La Galerie Templon a accueilli les œuvres de l’artiste bulgare Oda Jaune pour une nouvelle exposition. Entre surréalisme et représentations crues, la peintre a créé un univers poétique mais tourmenté, mêlant visions naïves, violentes et érotiques. Réalisée en période de confinement, sa série de tableaux « wOnderlust » invite à la réflexion sur notre réalité et le devenir de l’être humain.
UNE PEINTURE QUI DÉRANGE
Au premier coup d’œil, la plupart des peintures – surréalistes, colorées – donnent une impression de douceur et de poésie. Comme une invitation dans un monde chaleureux et imaginaire peuplé d’une femme-cygne, d’un arbre étrange et de visages énigmatiques. Mais passée la première impression, la réalité est toute autre : un jardin d’Éden perverti. Les tableaux font tous écho à notre actualité proche et aux enjeux qui animent notre société. Un parallèle avec les réseaux sociaux ? Sous la surface vernie, peuvent se cacher des destins moins heureux.
Une démarche qui nous rappelle celle de la vanité, catégorie de nature morte, mettant en contraste des éléments symbolisant la vie, la nature et la mort, pour signifier le caractère éphémère de l’existence. Chez l’œuvre d’Oda Jaune, figurent des émoticônes et un smartphone, symboles de notre quotidien dominé par la technologie, et souvent par la vanité de notre reflet. S’y mêlent aussi des globules rouges et divers organes attaqués par le virus du Covid-19, brusque rappel de notre fragilité.
Détail de cette vanité : comme sur nombre des tableaux présentés dans l’exposition, figure également un clione limacina, aussi appelé papillon de mer. C’est un petit mollusque marin translucide et hermaphrodite, d’environ 25 millimètres de long, dont on voit tous les organes. Mystérieux, ressemblant à de petits anges et connus pour leur incroyable capacité d’adaptation et de résilience, on peut supposer qu’Oda Jaune a fait des cliones le symbole de l’avenir de notre monde. Saurez-vous les repérer sur tous les tableaux ?
“LE CLIONE LIMACINA, AUSSI APPELÉ PAPILLON DE MER FIGURE SUR PLUSIEURS TABLEAUX COMME SYMBOLE D’ESPOIR POUR L’AVENIR DE NOTRE MONDE.“
Oda Jaune, Dream a way, 2021. Crédit photo : Alexandra Foucher.
“TREE” : LA CRISE SANITAIRE DANS L’ART
Contre toute attente, la crise sanitaire est omniprésente dans cette série de tableaux réalisée pendant le confinement, notamment dans son gigantesque « Tree ». Ce tableau de dix mètres de long, présente un arbre de chair et interroge l’avenir de l’être humain et de la nature. L’artiste y dépeint la réalité rythmée par le Covid-19 depuis mars 2020 : organes attaqués par des virus, masques chirurgicaux, plaies, pangolins – animal longtemps réputé comme à l’origine de la pandémie-, et visages inquiets.
Mais on y trouve aussi des enfants, des fœtus, des ovules, du placenta, des scènes érotiques et des bourgeons. L’arbre attaqué par le virus est viscéralement tourné vers la renaissance. On distingue aussi un symbole du capitalisme en flamme, des corps par moitié de peau mate et de peau blanche, et des fusées spatiales en vol. Et si l’artiste voulait croire en le début d’un nouveau monde ? Cette œuvre s’anime aussi sous forme d’hologramme au sous-sol de la galerie, donnant une impression de croissance constante vers l’avenir.
UN SURRÉALISME TRÈS CRU
Si l’œuvre d’Oda Jaune appartient au surréalisme, elle témoigne toutefois d’un réalisme très cru : L’exposition présente de nombreuses figurations précises en petits formats, des zooms sur certaines parties du corps. Ces découpes froides et parfois absurdes, sont souvent d’un érotisme à la fois suggéré et outrancier, si intime qu’il en est dérangeant. Les cadres choisis par l’artiste, tous différents et singuliers, ajoutent un effet d’emprisonnement des scènes et des émotions qu’elles suscitent. Et si le malaise se veut l’émotion première de l’exposition, sa richesse de contenu permet de se projeter dans ses propres schémas de pensée et de préoccupations. Une œuvre monumentale adaptée au regard plus intime de chacun.