À la galerie Jousse Entreprise, la coulée « vert brat » de Simon Martin

Entrer dans « La Rivière », la nouvelle exposition personnelle du peintre Simon Martin à la galerie Jousse Entreprise, c’est découvrir une rivière numérique, où s’écoulent des images aussi éloignées qu’un tutoriel de maquillage et une biche broutant un pré. Simon Martin rend immortel notre rapport vorace à l’image.

Simon Martin est diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2017. Crédits photo : Christopher Barraja

Mécaniquement, l’algorithme nous pousse à toujours reprendre en main notre téléphone, ouvrir nos applications, aller voir le monde comme il va. Les artistes aussi scrollent. « J’étais à l’atelier et je me suis rendu compte que je scrollais sur Tik Tok  depuis deux heures. »

Ce constat, le jeune peintre Simon Martin  a voulu lui jeter un sort. Il décide alors de travailler une nouvelle série de tableaux : gardant les images qui lui semblent les plus marquantes de son flux internet, il juxtapose, en peinture, le passage d’une image à l’autre.

Scroll pictural

Cette troisième exposition personnelle à la galerie Jousse Entreprise, marque ainsi une évolution significative pour Simon Martin. Celui qui, diplômé de l’École nationale des Beaux-Arts de Paris en 2017, présentera sa première exposition en Chine à l’automne prochain, était jusqu’ici connu pour ses scènes romantiques.  Aussi quitte-t-il l’intimité de ses moments d’intimité suspendus pour expérimenter de nouveaux sujets.

« Je passais mon temps sur Instagram à regarder des réels ou des vidéos sur Tik Tok, je voulais traiter ça de façon picturale » confie l'artiste.

Une approche qui le conduit à peindre format téléphone, longiligne et vertical (180 x 90 cm), transposant dans sa peinture, le flux personnel de ses navigations. La présence du peintre danois Vilhelm Hammershøi (1864-1916) inaugure cette nouvelle série avec un détail d’Intérieur avec un jeune homme lisant. 

« J’ai beaucoup regardé les tableaux d’Hammershøi, ses intérieurs, ses couloirs… Ici, ce garçon complètement absorbé dans son livre – qui pourrait aussi être un téléphone – me semblait bien introduire ma série. » Une toile qui interroge d’emblée notre absorption numérique contemporaine.

L'inquiétante étrangeté du vert Brat

Jusqu’ici ses toiles étaient souvent drapées de gris, « influencé par la présence du béton » de la ville où Simon Martin a grandi, Vitry-sur-Seine. Cette matérialité urbaine a laissé place à un bleu liquide qui fait écho à cette rivière numérique, à ce flux constant que nos pouces balayent. Dans toutes ces nuances de bleu, deux figures vertes surgissent. 

« J’ai voulu utiliser la couleur Brat Charly XCX  en écho au phénomène de mode marketing qui a inondé les réseaux [ndlr, ce vert utilisé pour revendiquer la brat attitude, esprit rebelle, auguré par la chanteuse Charly XCX]. »

Une couleur vert acide qui imprègne ses toiles d’une mélancolie contemporaine, renforcée par sa technique particulière : « J’aime quand il y a un crépitement dans l’œil, qu’il doive s’ajuster comme lorsqu’on passe de l’ombre à la lumière. » La finesse de la couche picturale – bien plus légère que dans ses précédentes œuvres – tient d’un désir du peintre de ne pas apporter trop de couches à la peinture, elle qui a déjà « plusieurs couches de sens. »

Pour la première fois dans son travail, Simon Martin introduit donc le vert acide, couleur dissonante, qui accentue l’inquiétante étrangeté de nos intimités digitales. Lecteur de la romancière américaine Shirley Jackson – The Haunting of Hill House, We Have Always Lived in a Castle – Simon Martin s’intéresse à la manière subtile de « voir notre quotidien d’une autre façon ».

Ses références, aussi bien littéraires, picturales que cinématographiques – d’Alfred Hitchcock à Andrew Wyeth, imprègnent ses toiles d’une dimension spectrale. Ce(ux) qui peuplent ses toiles flottent dans un entre-deux permanent, ni tout à fait présents ni complètement absents. Là, des sirènes semblent dériver dans une rivière, ici, un oiseau risque de tomber du tournesol où il repose. Ou là, un sac à main en forme de maison hantée va bientôt s’ouvrir…

Simon Martin introduit le vert acide, une couleur qui accentue l’inquiétante étrangeté de nos intimités digitales. Crédits : Max Borderie

Quelque chose de l’ordre de la révélation se déroule bel et bien dans l’œuvre de Simon Martin : c’est le surgissement dans l’estompe, l’apparition dans l’évaporation. Et cette impression tenace : plus on le regarde, plus le tableau se dessine. Comme si notre œil allait chercher la réalité au cœur de la toile. Loin, très loin, à l’opposé même, des mises en scènes que nos réseaux sociaux nous réservent.

Tout au long de la création de cette série, le leitmotiv de Simon Martin était de « ne pas souffrir en peignant, mais faire confiance à la peinture, pour trouver une approche plus zen, plus distante ». Aujourd’hui, il va moins sur les réseaux, « je passe à autre chose » nous dit-il, comme si cette série lui avait permis d’extérioriser cette dépendance algorithmique.

Apolline Limosino

La Perle

Exposition « Simon Martin, La rivière »
Du 19 juin au 20 septembre 2024

Galerie Jousse Entreprise 
06 rue Saint Claude 75003 Paris 

www.jousse-entreprise.com
Instagram de Simon Martin