Annoncé chaque année, « le retour de la peinture figurative » semble surtout signaler un engouement mercantile. À rebours d’une production commerciale aseptisée, trois expositions en galeries nous rappellent qu’une autre peinture, plus habitée, est possible.
Ces derniers temps, le monde de l’art a beaucoup parlé peinture. Ce fut le cas notamment en avril dernier, lors de la foire d’art contemporain Art Paris, où elle était mise à l’honneur dans un programme conçu spécialement par les critiques d’art Amélie Adamo et Numa Hambursin.
À cette occasion, le Quotidien de l’Art n’hésitait d’ailleurs pas à prophétiser « le grand retour de la peinture figurative ». Problème : ce refrain repris chaque printemps peinait cette année à convaincre.
En effet, la sélection d’Art Paris décevait en donnant sa préférence à des œuvres plus laborieuses que renversantes. Beaucoup de piscines et de bouquets de fleurs, de portraits de copains affalés sur des canapés, le tout dans un style sage et bien léché. Une peinture-zombie, sans présence.
Bien sûr, Art Paris n’est qu’une foire, c’est-à-dire un événement commercial qui offre de la création un panorama biaisé : c’est une mode qui s’y dévoilait, un goût du jour, avec ses paresses et ses produits dérivés.
Fort heureusement, il reste des rendez-vous et des artistes pour faire honneur à un genre injustement déconsidéré. En septembre dernier, « Le jour des peintres », un événement impulsé par l’artiste Thomas Lévy-Lasne, voyait ainsi plusieurs générations de peintres contemporains investir les galeries du musée d’Orsay le temps d’une journée.
En ce mois de mai, c’est au tour de trois artistes exposés en galerie – Axel Pahlavi, Elizabeth Peyton et Georg Baselitz – de démontrer combien la peinture reste vive si elle garde comme boussole l’authenticité. Une « peinture criante de présence », comme le disait l’écrivain Michel Leiris. Il n’y a que cela qui compte : du nerf !
Axel Pahlavi : entre Grand Style et série B à la H Gallery
Pour sa première collaboration avec la H Gallery, le peintre d’origine iranienne Axel Pahlavi orchestre une véritable trilogie : « Hyperclassique », « Abîme moderne » et « Intégrale du réel ». Soit trois manières de voir le monde et d’accueillir l’héritage de la peinture, depuis l’iconographie classique et les techniques des grands maîtres, jusqu’aux expérimentations plus formalistes de l’art moderne.
D’une série à l’autre, parfois même dans un même tableau, Pahlavi alterne mises en scène théâtrales et motifs saisis sur le vif. Les scènes intimes se muent en visions mystiques, les figures surgissent sans se figer, dans un style qui n’hésite jamais à convoquer l’emphase. C’est parfois kitsch et cela sent le western, sous des lumières de science-fiction.
Sa force ? La personnalité de son œuvre, son épaisseur de créature et ses contradictions, aussi profondes que fertiles. C’est à n’en pas douter une peinture habitée, pour ne pas dire hantée par ses sujets (son père, ses amis, lui-même et sa femme Florence), dont les corps sont représentés sans concession, mais avec un amour immense.
Elizabeth Peyton : quelque chose de l’intime à la galerie David Zwirner
Elle aussi porte un amour tendre pour ses sujets. L’artiste américaine Elizabeth Peyton (née en 1960), dont la galerie Zwirner présente une sélection d’œuvres sur papier, a joué un rôle clé dans le retour du portrait peint au tournant des années 1990. Prenant le contrepied de l’art conceptuel et des formats monumentaux alors en vogue, elle opposait à ces tendances des œuvres intimistes où la figure – souvent jeune et androgyne – apparaissait soudain fragile et évanescente.
Touches délicates, couleurs diaphanes, compositions resserrées en petits formats : son style se reconnaît au premier regard. Notons que Peyton peint rarement d’après modèle vivant et qu’elle reprend le plus souvent des portraits de célébrités glanés dans les magazines. Celles-ci n’en demeurent pas moins des présences réconfortantes, chargées de désir, d’affection ou de mélancolie.
Romantique à bien des égards, la peinture de Peyton s’affranchit de toute neutralité ; elle assume au contraire une charge subjective forte. En cela, elle a ouvert la voie à toute une génération de peintres pour qui le sensible et le récit intime deviennent un moteur puissant d’inspiration.
Georg Baselitz : figures renversantes à la galerie Thaddaeus Ropac
Dernière exposition notable – et non des moindres – celle du peintre allemand Georg Baselitz, présenté par la galerie Thaddaeus Ropac dans son vaste espace de Pantin. À 87 ans, l’artiste poursuit son inlassable exploration du portrait renversé (ici, des portraits de lui et de sa femme) devenu sa signature depuis les années 1970.
Le titre de l’exposition fait allusion à la jambe d’Édouard Manet, amputée à la fin de sa vie. Dans un parallèle à la fois amusé et poétique entre cet épisode de la vie de Manet et sa propre difficulté à marcher, Baselitz transforme son déambulateur en instrument de création : travaillant au sol, il le fait rouler dans la peinture encore fraîche, faisant des empreintes circulaires, nerveuses, un élément central de la composition.
Brossées à grands gestes expressifs sur des fonds gris ou monochromes, les immenses silhouettes semblent flotter dans le vide et prennent une étrange allure spectrale. Avec ces portraits à vif, Baselitz poursuit un travail introspectif exigeant sur le temps qui passe, la vieillesse et la capacité à faire du corps diminué un vecteur d’expérimentation plastique.
Thibault Bissirier
La Perle
Exposition d’Axel Pahlavi
Du 17 avril au 31 mai 2025
H Gallery
39, rue Chapon – 75003 Paris
Elizabeth Peyton
« La pesanteur et la grâce »
Du 24 avril au 28 juin 2025
Galerie David Zwirner
108, rue Vieille du Temple – 75003 Paris
Georg Baselitz
« Ein Bein von Manet aus Paris »
Du 26 avril au 26 juillet 2025
Galerie Thaddaeus Ropac
69, avenue du Général Leclerc – 93500 Pantin