Vendre des artistes oubliés, le pari de FauveParis

Samedi dernier a eu lieu le second volet de la vente « Les Redécouvertes » dédiée aux artistes oubliés de la seconde moitié du XXème siècle. Si les résultats sont mitigés, l’intention de leur faire une place sur le marché de l’art est, quant à elle, atteinte.

Michel Potage, 1986. Crédit photo : Philippe Taka.
Yard n°94, Michel Potage, 1995 vendue 11 830 euros (frais inclus). Crédit photo : Catalogue FauveParis.

Claude Viseux, René Laubiès, Philip Martin ou Yvette Vincent-Alleaume… Ces artistes vous sont probablement inconnus. Des noms que même les galeries, même les musées n’ont pas retenus. Leur œuvre a pourtant marqué la seconde moitié du XXème siècle, avant de tomber dans l’oubli. « Pas très vendeur » diriez-vous. Samedi dernier pourtant, la maison FauveParis leur a dédié une vente aux enchères. Treize artistes reconnus par leur profession mais effacés par l’Histoire. Misant sur l’euphorie de la redécouverte et sur des estimations accessibles, l’étude a présenté plus de 80 lots estimés entre 200/300 euros et 6 000/8 000 euros : peintures, sculptures, dessins mais aussi objets de design ou tapisseries.

DES ARTISTES MÉCONNUS

La vente « les Redécouvertes » traverse différents courants, différentes époques, notamment l’abstraction d’après guerre, entre lyrisme et formes organiques. Si les résultats sont mitigés, certaines enchères ont assuré à la vente une percée de certains artistes sur le marché de l’art – comme Michel Potage (1949-2020) dont la toile Yard n°94, estimée entre 5 000 et 7000 euros, a été vendue 11 830 euros (frais inclus). « Nous voulions à la fois relancer l’intérêt pour des artistes qui ont été importants mais qui le sont moins aujourd’hui comme Claude Viseux ; et montrer des artistes comme le couple Simonnet qui sont très institutionnalisés, subventionnés par l’Etat, mais pas encore collectionnés » estime Simon Barjou-Morant, commissaire-priseur en charge des « Redécouvertes ».

Les Simonnet, ce sont Marthe et Jean-Marie. Ce couple d’artistes à l’origine de plusieurs sculptures, peintures et objets de design, oeuvrent ensemble depuis les années 1960 : leur langage est abstrait coloré et sensuel – pour ne pas dire érotique. Leur lampe de table rouge et ajourée, typique de l’esthétique des années 1980 a été vendue 6 760 euros. Elle était estimée entre 2500 et 4000 euros. En juillet dernier, un premier volet de la vente intitulé « L’heure des redécouvertes » avait déjà vendu leur Table sculpture Puzzle ainsi qu’une de leurs 12 sculptures Polymorphe dont un exemplaire a également été vendu ce samedi. Un succès dû au regain d’intérêt pour le design sur le marché de l’art et à l’esthétique plutôt accessible de leur œuvre, selon Maître Barjou-Morant. « Ils ont vraiment absorbé l’ère du temps. En réalisant des petites et grandes sculptures, mais aussi du design, de l’architecture et du mobilier urbain, ils ont fait en sorte que leur art soit visible de tous dans le quotidien. » 

Intégrer les œuvres d’art à la vie quotidienne, un parti pris largement mis en avant par FauveParis. Pour communiquer sur ses ventes, l’étude privilégie de plus en plus des mises en scène incarnées dans lesquelles l’équipe n’hésite pas à poser avec les lots. Pour les « Redécouvertes », ce n’est autre que Maître Barjou-Morant et Nicolas Amiel, chargé du magasinage et du stockage des œuvres qui posent entre les œuvres de Vera Idelson (1893-1977), des Simonnet ou de Phillip Martin (1927-2014). Une communication qui illustre l’intention de créer une proximité entre la maison de vente et le grand public, notamment les jeunes adultes qui souhaitent commencer une collection à hauteur de leurs moyens limités. Ces artistes sont donc, pour le commissaire-priseur, une première pierre à l’édifice. Acheter un petit bout d’Histoire de l’art, encore méconnu : au pire, une pièce coup de cœur qui décore la maison, au mieux, un investissement qui participe à monter la côte de l’artiste, et prend de la valeur avec les années. 

“LE LANGAGE DES SIMONNET EST ABSTRAIT COLORÉ ÉROTIQUE. LEUR LAMPE, TYPIQUE DE L’ESTHÉTIQUE DES ANNÉES 1980, A ÉTÉ VENDUE 6 760 EUROS.”

Crédit photo : Catalogue FauveParis.

ESTIMER DES ARTISTES OUBLIÉS

Certains lots ont, à l’inverse, déçu les attentes ; comme ceux de l’artiste Claude Viseux (1927-2008), un tenant de l’abstraction d’après-guerre. Une trentaine de pièces issues d’une collection personnelle de son œuvre ont été mises en vente. Quinze d’entres elles ont été retirées de la vente, faute d’acheteurs. Cette collection était pourtant à l’origine de la vente. Au départ de Claude Viseux, FauveParis a constitué, pendant plus d’un mois et demi, un catalogue d’artistes dont la carrière légitime l’enchère mais dont la côte est passée à la trappe.

Véritable référence artistique entre les années 1950 et les années 1970, Claude Viseux est, en effet, adoubé par les grands galeristes et marchands d’art parisiens de l’époque. Il côtoie les plus grands comme Man Ray ou César et représente la France à la Biennale de Venise, l’une des plus grandes manifestations d’art contemporain internationales. En 1977, le musée d’Art moderne de la ville de Paris lui dédie même une exposition personnelle. Mais sa quête de nouvelles inspirations le pousse au voyage, en Inde notamment. C’est en quittant Paris qu’il se fait probablement oublié. Le cercle artistique qui fait sa renommée regarde déjà ailleurs, à l’affût de nouveaux talents. Son travail n’en demeure pas moins, un morceau de l’art contemporain.

Mais alors comment estimer un artiste oublié ? « Pour l’œuvre Déchirure de Viseux par exemple, je me suis d’abord appuyé sur la taille et matériau. C’est un grand format et une huile sur toile, la technique la plus « noble » des arts graphiques. On a aussi affaire à une peinture abstraite datant de 1955. Or, en ce moment, l’abstraction des années 1950 se vend très bien sur le marché de l’art. J’ai donc posé une estimation entre 2500 et 4000 euros », explique Simon Barjou-Morant. La toile n’a pourtant pas rencontré son acheteur. Mais alors qu’est-ce qui a raté ? L’estimation a-t-elle été trop ambitieuse ? Le trop-plein de Claude Viseux a-t-il étouffé les enchères ? Ou est-ce simplement le style de l’artiste qui ne plaît pas au public d’aujourd’hui ? De nombreux facteurs entrent en jeu, sans empêcher une part d’inconnu. Dans une vente, s’assurer des enchères consiste à créer l’occasion en temps et en heure. Le timing. Restituer la côte d’un artiste oublié commande donc de surveiller, non seulement l’actualité du marché de l’art, mais aussi celle des expositions – le coup de projecteur favorisant la redécouverte et la spéculation. Aussi, Maître Barjou-Morant ne renonce pas à Claude Viseux. Il rebat les cartes dans l’attente d’une autre conjoncture. 

Déchirure, décembre 1952 53, Claude Viseux a été retirée de la vente, faute d’acheteurs. Crédit photo : Catalogue FauveParis.

Perla Msika

La Perle

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