Cécile Covès a 36 ans et demi. Son horloge biologique est en marche. Tic-tac. Pour elle, pas d’enfants mais un don d’ovocytes. Donner la vie différemment. Dans « La trajectoire des gamètes », à la Manufacture des Abbesses jusqu’au 15 avril, Cécile livre un seul en scène intimiste et questionne les notions protéiformes de filiation et de transmission. Une réflexion passionnante, menée tambour battant par une comédienne pétillante qui, à la lueur de ses souvenirs, nous offre son expérience personnelle, aux tonalités universelles.
L’AMOUR AU-DELÀ DES LIENS DE SANG
Pour créer la vie, une leçon de biologie suffit : prenez un gamète mâle (id est un spermatozoïde), un gamète femme (id est un ovocyte ou ovule), assistez à leur union, et voici un embryon en belle voie de formation. Sous le prisme de l’hétérosexualité, cette théorie fait aisément l’affaire. Mais quand le désir d’enfanter surgit, hors de ce modèle, exit la théorie !
D’autres trajectoires s’imposent. L’histoire de Cécile Covès en est un témoignage éclatant. Cécile a deux mamans et deux papas. Deux mères, l’une biologique, l’autre de cœur, un géniteur, un père de substitution, quatre personnes aux destins imbriqués, pour un enfant, follement désiré. L’équation n’est pas simple, sauf si sa résolution passe par le filtre de l’amour, qui permet tout. La filiation, au-delà de l’acte de procréation.
Crédit photos : Sabrina Moguez.
SILLONNER LE PASSÉ
Cécile est maintenant adulte et désire faire don de ses ovocytes. Donner une chance à une femme de faire éclore la vie. Car Cécile ne souhaite pas être mère, bien au contraire. Son parcours familial chaotique, l’en aura certainement détournée. Elle ne nous éclairera pas sur ce point, à regret. Mais qu’importe, elle souhaite plus que tout être porteuse d’espoir, un trait d’union face à la réalité de certains destins gelés. Le choix est assez beau d’autant que Cécile le fait résonner, en toute transparence, avec son passé.
Car dans les années 1970, pas de procréation médicalement assistée (PMA, légal depuis 2021) ! La France ne prévoit rien, difficile donc, pour deux femmes homosexuelles de projeter leur désir d’enfant, en toute légalité. Alors que tout semblait impossible, Cécile est pourtant là et témoigne. Elle nous fait ainsi rencontrer Philippe, son géniteur, l’entremetteur, qui, dès la grossesse annoncée, décide de se retirer. Un don de gamètes déguisé, hors de tout schéma familier.
Revenant sur sa naissance puis son enfance, au sein d’une famille homoparentale par la suite recomposée, Cécile parle pour ceux qui ont grandi hors de tout modèle dit hétéronormé. Celle-ci évoque sa construction, entre deux mères aux caractères bien trempés et un beau-père sévère, d’une exigence acérée. Elle aborde son besoin, vif, dès ses plus jeunes années, de connaître ses origines. De s’identifier à un père dont elle se souvient avoir régulièrement fantasmé l’image, le caractère ou le métier.
Une quête omniprésente qui retentit, jusque dans son projet actuel. Car coïncidence, depuis le 1er septembre 2022, tout enfant né d’un don de gamètes peut accéder, à sa majorité, au dossier de ses origines. Son choix fait sens, elle ira jusqu’au bout, malgré le labyrinthe médical qu’elle s’apprête à emprunter.
“Cécile Covès réussit à nous embarquer dans les arcanes de ses souvenirs, aussi ombrageux que lumineux.”
Cécile Covès dans “La Trajectoire des Gamètes”.
Crédit photo : Sabrina Moguez.
UN RÉCIT CONTEMPORAIN ET UNIVERSEL
Les réflexions qui affleurent au seuil de son récit, sont multiples, universelles. Les sujets, abordés avec délicatesse et humour, font mouche. Comment se construit un enfant au sein d’un modèle homoparental similaire au sien ? De quoi dépend son équilibre, sa sécurité ? Comment parler du désir ou non de devenir mère ? Quels choix s’offrent à celles qui désirent porter la vie ? Dans quel parcours s’engage une femme qui souhaite faire don de ses gamètes ? On réfléchit, on sourit, on se remémore. En chacun de nous, des échos jaillissent, une complicité théâtrale se noue.
Cécile Covès réussit avec intelligence à nous embarquer dans les arcanes de ses souvenirs, tout aussi ombrageux que lumineux. Grâce à une mise en scène d’une grande fluidité, celle-ci convoque tour à tour les personnages majeurs de sa vie, de sa mère biologique à sa mère de cœur, laissant ainsi le soin au spectateur de côtoyer leurs plus intimes pensées.
Le texte, savamment façonné par Laura Léoni (auteure de « La Folle et inconvenante histoire des femmes » au Funambule Montmartre) pulse, rythmé par quelques pas de danse et certains titres iconiques de Julien Clerc et Claude Nougaro. Maîtresse du plateau, Cécile Covès livre ainsi une prestation touchante, empreinte de légèreté et de sincérité. Pour renforcer la proximité établie avec le spectateur, on aurait toutefois aimé que cette dernière retrace avec plus de clarté la genèse et les motivations de son projet. Ce don d’ovocytes, comme hymne à la vie, in fine.