Qui a dit que le thriller était une affaire de salle obscure ou de roman au coin du feu ? Pour leur seconde pièce à quatre mains, inspirée de faits réels et portée par une habile mise en scène de Sébastien Azzopardi, Caroline Ami et Flavie Péan ont sauté le pas. Elles en avaient toujours rêvé. Harlan Coben, David Fincher, les intrigues sous haute tension. Pour La Perle, elles nous parlent de leur passion pour le genre et racontent comment écrire à partir d’une histoire vraie.
Votre pièce est inspirée d’une histoire vraie. Un fait divers survenu à Washington en 2014. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Caroline Ami : C’est un couple qui a eu recours à une FIV pour procréer. Un petit garçon est né, et le papa apprend à la naissance qu’il n’est pas son père, mais son oncle. Sauf qu’à sa connaissance, il n’a pas de frère. Sa femme est sûre de ne pas l’avoir trompé, elle lui jure. Et la clinique est catégorique, il est le seul donneur blanc ce jour-là.
Quand on adapte un fait réel, est-ce qu’on se donne les mêmes droits qu’avec la fiction ? Est-ce qu’on veille à maintenir une certaine fidélité à l’histoire originale ?
Flavie Péan : Je pense qu’effectivement, il y a un cadre. On ne peut pas partir dans tous les sens. Il y a quand même une date à respecter, un lieu. Mais après, c’est une histoire qui se passe aux États-Unis. On ne connaît rien de leur vie de famille ou de ceux qui les entourent. Donc on a pu se faire plaisir. D’ailleurs, on a écrit beaucoup, beaucoup, beaucoup, et très longuement avant que cette pièce ne voit le jour. Pendant deux ou trois ans. On avait envie de parler de secrets de famille. À la base, nous avions imaginé une histoire sur quatre générations. Mais c’était trop. On a beaucoup élagué.
C.A. : On avait envie de justifier le mal-être de Tomas, qui apprend qu’il n’est pas le père de son enfant. C’est pour ça qu’on lui a donné des caractéristiques physiques particulières, c’est-à-dire ce handicap. On ne s’est pas bridées là-dessus.
Justement, pourquoi avoir fait le choix de garder l’histoire aux États-Unis, et pas de la déplacer en France ?
F.P. : On s’est dit que ça allait être très visuel. Le côté grande ville, la spirale infernale dans laquelle tombe Tomas. Tout ça allait être mis en exergue. C’est aussi un univers qu’on ne connaissait pas. On a fait des recherches pour être au plus proche de la vérité, au plus près des noms de rues, de bars, des prénoms des personnages, pour entrer vraiment dans cette culture américaine.
Tomas, le personnage principal, est un grand anxieux. Il peine à tenir en place, il est très angoissé. Pourquoi l’avoir imaginé comme ça ?
F.P. : Parce que le sujet principal de notre pièce, c’est aussi la transmission, les non-dits, les secrets de famille. Tout ce qu’on ne peut pas révéler et qui peut avoir des répercussions sur les générations futures. On voulait que ce personnage porte en lui tous ces secrets. Il a des fêlures, des blessures, des choses qu’il ne comprend pas, qui le rendent malade.
Tomas me fait penser à Tyler Durden, l’un des personnages principaux du film Fight Club, de David Fincher. Ils partagent ce côté névrosé, incertain, dépassé par les événements de leur propre vie. Ça a été une inspiration ?
C.A. : Oui, Tyler Durden de Fight Club a évidemment été une source d’inspiration pour nous. En fait, dans ce chaos mental que traverse Tomas, on avait vraiment envie de montrer à quel point on peut se battre avec soi-même quand on n’est pas en accord, quand on traverse des tempêtes et qu’on a du mal à sortir la tête de l’eau. Il est en colère contre tout le monde, mais il est avant tout en colère contre lui. Peut-être parce qu’il n’a pas anticipé, parce qu’il n’a pas décelé que sa mère avait pu lui mentir pendant son enfance. Son handicap, ce bras qui ne fonctionne pas depuis son enfance, sans explication médicale, c’est aussi quelque chose qui lui échappe.
Il y a un personnage assez subtil, c’est celui de la femme. On va la soupçonner jusqu’à la fin, à tort ou à raison, d’avoir trompé son mari. Comment avez-vous fait pour maintenir cette ambivalence, ce flou autour de ce personnage ?
F.P. : Comme tout bon thriller, il faut qu’au fur et à mesure de l’histoire, les doutes se portent sur différents personnages. Un peu comme dans les livres et maintenant les séries d’Harlan Coben. C’était très important que la personne la plus proche de Tomas soit la première qu’on soupçonne, et de mettre plein de doutes autour de ce personnage-là, de petites pistes, pour titiller la curiosité des spectateurs.
En fait, on retrouve tous les codes du thriller, avec des personnages qu’on a du mal à cerner, qui nous échappent, qui nous glissent entre les mains. Qu’est-ce qui vous attirait dans ce genre ?
F.P. : C’est le genre qui nous accroche le plus, l’une et l’autre. Autant en livre qu’en film ou en série. Quand on a envie d’écrire, quand on cherche une nouvelle idée, quelque chose qui va nous exciter, on est attiré par ce qui nous parle le plus. Encore une fois, ça n’avait pas été encore fait au théâtre. On s’est dit, tiens, et si on essayait quelque chose de nouveau. On l’a écrit comme un film ou une série. Notre scénario est très dynamique, rythmé, avec des scènes très courtes et cutées, ce qui se fait très rarement au théâtre. On s’est dit : « on tente, on verra. Est-ce que quelqu’un va oser nous suivre ? Est-ce qu’on va trouver quelqu’un pour nous accompagner ? » On n’avait pas envie de mettre nous-mêmes en scène la pièce, mais plutôt de se focaliser sur l’écriture.
Alvaro Goldet
La Perle
«ADN» de Caroline Ami et Flavie Péan
Mise en scène de Sébastien Azzopardi
En ce moment et jusqu’au 29 mars
Théâtre Michel
38, rue des Mathurins 75008 Paris
Instagram : @theatremichel