Rien de plus familier que le bazar. Ultime trace de nos actions, de nos mouvements, de nos moments de vie, les objets et babioles que l’esprit laisse traîner sont la preuve d’une aisance qui sait bien habilement faire concurrence aux images aseptisées des catalogues IKEA.
Une convivialité dont les galeries d’art feraient bien de s’inspirer. S’il l’on sait en effet que le marché de l’art cultive le clivage– pour ne pas dire la ségrégation – qui sépare les acheteurs des simples spectateurs, c’est avant tout grâce à des espaces particulièrement intimidants. À une exception près…
Sa vitrine annonce déjà la couleur. Passée la série de photos librement présentées aux passants, on entrevoit, curieux, ce qu’il en est de l’intérieur. Entre les murs et les cadres de la Galerie de l’Instant, le visiteur est bienvenu. Au sol, au sous-sol, entre deux étagères, accrochées ou suspendues, les œuvres – toutes portraits de visages célèbres – semblent vouées à créer le lien, une intimité, au plus près des yeux du spectateur.
FRIDA KAHLO DANS L’INTIMITÉ
C’est d’ailleurs ce que suggèrent les deux expositions qui sévissent de leur beauté sur les deux étages proposés à la visite. Tout d’abord, le regard d’une artiste, Lucienne Bloch, photographe, sur une autre Frida Kahlo, peintre mexicaine. Dernier tirage de Bloch, cette série éditée en 1999 dévoile une Frida inédite car plus complexe : le femme supplante l’artiste et l’être humain, l’icône féministe.
A cette époque, en 1933, Lucienne Bloch n’est autre que l’assistante de Diego Rivera, artiste et mari de Frida. Elle accompagne le couple lors d’un séjour à New York. Si les deux femmes se lient d’amitié, c’est notamment parce que Frida connaît à cette époque de grands moments de solitude qui la pousse à se confier sinon même à poser, vulnérable, devant l’objectif de Lucienne. Perdus entre le regard défiant de l’artiste, le baiser passionné qu’elle inflige à son homme et l’instant de tendresse passé avec son filleul, nous jouissons d’un témoignage précieux : celui d’une tranche de vie d’une des plus grandes artistes du XXème siècle.
LA MAISON DE VACANCES DES ROLLING STONES
Et ce n’est pas tout. Car côté intimité, Dominique Tarlé n’est pas en reste. Sa série de photographies prises en 1971 nous ramène dans le Sud de la France, au plus près des Rolling Stones. À tout juste 20 ans, l’artiste qui a déjà photographié le groupe lors d’une tournée en Angleterre, se retrouve au coeur de la Villa Nellcôte, celle de Keith Richards, où les Stones se réunissent 6 mois durant pour enregistrer l’album Exile on Main Street et – accessoirement – fuir le régime fiscal anglais.
Dans le silence ensoleillé mais rock’n’roll de Villefranche sur Mer, ce sont des clichés exceptionnels que Tarlé – présent de temps à autre à la Galerie – expose de vive voix. Enfants, restes de déjeuner, bazars et inspirations musicales, on assiste à un drôle de mélange que seul l’artiste, se faisant invisible, est parvenu à saisir : alors qu’on le croyait réservé au monde du show-business, il semblerait que le charisme rebelle des Stones les poursuive jusque dans leur vie privé. Un style à toute épreuve incarné par un Keith Richards torse nu à tout heure, par des rires et confidences partagés en fin de repas, par des têtes blondes élevées parmi les guitares.
Entre visages célèbres et quotidiens familiers, l’identité ambivalente de la Galerie de l’Instant n’est donc pas pour nous déplaire. A l’heure interminable des distances de sécurité, nous sommes pour la toute première fois, invités à côtoyer l’intimité des intouchables adulés – artistes, chanteurs, acteurs – qui pris dans l’engrenage d’une pellicule, frisent l’immortalité en noir et blanc.