Chaplin, à jamais sous les feux de la rampe

La Philharmonie de Paris retrace dans une exposition riche et animée, la place de la musique dans l'œuvre et les rôles de Charlie Chaplin.

Essai de costume pour le numéro de music-hall à la fin des Feux de la Rampe, vers 1951-1952 © Roy Export Co Ltd.

A l’affiche du dernier Joker, au cinéma depuis le 9 octobre, Joaquin Phoenix, tout sourire et torturé, bluffe les salles obscures. Son incroyable performance d’acteur répond à l’inlassable soif de show, que nous, enfants gâtés du grand écran, requérons. De ce fait, il s’inscrit en toute légitimité, dans la noble lignée des Artaud, Nicholson ou plus récemment Carrey, qui, non sans effort, se donnent en offrande à leurs personnages. Un métier éprouvant.

CHARLOT, UNE SECONDE NATURE

De cela, Charlie Chaplin, est le véritable antagoniste. Première grande star de l’Histoire moderne, Chaplin ne se donne pas au personnage. Il est son personnage. Comme une seconde nature, une canne, un chapeau, et en avant Charlot ! À gorge déployée, petits, comme plus âgés, nous rions tous à la vue de ce maladroit personnage, dont les gags intemporels résistent au coup de vieux. 

Du music-hall aux studios d’Hollywood, Chaplin, silencieux captif du cinéma muet, fit de son corps et de sa musique, ses meilleurs atouts. En ce sens, l’exposition « Charlie Chaplin, l’homme-orchestre » à la Philharmonie de Paris porte bien son nom. Pas de paroles ? Qu’à cela ne tienne ! Les plaisirs de l’univers sonore sont là pour, selon ses termes, « créer une ambiance. »

Que Chaplin dorme tranquille, l’exposition lui rend un bruyant hommage : passé la porte d’une exposition aux lumières tamisées – comme au cinéma – c’est un frénétique violoniste qui nous accueille. Muni de son instrument favori, Chaplin profite des Feux de la Rampe (1952) pour ajouter une corde à son violon : Lui qui pouvait manier l’archet jusqu’à six heures par jour, était avant tout musicien.

Très tôt, il monte sur scène. Son père, absent et chanteur de music-hall, lui coupera comme symboliquement le sifflet. Heureusement pour nous, sa mère, artiste elle aussi, lui léguera l’art du pantomime ( N.D.L.R : technique d’expression dramatique suivant laquelle les situations, les sentiments, les idées sont rendues par des attitudes, des gestes sans recours à la parole ). Nous voilà donc en 1913 : Chaplin, membre de la troupe de Fred Karno, se fait repérer par Mack Sennett, fondateur du grand studio hollywoodien Keystone. À bas l’espace confiné de la scène ! Chaplin profite enfin du large champ laissé par la caméra pour s’étaler en beauté : Charlot est né.

Et c’est un véritable succès. Vagabond au regard pétillant, le personnage espiègle de Charlot met tout en œuvre pour séduire le public : costumes, cabrioles, imitations, parodies et mauvais tour, la malice de Chaplin se glisse partout : sur les photos, sur les écrans, en voiture ou en patins, avec ou sans pantalon, il proclame, sans même un mot, que le ridicule ne tue pas. Si bien qu’aujourd’hui encore, au royaume des réseaux sociaux, où les rires de bébés et les chats qui tombent, rendent hilares, notre bon vieux Charlot, pourrait bien être le roi.

À l’image du comédien, l’exposition se révèle extrêmement joueuse. L’ombre de Chaplin, bel et bien visible sur les murs, – de quoi concurrencer Peter Pan – suit discrètement le visiteur. Aurait-il un mauvais tour à nous souffler ? Avec lui, tout le monde en prend pour son grade. À commencer par Carmen : dans cette triple caricature, – de la nouvelle de Mérimée d’abord, de l’opéra de Bizet ensuite, et de l’adaptation cinématographique par Cecil.B. DeMille – Charlot, officier à Séville, subit non sans humour les affres de l’amour. Sur le ring, Charlot boxeur ( 1915 ), met à bas son adversaire à coup de morsures de bouledogue. Et c’est dans Une vie de chien qu’il se fait tête de turc du gendarme comme du voleur. 

POÉSIE DU RIRE AUX GAGS

Mais plus on avance, plus on creuse : sous l’épaisse couche de tarte à la crème, se cache une poésie que l’on retrouve dans sa musique. La flûte taquine, aidée du violon mélancolique, révèle toute l’ambiguïté du personnage de Charlot : solitaire et sans le sou, le vagabond prend ce qu’il trouve pour égayer, un tant soit peu son terne quotidien. La « danse des petits pains », entièrement composée par l’acteur, vient apaiser sa Ruée vers l’or (1925).

1927 : début du cinéma parlant. L’exposition, ludique jusqu’alors prend une tournure plus sérieuse. Et c’est bien normal : Chaplin, roi du pantomime, appréhende ce tournant décisif. Dans sa chute néanmoins – une de plus, me direz-vous – il parvient subtilement à retomber sur ses pieds. En 1936, sort Les Temps Modernes. Le grand public n’attend qu’une chose : Entendre la voix de celui dont seul le corps s’exprime. Mais comme à son habitude, Charlot opte pour le pied de nez. Il parle oui. Mais dans une langue universellement étrangère. Un charabia chantonné qui clôt en beauté sa première réplique parlée.

Faire entendre sa voix lui sera nécessaire pour la suite. A l’approche des temps sombres du XXème siècle, où la montée des régimes totalitaires sévit dans toute l’Europe, il faut bien rire. Lui aussi rassemble les foules : en 1938, Le Dictateur caricature un certain chancelier dont la moustache – ironie du sort – n’est pas sans rappeler celle de notre ami Charlot. Sur une tribune, nous prenons place pour applaudir Chaplin qui tourne au ridicule, la haine portée par le régime nazi. Les mots suivent les gestes, et l’artiste, désormais, loquace – dans le rôle du Barbier – véhicule, à qui veut bien l’entendre, un message de paix étrangement prophétique.

Raisonnable donc, sinon nécessaire, de célébrer par une exposition musicale, le 130ème anniversaire du joyeusement célèbre Charlie Chaplin. Sans surprise, les enfants y ont toute leur place. Celui qu’on surnommait The Kid a très justement su garder la puérilité indispensable au métier de comédien, ponctuée d’une grande maîtrise du jeu dramatique. Sa réputation, qu’il ne doit qu’à lui-même, s’étend aux quatre coins du monde. Pour preuve, le cinéma indien : des acteurs Raj Kapoor à Ranveer Singh inspirés par son travail Bollywood lui est éternellement reconnaissant Et nous aussi.

Perla Msika

La Perle

 Charlie-Chaplin, l’homme orchestre
du 11 octobre 2019 au 26 janvier 2020
Philharmonie de Paris,
221 Avenue Jean Jaurès, 75019, Paris
Commissaire d’exposition : Sam Stourdzé, Mathilde Thibault Starzyk
Conseillère scientifique : Kate Guyonvarch