – y est automatiquement appliqué. 10 % minimum dans la poche du créateur.
DE NOUVEAUX COLLECTIONNEURS POUR UN NOUVEAU MARCHÉ
Les financiers zieutant un double marché potentiel, la spéculation survient alors. Sur l’œuvre comme sur la crypto-monnaie. En très peu de temps, le marché devient fou et des records apparaissent. Art et finance se croisent là, dans une apogée frénétique où des œuvres, virtuelles, immatérielles se vendent mieux que jamais.
« Quel intérêt si tout le monde a accès à l’œuvre ? » diront certains. Certes. Mais en investissant leur argent, les collectionneurs fortunés achètent aussi un moment de l’histoire de la NFTs : des images cultes comme les CryptoPunk ou des artistes pionniers comme Robbie Barrat ou XCOPY. Témoins d’un nouveau genre, ils ont entre leurs mains, la trace d’une émergence créative.
Mais la troublante spéculation n’est pas nécessairement l’œuvre des plus riches, des plus geeks ou des crypto-addicts : d’autres collectionneurs s’intéressent aux NFTs. Contrairement à ce que les médias diffusent, on trouve aussi, et en grand nombre,de nouveaux collectionneurs indifférents au marché traditionnel, des amateurs de création numériqueet enfin des artistes numériques se collectionnant entre eux.
Les collectionneurs d’art classique s’intéressent aussi à cette forme d’art mais avoir l’œuvre dans leur portefeuille numérique ne leur suffit pas. Ils lui préfèrent la matérialisation de l’œuvre dans un écran pouvant être accroché sur leur mur. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils répondent à l’ère du temps.
Fait nouveau, on montre donc sa collection depuis son mobile, son ordinateur ou sur des murs via des écrans. Enfin, autre signe des temps. On ne cache pas sa collection. Elle est visible aux yeux de tous. De par la technologie de la blockchain, la collection devient archi-visible et peut-être même un facteur spéculatif supplémentaire. Aux plus curieux, vous pouvez accéder à ce que détient votre voisin : Token Angels, 4156 ou MetaKovan – cliquez sur les liens – ne s’en cachent pas.
Le crypto art n’est pas un phénomène à prendre à la légère : il décomplexe totalement le rapport à la collection d’art et démocratise le marché. Collectionner de l’art devient simple età portée d’un clic.
Les galeries tentent à leur tour de s’emparer de ce nouveau marché, mais leur rôle est délicat. Plus autonome, l’artiste entretient une relation directe avec les collectionneurs via les plateformes en ligne. Serait-ce la fin de la galerie, promoteur séculaire des créateurs ?
… Eh bien non. À l’Avant Galerie Vossen, pionnier en la matière, nous avons fait le choix d’exposer des œuvres de notre collection et de les lier à nos expositions. Si nous retraçons l’histoire De la Tulipe à la Crypto Marguerite, c’est aussi pour présenter des artistes de la première heure comme Robness, Norman Harman ou LuluxXX. Dans de petits écrans de 10 cm x 10 cm, ils jouent avec les codes graphiques de notre époque.
L’avenir est enfin au mélange des médias. Aujourd’hui, pour répondre à cela, nous faisons le choix d’expositions d’un nouveau genre où l’art numérique côtoie – sans complexes mais avec audace – peintures, sculptures et traditions.