Dans les yeux de Bonnie and Clyde

En cavale après la mort d’un policier, deux afro-américains parcourent le pays dans un road-movie où la tension amoureuse se mêle au regard “noir” d’une société fragmentée par le racisme.

Queen and Slim – Melina Matsoukas – 2020

Pour son premier long-métrage, Melina Matsoukas porte le recueil puissant d’une culture noire en cavale. Entre fiction dramatique et triste réalité, Queen and Slim relate la tragique naissance d’icônes contemporaines.

Tout part d’une histoire ordinaire. Un homme, une femme, un simple rendez-vous, puis un contrôle policier de routine. Seulement les choses s’enveniment et le ton monte. Face à l’abus de pouvoir, la résistance du couple se tient. Un coup de feu est tiré, l’agent est tué. Conscients de la partialité qui les attend, de leur peau comme signe de culpabilité, les voilà donc partis. 

UNE IDYLLE INTENSE ET ENGAGÉE

C’est alors que, sous le soleil des larges routes américaines, deux jeunes gens à priori incompatibles vont connaître – au prix de leur liberté – l’idylle la plus intense de leur vie. Touchant, sensuel, le couple Kaluuya – Turner Smith crèvent l’écran, sans jamais tomber dans le pathos mal tourné. En un quart de seconde, leur vie se trouve bouleversée. Tant pis. Il faut bien faire avec.

Le frêle manichéisme tient au scénario. Mais à la différence d’un Green Book contraint au réalisme, Queen and Slim se fait plus la fable romancée d’une jeunesse fatiguée, à bout d’une injustice latente. Et pour mieux s’y reconnaître, le public ne découvre prénoms et identités qu’aux dernières minutes du film. Et non, ça n’est pas Queen ou Slim.

Encore que, le véritable héros de cette fuite partagée, n’est autre qu’une allégorie sublimée : sans surprise, Melina Matsoukas, jusqu’alors réalisatrice de clips rap et R’n’B, consacre à son tour la culture afro-américaine comme source inépuisable de pépites créatrices. Duke Ellington, Luther Vandross ou Lauryn Hill, la bande son y est, pour sûr, impeccable. Elle n’a pourtant vocation qu’à rythmer une louange noire plus tacite : au crible d’une lumière bleue colorée, d’un style vestimentaire émancipé, d’un soleil éclatant de liberté, la chatoyante peau noire frise l’immortalité.

Palpitante, cette course poursuite revêt, contre toute attente, une inaltérable soif de vivre, de lâcher prise. De contempler aussi l’enjeu différemment. Non démunis de leur statut de criminels, ces Bonnie and Clyde des temps modernes invitent à considérer le fait divers par delà le simple coup de feu. Qu’importe l’issue, le jugement, Queen and Slim dresse, non sans émotion, le bilan d’un pays sous tension. Et si l’on ne saurait désobéir à la loi, le meilleur avocat de ces histoires à deux visages reste manifestement le cinéma.

Perla Msika

La Perle

Queen and Slim
Un film de Melina Matsoukas
Date de sortie : 12 février 2020
Durée : 2 heures 12 minutes
Avec : Daniel Kaluuya, Jodie Turner-Smith et Bokeem Woodbine