Avec « Romancero Queer », Virginie Despentes délaisse l’intime pour le collectif

Après Woke, l’autrice présente le nouvel opus de son triptyque :  Romancero Queer, sur la scène du théâtre de la Colline. Avec son écriture frontale et un propos résolument politisé, elle confronte de nouveau les consciences collectives, sans faire atout de l’émotion propre à la scène. 

A travers la voix de ses personnages, Virginie Despentes s'élève avec fougue contre nos errances contemporaines. Crédits : Teresa Suarez.

C’est la deuxième fois qu’elle investit les planches.  Après Woke, joué au théâtre du Nord en 2024, Virginie Despentes revient avec sa nouvelle pièce, Romancero Queer, présentée jusqu’au 29 juin au théâtre de la Colline. Un second opus d’un triptyque théâtral dont elle signe le texte et la mise en scène.  

Les amateurs de l’autrice de King Kong Theorie attendaient sans doute avec impatience de la découvrir dans ce nouvel espace d’expression. Voir ses mots prendre corps sur scène s’apparente à une promesse. Romancero Queer sera-t-il à la hauteur sa plume engagée et sans filtre ?

Une signature frontale et militante

Sur scène ils sont huit. Huit comédiens réunis pour une énième répétition de la pièce qu’ils s’apprêtent à jouer, La « Maison de Bernarda Alba », de Federico Garcia Lorca. Une pièce dans une autre, à l’instar d’une matriochka russe. Quelques plots gris sans âme et un rideau ajouré plantent le décor : tout se jouera en coulisses, d’où émerge par intermittence la voix de Michel, metteur en scène blanc cisgenre aux relents autoritaires.

Pour épater sa fille non-binaire, il a décidé de monter une version “queerisée” de l’œuvre du dramaturge espagnol. Mais en loges, la contestation couve … face à Michel et ses excès, les protestations s’organisent. Comme un cri trop longtemps étouffé, les voix des personnages s’élèvent jusqu’à faire chœur, amorçant une révolte aussi libératrice que réparatrice. 

En coulisses, la révolte gronde. Fairouz et Nina s'y préparent. Crédits : Teresa Suarez

D’emblée, l’écriture de Virginie Despentes se laisse entendre : familière, tranchante, frontale. Tour à tour chacun des comédiens arrache la parole, dessine sa trajectoire. Il y a Nina, lesbienne au cœur enragé, Fairouz, lesbienne ex-star d’une série policière, Vita, influenceuse à la tchatche furieuse, Gaby, ancienne taulière, Wanda, dont le fils a été condamné pour violences conjugales, André, violé dans son enfance, Max coach sportif et Lou, actrice sans éclat, prête à tout tolérer de Michel pour rester sur le devant de la scène.  

Autant de portraits qui offrent à l’écrivaine l’occasion de plonger au cœur des thématiques qui lui sont chères. Traversés de références à l’actualité, leurs récits sillonnent les affres de notre ère contemporaine.

Menaces extrémistes, violences policières, violences faites aux femmes, aux personnes racisées, queers, abus de pouvoir, artistes criminels, Despentes dénonce en bloc. Symbole masculiniste par excellence, Michel amorce la critique d’un système patriarcal honni par l’autrice, militante féministe de la première heure. 

Depuis la publication de son premier roman “Baise-Moi” en 1994, l’autrice dynamite les codes de la littérature. De son manifeste “King Kong Théorie” à “Cher Connard”, son dernier roman, elle raconte des expériences intimes comme le viol dont elle a été victime, la prostitution qu’elle a vécu tout en auscultant les rapports de domination de genre.

Poing levé, cœur en berne

Sans surprise, Virginie Despentes tire à bout portant, sans filtres ni tabous. L’écrivaine fait le choix d’un manifeste dense, strict. Au clap de fin, aucun combat ne manque à l’appel. Et si nombre des luttes évoquées convergent, quel espace de réflexion un tel texte laisse-t-il au spectateur ? Décriant en salves, Virginie Despentes reste en surface, sans susciter l’émotion organique qu’offrent habituellement ses livres.  

“Les hétéros vous êtes nés sous un ciel noir de rapaces carnivores”

Romancero Queer se détache des récits profondément intimes qui sillonnent son œuvre Sur scène, l’intimité des personnages s’esquisse, imparfaitement. Leurs corps, hauts lieux de résistance, peinent à trouver le chemin de la mémoire. On aurait aimé être pris aux tripes, que leurs voix se nourrissent de chacune de ces tranches de vie. 

Dans l’élan de révolte que dépeint la pièce, pointe toutefois la force du collectif. L’énergie saillante des comédiens l’emporte, comme  Soraya Garlenq, épatante dans ses monologues au cordeau  Peu à peu, le théâtre devient une manif’. La scénographie, pour le moins économe, y concourt également. Au salut final, les spectateurs se lèvent, comme pour accompagner cette vague de contestation émergente. Un public à l’évidence déjà convaincu des idées que l’artiste défend. 

Romancero Queer sonne comme un manifeste nécessaire. Virginie Despentes embrase son propos comme dans ses livres, mais sans faire atout des possibilités que le théâtre permet. L’énergie est frontale mais l’émotion manque à l’appel De quoi convaincre les convaincus mais laisser sur le bas-côté une partie des spectateurs moins engagés. 

Amandine Violé

La Perle 

Romancero Queer de Virginie Despentes 
Du 20 mai au 29 juin 2025 

Théâtre de la Colline
15 rue Malte Brun, 75020 Paris

www.colline.fr
Instagram : @lacollinetheatrenational