Le théâtre de l’Atelier tire sa programmation du lot en affichant deux seules-en -scène choc : l’adaptation de L’Evènement d’Annie Ernaux et de La chair est triste hélas, d’Ovidie. Deux textes bruts, pensés comme un cri impérieux décoché contre les violences imposées au corps des femmes.

L’une est écrivaine, première femme française lauréate d’un prix Nobel de littérature. L’autre est autrice, réalisatrice, ancienne actrice pornographique. Annie Ernaux et Ovidie ont 40 ans d’écart et des trajectoires de vie aussi riches qu’éclectiques.
En somme, rien ne les prédisposait à se rencontrer, jusqu’à découvrir l’ingénieuse programmation du théâtre de l’Atelier en cette rentrée 2025. Deux de leurs textes, l’Evènement pour Annie Ernaux et La chair est triste hélas pour Ovidie, sont adaptés en première et seconde partie de soirée, avec pour interprètes Marianne Basler et Anna Mouglalis, impérieuses.
Seules-en-scène, au nom de toutes
Altière, dépouillée de tout artifice, Marianne Basler apparaît, dans un halo de lumière tamisée. Immédiatement, l’adresse est claire, incarnée. Les mots d’Annie Ernaux seront siens. Ils sont pourtant âpres, poignants, ces mots qui relatent l’avortement clandestin qu’elle a décidé de mener à terme à l’âge de 23 ans. Un crime encore passible de réclusion en 1963, 12 ans avant l’adoption de la loi Veil dépénalisant l’IVG.
Trop violents pour être tus, tous sont dits : la douleur viscérale des manœuvres pratiquées par sa “faiseuse d’ange”, le rejet cinglant d’une société arquée contre le droit fondamental des femmes à disposer d’elles-mêmes, l’isolement, la résilience d’un corps violenté au nom d’antiques principes patriarcaux.
Le corps. Voici une thématique commune à ces deux témoignages. Dans La chair est triste hélas, Ovidie l’évoque sans détours. Tantôt sexualisé, tantôt rejeté, il enrage : d’être mal-baisé, violenté, soumis aux injonctions d’une société viriliste écrasante. Face à ces constats, Ovidie prend alors une décision : entamer une grève du sexe comme une porte de sortie de l’hétérosexualité. Un texte aux allures de manifeste, aussi cinglant que teinté d’humour et qu’Anna Mouglalis, en fière porte-parole, relaye avec mordant.
Femmes avant d’être comédiennes, Anna Mouglalis et Marianne Basler empoignent la salle avec la conviction de celles qui se sentent concernées. Derrière l’empreinte autobiographique, l’écho du collectif gronde. Puissantes, l’une et l’autres se dressent, avides de plaider dans l’arène théâtrale la cause des femmes si longtemps silencées.
Un diptyque sans concessions
Servies à 19h et 21h, l’Evènement et La chair est triste hélas, méritent d’être découvertes l’une après ou avec l’autre. Semblables sur leur forme, complémentaires sur leur fond, les deux œuvres composent un brûlant diptyque féministe. Deux seules en scène abordés sous un angle volontairement cru, dénué de toute sensiblerie.
Les premières saillies verbales des comédiennes ne laissent d’ailleurs aucun doute : sur scène la parole sera reine, quitte à heurter par sa radicalité. Les décors, économes de toute fioriture, font place nette aux mots : une table faiblement éclairée d’un côté, vestige du lieu de “l’évènement”, un large rideau strié de l’autre, d’où émerge par intermittence Anna Mouglalis, fondue au cadre dans ses vêtements gris. La scénographie, tout en justesse, ne laisse ainsi au public que peu d’échappatoires.
Certaines et sans doute, certains, trouveront du reste la réception un peu rude. En première ligne, “l’homme hétérosexuel” qu’Ovidie n’hésite pas à tailler, manu militari. Entre deux prises de paroles, la mise en scène offre toutefois quelques espaces de “digestion”. Du silence pour ponctuer le récit d’Annie Ernaux, des projections vidéo pour illustrer la prose d’Ovidie. À moins que ne s’y fraye le chemin de la réflexion…
Politisant l’intime avec force et fracas, Annie Ernaux et Ovidie révèlent avec Marianne Basler et Anna Mouglalis toute la puissance de leurs propos. Deux plaidoyers bouleversants dont la radicalité, contestable, n’entame en rien la portée.
Amandine Violé
La Perle
« L’Evènement » d’Annie Ernaux : du 12 septembre au 19 octobre.
« La chair est triste hélas », d’Ovidie : du 9 septembre au 25 octobre.
Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin, 75008 Paris
www.theatre-atelier.com
Instagram : @letheatredelatelier