Lucien de Rubempré, vit à Angoulême avec sa sœur. Il est passionné de poésie. Sa rencontre avec une riche baronne désireuse de l’aider va changer sa vie. Lui est innocent et frêle ; elle approche la cinquantaine et ne supporte plus son mari – aussi vieux que son château. Les deux vont se tomber dans les bras et s’enfuir ensemble à Paris. Alors que la noblesse parisienne rejette Lucien, il doit se séparer de la baronne. Cette séparation l’amène à rencontrer Etienne Lousteau, rédacteur en chef d’un petit journal parisien. Etienne va prendre Lucien sous son aile et lui apprendre les dessous de la presse et de la vie. Avec sa plume tout à fait remarquable, Lucien va d’abord devenir la coqueluche du tout Paris, avant de goûter au revers de la médaille qui peut s’avérer très amer.
SEUL L’ARGENT EST ROI
La projection commence et on a peur. Peur d’assister à une énième histoire d’amour morose sur fond de XIXème siècle avec son pesant de sexe et de trahison. Au bout de 20 minutes on se sait à côté de la plaque : à l’instar de Jordan Belfort avec la finance dans le Loup de Wall Street, Lucien est d’abord effrayé par le milieu de la presse avant d’en apprendre tous les vices et les secrets. Arrivé à maturité, l’élève dépasse le maître. Et lorsqu’il flirte de trop près avec le feu, évidemment il se brûle.
Le film est une véritable critique de la presse et de l’hypocrisie mondaine ambiante ; celle que Balzac couchait sur le papier. C’est ainsi que Lousteau nous prend par la main – par le biais de Lucien – et nous montre que si on montait une pièce de théâtre – de qualité ou non – on paierait les journaux pour avoir de bonnes critiques. Si on voulait qu’elle soit applaudie, on payait des applaudisseurs professionnels – applaudisseurs qui devenaient siffleurs si quelqu’un de plus offrant payait plus cher. En vérité tout ce qui compte, c’est le bruit. Si on fait parler de soi, on existe et si on existe on vaut de l’argent. En fin de compte, les seuls qui se remplissent vraiment les poches sont ceux qui font et défont les réputations, qui aiment ou haïssent des œuvres sur commande, ceux qui n’ont ni âme, ni principe : les journalistes.
Giannoli fait danser sa caméra : nous voilà pris dans ce joyeux bordel qu’est Paris. On sent l’effervescence, l’agitation et l’animation de la capitale, narrées par la douce voix ironique de Xavier Dolan, excellent d’écrivain dans son rôle de Nathan d’Anastasio.
“UN RÉDACTEUR EN CHEF PREND LUCIEN SOUS SON AILE ET LUI APPREND LES DESSOUS DE LA PRESSE.”
Illusions perdues – Xavier Giannoli – 2021.
UNE ADAPTATION MODERNE
Les supports changent mais les propos restent : dans une scène géniale d’humour et d’insolence, Lucien vient proposer son recueil de poème à un éditeur de renom joué par Gérard Depardieu. Ce dernier refuse de le publier car selon lui, Lucien n’est personne. Si seulement Lucien et un écrivain connu pouvaient s’échanger quelques insultes à travers divers quotidiens, ça pourrait faire monter la côte de Lucien. Un peu de bad buzz pour pimenter une œuvre. Car, quelque soit l’art dans lequel on se lance, il est toujours aussi difficile de se faire publier-produire-exposer-diffuser… si on n’est personne.
Autre résonance avec notre époque : le concept de l’information à tout prix. Peu importe si c’est vrai, si on le publie, c’est que c’est vrai ! Jadis, dans les journaux comme aujourd’hui sur les réseaux, une idée est une rumeur, une rumeur est un fait. On peut néanmoins se vanter d’avoir une presse un peu moins décisionnaire de vie ou de mort des sujets qu’elle couvre.
Côté casting, on y trouve un Benjamin Voisin dans le rôle principal, aussi innocent qu’insolent qui s’inscrit bien au centre de ce tableau captivant. Il est accompagné par des pointures tout aussi justes les uns que les autres. Vincent Lacoste en mentor perfide, Depardieu en éditeur illettré, Cécile De France en baronne déchirée ou encore feu Jean–François Stévenin en siffleur cupide. Les décors et les costumes y sont somptueux, la musique épouse parfaitement la chorégraphie de la caméra. Quoi de mieux pour écrire une critique qu’un film qui critique les critiques ? Ça fait beaucoup de critiques ? Allez voir et dégustez.