Un beau matin : vivre malgré tout

Dans ce nouveau long-métrage, la réalisatrice Mia Hansen-Løve explore la relation de Sandra (Léa Seydoux) avec son père (Pascal Greggory) dont l’esprit est peu à peu emporté par une maladie neuro-dégénérative. Un film sur l’âge, le temps la vieillesse, on ne peut plus juste… si l’amour et la passion ne s’en étaient pas mêlés.

Illustration : « Un beau matin » raconte la maladie dégénérative d’un homme, Georg Kinsler (Pascal Greggory) sous le regard de sa fille, Sandra Kinsler (Léa Seydoux).

Nouveau tournant autobiographique pour Mia Hansen-Løve. Dans Un beau matin, son huitième long-métrage sorti ce mercredi en salles, elle raconte la maladie dégénérative d’un homme, Georg Kinsler (Pascal Greggory) sous le regard de sa fille, Sandra Kinsler (Léa Seydoux). Mère célibataire, cette traductrice s’implique corps et âme pour préserver la dignité de son père qui peine de plus de plus à se repérer, parler, penser. Bref à vivre par lui-même. Un travail à plein temps qu’elle doit conjuguer avec sa vie personnelle et amoureuse. Un beau matin est un film juste qui, au prisme du lien père-fille, campe la saveur tourmentée des derniers instants, entre lutte et lâcher-prise. Mais un autre binôme, celui de Sandra et Clément – sublime amant joué par Melvil Poupaud – dénote : des répliques maladroites, un jeu mécanique qui brouillent le propos du film : demain il fera jour. 

ENTRE LUTTE ET LÂCHER-PRISE

Maillon d’une famille soudée mais bouleversée par la maladie d’un père « qui a consacré toute sa vie à la pensée », Sandra joue le rôle de l’aidant. À son chevet, elle tient à préserver la dignité d’un homme vif frappé par une régression prématurée. Un beau matin voit s’écouler le temps, les saisons et la dégradation de l’état du malade… sous l’oeil des proches. Subtilité, intimité, le film cultive les binômes à huit-clos, les confidences deux à deux mais alterne avec des moments de vie simple : aller au cinéma, jouer avec sa fille, célébrer Noël. La souffrance des personnages n’est pas explicitement énoncée. Mais la teneur des dialogues et des scènes s’en chargent : Georg Kinsler quitte son appartement pour l’EPHAD. Presque comme un mort, ses proches vident/ déménagent ses affaires. Mais attachée au souvenir de l’esprit de son père, ancien professeur de philosophie à l’université, Sandra refuse de jeter ses livres. Gros plans sur les recueils, collections et étagères de bibliothèque. Typique papier peint de l’appartement parisien. Elle invite alors d’anciens élèves de son père à venir se servir. Transmettre le savoir et la mémoire. 

Hors de tout pathos, le tension entre frustration et culpabilité introduit la soif de vivre : Sandra, veuve et mère célibataire, semble prendre la dégradation de l’état de son père comme un électrochoc. La goute de trop – de responsabilités – qui la pousse à savourer davantage. Au sortir d’une chambre d’hôpital où la couleur des draps s’accorde à l’éclairage aux néons, on prend plaisir à redécouvrir les lieux et la lumière du quotidien. Le parc, le bureau, le resto la chambre à coucher. C’est dans ce contexte que l’héroïne retrouve Clément, un ami perdu de vue. 

“LARMES DE CROCODILES, RÉPLIQUES LOURDES, SCÈNES D’AMOUR MALADROITES… LA FRUSTRATION EST GRANDE TANT LES AMANTS CRÈVENT L’ÉCRAN.”

« Ils sont beaux et beaux ensemble. Mais le jeu des acteurs sonne faux. » Léa Seydoux et Melvil Poupaud dans « Un beau matin ».

PERSONNAGES ET PASSIONS RÉGRESSIFS

Un beau matin est aussi un film sur l’âge. L’âge qu’on fait, l’âge qu’on se donne. Pascal Greggory incarne avec justesse le décalage entre l’âge de son personnage et son état, semblable aux vieillards muets et apathiques de l’EPHAD. La mère (Nicole Garcia) en est l’exact contraste : pour ne pas vieillir, elle s’offre une nouvelle jeunesse en côtoyant des cercles activistes. La fille de Sandra s’emploie à imiter les vieux tandis que la mère de Georg Kinsler a, elle, toute sa tête. Véritable jeu de rôles où les codes et caractéristiques d’un certain âge sont échangés entre les personnages. 

Mais c’est peut-être Sandra, l’intermédiaire de toutes les générations qui traverse le plus intensément cette quête de l’âge. Avec Clément, joué par Melvil Poupaud, elle semble revivre une forme d’adolescence, qui à l’écran, tend à la caricature. Larmes de crocodiles, répliques lourdes, scènes d’amour maladroites… La frustration est grande tant les amants crèvent l’écran. Ils sont beaux et beaux ensemble. Pourtant, la gène du spectateur est palpable : le jeu des acteurs sonnent faux. On comprend la volonté de la réalisatrice de convoquer la passion amoureuse pour raviver l’électrocardiogramme d’une héroïne qui s’enfonce. L’amour contre la mort. Mais le ton et le rythme des répliques, tantôt surjoués ou mécaniques, plombent la démarche. On frôle parfois le soap opera sans comprendre où l’histoire veut en venir.

Un beau matin ne documente pas la maladie, le vieillissement ou le milieu médical. Mais il transpose les sujet de notre époque à l’intime des familles. En donnant une réalité personnelle, notamment du point de vue de l’entourage, il offre un regard inédit sur des questions de société et illustre sans doute un message philosophique bien connu : profiter de ce(ux) qui reste(nt) malgré ce qui guette.

Perla Msika

La Perle

Un beau matin
un film de Mia Hansen-Løve
Date de sortie : 5 octobre 2022
Durée :
1 heure et 52 minutes
Avec : Léa Seydoux, Pascal Gregory et Melvil Poupaud